Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l'OIF
Qu'il s'agisse de conflits armés, ou de crises sociales, civiles, ou liées à l'impact du changement climatique, les femmes sont en première ligne. Ce constat est indéniable. En première ligne, car elles en paient le prix cher et sont toujours plus impactées que les hommes en termes économiques, mais aussi psychologiques et/ou de santé. Et pourtant, elles se relèvent, font front, trouvent des solutions, souvent de contournement astucieux, le fameux système D qui prévaut quant on n'a pas d'autres moyens. Et malgré tout, leur capacité de résistance reste encore et toujours sous -voire totalement- dévalorisée et rarement -voire jamais- prise en compte.
La crise du Covid, sans les femmes ?
Un exemple flagrant qui a mis en lumière cette "résilience" au féminin, même si ce terme peut être discutable car devenu mot valise mis à toutes les sauces, est la crise sanitaire mondiale sans précédent de la pandémie de Covid. Au moment où les pays, les uns après les autres, se retrouvent paralysés par des mesures de confinement, les femmes ont été les visages de ces "deuxièmes" de cordée indispensables au fonctionnement de notre société, car plus que majoritaires dans les systèmes de santé, mais aussi d'économie des produits de base. Infirmières, sages-femmes, caissières de supermarché ... Mais aussi dans les foyers, ce sont les femmes qui comme l'ont montré les récentes enquêtes, ont assuré l'école à la maison des enfants pour cause d'écoles fermées, bien plus que les hommes, tout en poursuivant leurs activités professionnelles en télétravail.Selon une récente étude effectuée par l'organisation Care dans une quarantaine de pays, 55% des femmes, contre 34% des hommes ont perdu leur emploi ou leur revenu depuis mars 2020 dans le monde, qu’il s’agisse de pays riches ou en développement. 41% ont déclaré manquer de ressources alimentaires contre 30% des hommes. On estime à 800 milliards de dollars de perte de revenus pour les femmes en 2020.Au niveau mondial, les femmes ont perdu plus de 64 millions d’emplois l’année dernière.
Vanessa Lamothe s'exprime sur le 8 mars ►
Dès 2020, l'organisation internationale de la Francophonie a lancé, sous l'impulsion de sa secrétaire générale Louise Mushikiwabo, le fond "Francophonie avec elles". Il a permis pour sa première édition d'aider entre 14 000 et 15 000 femmes, avec pourtant un budget de départ "plutôt modeste de trois millions d'euros", comme le souligne la représentante de l'OIF. "Ce fonds a pour vocation d'aller à la rencontre des plus nécessiteuses et d'agir rapidement, en évitant les contraintes administratives", ajoute-t-elle, précisant que ce fonds a reçu le soutien de nombreux états membres et qu'il est amené à devenir pérenne, au delà de la crise de la Covid.
Myriam Bacquelaine, ambassadeure de Belgique au Niger et au Tchad
Sans les efforts de la société civile, dont les femmes sont les principales actrices, le #Liban n'aurait pas survécu face aux crises qu'il traverse@nadaanid pic.twitter.com/FOQqUbuokg
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►Covid et précarité menstruelle, les étudiantes les plus touchées en France
►Covid-19 : 2 millions d'excisions de plus sont à craindre d'ici 10 ans
►Rosemary, agente de santé bénévole au Kenya : un engagement intact face à la Covid-19
►L'épidémie de Covid a eu un impact majeur sur les femmes au Québec
►Covid-19 : et si on rémunérait le travail des femmes à la maison pendant la crise ?Vanessa ►Moungar, lauréate du prix Margaret 2020 : "Il faut faire confiance aux femmes pour se relever du Covid-19"
Les femmes, les oubliées avant et pendant les crises
"Je suis frappée au niveau international qu'en dépit des crises, liées à la guerre, crises climatiques etc, auxquelles s'est ajoutée cette crise sanitaire, on continue à penser à des modèles et des solutions qui n'incluent pas les femmes. C'est très surprenant qu'il faille toujours ajouter une sorte de petit article dans un projet pour dire 'attention, n'oubliez pas les femmes!', alors qu'on représente quand même 50 % de l'humanité", s'indigne pour sa part Myriam Bacquelaine, ambassadeure de la Belgique au Niger et au Tchad. "Sur le terrain, les femmes sont quelque part livrées à elles-mêmes, ajoute-t-elle, elles doivent trouver des solutions de contournement, tout prendre en charge, et malgré tout, quand on pense appui, appui financier, modèles, on n'inclut pas ces 'paramètres' alors qu'elles ont les solutions et qu'elles sont une force de changement".Louise Mushikiwabo
Vanessa Lamothe
Crises et violences faites aux femmes
L'explosion des chiffres concernant les violences faites aux femmes pendant les crises montre que les choses ne sont pas traitées par les états, en amont, selon Nada Saleh Anid. "Ces dispositifs doivent être prêts avant les crises et non à mettre en place pendant. Au Liban, on s'est rendu compte qu'à part quelques associations qui étaient déjà sur le terrain, qu'on avait rien prévu pour faire face à cette recrudescence. Cela a montré combien au Liban les femmes n'étaient pas prises en compte dans les décisions politiques".Vanessa Lamothe
#JournéeDesFemmes
— La Francophonie (@OIFrancophonie) March 8, 2022
La protection des femmes dans les conflits + leur contribution à la paix sont essentielles. OIF @UNITAR @UNPeacekeeping & @CoopSecuDefense lancent le 1er cours en ligne pour les conseillers(ères) militaires Genre des opérations de paixhttps://t.co/nLpfYioGhs pic.twitter.com/QcufpPgCTM
Nada Saleh-Anid sur le 8 mars ►
Les filles, privées d'école, les premières cibles
Aujourd’hui dans le monde, 131 millions de filles ne sont toujours pas scolarisées. 516 millions de femmes dans le monde sont encore analphabètes. Moins de 40% des pays affichent des proportions égales de filles et de garçons inscrits dans l'enseignement secondaire. Même si on observe des progrès, car depuis 1995, le taux mondial de scolarisation des filles est passé de 73% à 89%. Une fille sur 4 est privée d’accès à l’école dans le monde.
Fatima Maïga
"Cette situation est une situation pensée par ces forces, et en face malheureusement, il n'y a pas eu de politique d'anticipation. Le maillon faible a toujours été l'éducation et la protection des filles. Quand il y a la crise c'est un peu trop tard, car les déterminants sont là avant, et ce qu'on n'a pas pu faire avant, c'est encore plus difficile de le faire pendant", ajoute la militante.
Nada Saleh Anid
Vanessa Lamothe, qui est née et a grandi en Haïti, rappelle que les filles de son pays, comme dans beaucoup d'autres, vont en primaire et quittent l'école ensuite.
#JournéeDesFemmes
— La Francophonie (@OIFrancophonie) March 8, 2022
L'autonomisation des femmes passent par l' #éducation. La #Francophonie se mobilise pour l’égalité femmes-hommes en soutenant l'éducation des filles.
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L'arme législative
"Lorsque j'étais en Côte d'Ivoire lors de la période post-électorale de 2010, on a vu qu'il fallait légiferer, ce qui n'est pas instinctif, parler des voix des femmes ce n'est pas une priorité, on a des processus qui n'incluent pas les femmes. Et j'étais frappée par les discours tenus pendant les négociations de paix, par ce qu'on mettait sur la table, des questions qui n'avaient rien à voir avec celles que les femmes se posaient, comme les questions de justice etc...", rapporte Fatima Maïga.
Fatima Maïga
Processus électoraux et représentation politique au féminin
Les femmes ne représentent en moyenne que 26% des parlementaires dans l’ensemble des assemblées législatives du monde.
En tête du classement, un record et un exemple : le Rwanda avec 61% de femmes au Parlement. C’était une volonté politique, mais aussi une nécéssité liée à l’après génocide. L'égalité a été décrétée valeur fondamentale et elle est inscrite dans la constitution rwandaise depuis 2003, instaurant un quota de 30%, seuil largement dépassé depuis. En plus du Rwanda, trois pays ont des parlements à 50% féminin : Cuba, Mexique, et le Conseil national fédéral des Émirats arabes uni suite à un décret de 2018. Un tiers des 30 premiers pays du classement mondial sont des États sortant d'un conflit, dont l'Angola, l'Ouganda, le Burundi et le Nicaragua.
Dans l'espace francophone, aujourd’hui la France est classée 17e(39%), derrière le Sénégal 11e, premier pays francophone de ce classement, la Belgique est 23e, le Niger 122e, le Mali 171e. Enfin parmi les plus mauvais élèves : le Liban 183e et Haïti 186e.
Nada Anid
"Au sein des organisations pour lesquelles je travaille, nous croyons beaucoup aux mesures coercitives. Tous les pays qui ont avancé sur le domaine de la parité, ont mis en place des lois et des plans, d'ailleurs souvent adoptés en période de crise et de transition", assure Nada Anid, "personne ne voit la relation entre les crises et le manque de femmes à ces postes".
"En Haïti, le quota de 30% n'a jamais été appliqué. Je crois qu'il y a eu seulement une femme sénatrice jusqu'ici", ajoute, sur un ton consterné, Vanessa Lamothe.
Fatima Maïga, plus nuancée, estime que les lois de quotas ne règlent pas tout, "si on oublie que derrière ces lois de quotas, il faut un travail de fond de toute la société, on a une participation peu significative, on retrouve le côté négatif de ces quotas. Il doit y avoir un ruissellement sur les questions de sécurité, de violence, d'éducation".
De la "résilience", ou pas, des femmes ...
"Selon moi, le terme de résilience n'est pas le plus valorisant pour résumer le rôle des femmes, estime Vanessa Lamothe, parce que ça donne l'impression que nous résistons bien malgré nous, alimentant le statut de victime. Le rôle des femmes émergent en temps de crise comme on l'a vu pour la Covid ou au Rwanda, où on a eu heureusement l'intelligence de capitaliser sur ce rôle, grâce à une volonté politique, ce qui a permis de l'asseoir dans le temps".
Madanyat in partnership with the @Ai4Women, @Maharat_Lebanon, @OndesLb & @wnlborg , launched a campaign to highlight the absence of the Lebanese Woman from the decision-making positions. https://t.co/Sn9yh1lEk3 #not_in_the_picture #مش_بالصورة https://t.co/KHMi1XaC3A pic.twitter.com/xFfw23UOBx
— Madanyat (@madanyatlb) March 7, 2022
#not_in_the_picture (pas sur la photo, ndlr), cette campagne vient d'être lancée à l'occasion du 8 mars sur les réseaux sociaux libanais à l'initiative de plusieurs associations féministes. "Le but est de recenser des photos de réunions, de discussions, de négociations, où les femmes n'apparaissent pas, avec leurs dates et à quelles occasions. On se donne trois mois pour dresser un constat. quand les gouvernements veulent bien se faire voir des pays donateurs, ils mettent en lumière des femmes, une fois que la conférence est terminée, brusquement on ne les voit plus, elles sont juste un produit d'appel alléchant !", explique Nada Anid, l'une des initiatrices de cette campagne.
"Si on est un produit d'appel, ça veut dire qu'on n'a pas réussi à convaincre. Dans les mentalités, les femmes ne sont pas encore perçues en capacité de jouer ce rôle majeur, je me demande si ne n'est pas ça le plus grave !", relève Vanessa Lamothe.
"Quand il y a un poste à pourvoir, un homme se dit c'est pour moi, et les femmes se demandent si elles sont compétentes", s'insurge Myriam Bacquelaine, "Je suis passée par là, mais heureusement je m'en suis détachée". "A mon niveau, je recens constamment un sentiment d'illégitimité, non pas parce que je le suis, je ne le suis pas du tout, je suis sortie première du concours, mais parce qu'il y a un contexte et parce qu'on nous pousse à nous sentir illégitime. (...) cela fait que beaucoup de femmes ne se présentent pas aux élections."
Fatima Maïga
Pour ce qui est des négociations de paix, "c'est encore un monde d'hommes, et d'hommes armés. C'est un lieu de distribution des pouvoirs. Ce sont des espaces qui excluent non seulement les femmes, les jeunes et les membres de la société civile.", tient à préciser Fatima Maïga.
"Cela fait que l'on va arriver à des accords de paix, à la fin d'un processus fermé, codifiant l'exclusion, et on se retrouve dans la mise en oeuvre d'accords excluant dès le départ les femmes, les jeunes, la société civile", conclut la militante. Il faut éviter la "grosse arnaque" et " éviter d'avoir un statut d'observatrice, ce qu'on réserve habituellement aux femmes, il faut faire partie des pré-négociations et s'assurer de taper très fort", insiste-t-elle. "C'est absolument faisable, à condition de travailler avec les hommes, car ils sont la plupart du temps majoritaires au parlement. Les mécanismes que nous avons utilisés au Mali peuvent s'appliquer ailleurs !".
Women's rights activist Fatima Maiga addressed #UNSC, calling for @UN_MINUSMA to include peace & reconciliation efforts in central #Mali, to prioritize #WPS issues including women's participation in peace process & GBV judicial responses.
— Oxfam International (@Oxfam) June 14, 2021
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