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Le témoignage est glaçant. Il a été recueilli par le site d’informations Irinnews. Une femme originaire de Blukwa en République Démocratique du Congo et réfugiée en Ouganda témoigne de l’attaque de son quartier par un groupe armé :
Cette nuit-là, son mari et son fils ont été tués. “Je ne sais pas comment je peux continuer à vivre sans eux. J’aurais préféré être tuée en même temps qu’eux”, raconte cette victime.
Ce témoignage est loin d’être isolé. Depuis le début de l’année, près de 70.000 Congolais de la province d’Ituri se sont réfugiés en Ouganda voisin : ils fuient les massacres et les violences intercommunautaires. De nombreux réfugiés traversent le lac Albert à la frontière entre les deux pays, dans des conditions souvent dangereuses. 80% sont des femmes et des enfants.
Au début de l’année 2018, alors que l’Ouganda accueille un afflux inattendu de réfugiés en provenance de cette région, l’ONG CARE constate qu’un nombre élevé de ces femmes a été victime de viols, soit en RDC soit sur le chemin vers l’Ouganda.
Dans un rapport publié en février, l’ONG cite un membre du gouvernement ougandais selon lequel 9 femmes sur 10 ayant fui la province d’Ituri auraient été victimes de violences sexuelles. Depuis, CARE a tenté d’établir ses propres statistiques : “Le pourcentage n’est peut-être pas aussi élevé, mais nous avons une certitude : ces violences ont eu lieu à une très large échelle”, indique Delphine Pinault, directrice de CARE Ouganda. Les chiffres sont difficiles à estimer, d’autant plus dans des sociétés traditionnelles où les femmes n’osent pas toujours parler par peur d’être stigmatisées.
Mais pour les travailleurs humanitaires sur le terrain, force est de constater qu’une majorité des femmes enceintes dans les camps de réfugiés ne pourraient pas identifier le père de leur enfant. Elles ont parfois été violées de multiples fois, par plusieurs hommes ou par des groupes. Les victimes ont aussi souvent été témoins d’autres viols : leur niveau de traumatisme en est d'autant plus élevé. Parfois, le choc s’estompe, un peu, à l’arrivée en Ouganda, lorsque ces femmes doivent subvenir à leurs besoins vitaux : eau, nourriture, abri. “Cela fonctionne comme une forme de thérapie, explique Delphine Pinault, mais le traumatisme ressurgit très vite. Nous avons du mal à prendre leurs besoins en charge, nous manquons de moyens pour faire face à cette crise.”
L’ONG CARE a mis en place des aides à différents niveaux : des traitements médicaux, (mais efficaces seulement 72 heures après le viol) et surtout une prise en charge psychosociale, qui se retrouve limitée, en raison du manque de personnel formé.
Les femmes ne sont pas les seules victimes, comme l’a constaté Delphine Pinault : “Il y a également beaucoup de jeunes hommes victimes de violences sexuelles. Mais ils subissent une telle stigmatisation qu’il est difficile de leur apporter une aide quelconque : ils n’en parlent pas.”
Les violences de toutes formes ont atteint un stade sans précédent dans la province d’Ituri, mais ce n’est pas la première fois que les aggressions sexuelles s'élèvent à une telle proportion dans la région. "C'est un problème très grave sur lequel on travaille depuis plus d'une dizaine d'années autour de la région des Grands Lacs", poursuit Delphine Pinault. "Nous avons fait de nombreux plaidoyers, des conférences internationales. D'énormes progrès ont été faits sur le plan juridique, mais en réalité pour les femmes rien ne change."
Le gouvernement ougandais avait estimé à 60.000 le nombre de réfugiés de RDC qui rejoindraient le pays en 2018. Début avril, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) avait déjà enregistré 69.000 nouveaux réfugiés. “Le budget initialement prévu pour 60.000 réfugiés n’était financé qu’à hauteur de 4%”, témoigne Duniya Aslam Khan, chargée de communication pour le HCR en Ouganda. Le pays accueille près d’1,4 million de réfugiés (la majeure partie venant du Soudan du Sud) et attribue aux nouveaux arrivants un lot de terre et des matériaux pour construire un abri. Mais pour les femmes en provenance d’Ituri, le traumatisme est tel qu’elles n’arrivent pas toujours à reconstruire leur vie normalement.
Le HCR tente d’adapter les solutions apportées aux réfugiées : “Nous essayons de leur fournir un environnement sécurisé, pour qu’elles ne baissent pas les bras. Par exemple, dans la vie quotidienne, nous évitons qu’elles aient une longue distance à parcourir ou un bois à traverser pour aller chercher de l’eau, sinon elles peuvent avoir peur de sortir et se renfermer sur elles-mêmes”, observe Duniya Aslam Khan.
Les différentes ONG restent débordées face à l’afflux inattendu de personnes fuyant les violences de la province d’Ituri. Face aux urgences sanitaires à gérer et au manque de fonds, la prise en charge des violences sexuelles passe souvent au second plan. Et la situation ne risque pas de s’arranger les prochains mois : en février, le journal “Daily Monitor” a révélé un scandale de fraudes liées à l’aide humanitaire. Des membres du gouvernement auraient gonflé le nombre de réfugiés dans le pays pour détourner des fonds. Le journal évoque également des accusations de trafic d’êtres humains parmi les réfugiés. Une enquête est en cours sur cette affaire qui éclabousserait des membres du gouvernement et des organismes de l’ONU. Plusieurs bailleurs de fonds ont d’ores et déjà annoncé vouloir retirer leurs dons.
Un coup dur pour l’Ouganda qui était jusqu’alors considéré comme un modèle pour le reste du monde en matière d’accueil des réfugiés. Et surtout, un coup dur pour les ONG qui aident les réfugiés d’Ituri. Selon une nouvelle estimation, établie en avril par le HCR et le gouvernement, 300.000 Congolais pourraient rejoindre l'Ouganda d’ici la fin de l’année.
Revoir notre reportage vidéo >> "En RDC les violences en Ituri puissent à l'exode des milliers de famille"