Oum Khaltoum : la diva de la musique arabe en bande dessinée 

Mythique diva de la musique arabe, la chanteuse égyptienne Oum Khaltoum est à l'honneur dans un roman graphique qui retrace son parcours, à commencer par son enfance méconnue. Entretien avec les autrices Chadia Loueslati et Nadia Hathroubi-Safsaf

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Oum Kalthoum, couverture de la bande dessinée
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Tout au long de sa vie, la musique aura été pour celle que l’on surnommait l’astre d’Orient et la divine, quelque chose de puissant, de sacré, de solennel. Une musique qui fédérait femmes et hommes, de son Égypte natale aux plus grandes salles de spectacles internationales, comme L’Olympia. Aujourd’hui encore, nombreux sont les mélomanes qui se souviennent de la voix incantatoire et de l’éclectisme d’Oum Khaltoum, capable de chanter à la fois l’amour, la patrie ou le Coran à une époque marquée par le conservatisme.

Extrait de "Oum Kalthoum, naissance d'une diva"
Extrait de Oum Kalthoum, naissance d'une diva

Dans un roman graphique publié aux Éditions JC Lattes, les autrices Chadia Loueslati, et Nadia Hathroubi-Safsaf retracent le parcours d’Oum Kalthoum de son enfance jusqu’à son décès. Un choix narratif qui nous fait découvrir les récits et épreuves qui ont façonné la personnalité de la mythique diva.

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Petite fille pauvre, combative et volontaire

Nous apprenons ainsi ses origines paysannes, son combat pour aller à l'école comme d'autres issus de milieux sociaux plus favorisés, le déguisement de garçon dans lequel elle apparaissait pour retenir l’attention des spectateurs durant ses premiers récitals, ou encore son courage à réclamer un contrat de mariage avant toute union. 

Jeune Oum Kalthoum
Extrait de Oum Kalthoum, naissance d'une diva

 

Duo fertile

Au niveau graphique, les autrices ont opté pour le noir et blanc et la couleur sépia. Des tons qui évoquent les films égyptiens et les photographies des années 1960 et 1970. 

Autrice et dessinatrice de bandes dessinées, Chadia Loueslati a publié plusieurs ouvrages bien reçus par la critique, dont Famille nombreuse et Nos vacances au Bled. Avec Oum Kalthoum, naissance d’une diva, elle signe sa première collaboration avec Nadia Hathroubi-Safsaf, rédactrice en chef du Courrier de l'Atlas. À l’occasion de la sortie du livre, elles ont toutes les deux accepté de répondre aux questions de Terriennes.

Chadia et Nadia, autrices de la BD Oum Kalthoum
Chadia Loueslati et Nadia Hathroubi-Safsaf, autrices de la BD Oum Kalthoum

Entretien avec Chadia Loueslati et Nadia Hathroubi-Safsaf

Terriennes : vous avez récemment publié aux éditions JC Lattès une bande dessinée sur la chanteuse égyptienne Oum Kalthoum. Quelle est la genèse de ce livre ? 
 

Nadia Hathroubi-Safsaf : C’était une idée de Chadia. On s’est rencontrées dans le cadre d’un entretien. On a eu un coup de cœur l’une pour l’autre et on s’est dit qu’on travaillerait ensemble un jour. Au départ, moi je pensais à un projet sur la révolution tunisienne mais Chadia m’a proposé de travailler sur Oum Kalthoum. Voilà comment est née la BD. 

Pourquoi ce medium, la BD ?  

Chadia Loueslati : Parce que je suis autrice et dessinatrice de BD. Ça fait douze ans que je fais ce métier. La bande dessinée est un médium qui parle à beaucoup de monde, parce qu’elle associe le dessin et le texte. Aujourd’hui, nous sommes dans une société très graphique, très visuelle. C’est donc une forme qui fonctionne bien à la fois auprès des plus jeunes et des plus grands.  

Nadia Hathroubi-Safsaf : La BD est un medium que je consomme beaucoup en tant que journaliste et que j’apprécie. De plus, il y avait déjà eu une autobiographie et plusieurs livres sur Oum Kalthoum mais rien sous la forme d’une BD.  

Oum Kalthoum, Nasser
Extrait de Oum Kalthoum, naissance d'une diva

Si ce n’est à de rares occasions où l’on voit Oum Kalthoum fredonner des chants patriotiques à la gloire, notamment de Nasser, votre ouvrage met l’accent sur son enfance miséreuse et ses grands succès. Pourquoi ce choix ? 

Nadia Hathroubi-Safsaf : Justement parce que quand on parle d’elle, on parle surtout de son engagement politique. Nous ce qui nous intéressait, c’était de raconter comment Oum Kalthoum est devenue la femme que l’on connaît. 

Qu’elle soit issue d’une famille pauvre, qu’elle ait dû batailler pour aller à l’école fait d’elle une féministe avant l’heure. 

Chadia Loueslati 

Chadia Loueslati : Grâce à nos recherches, on a découvert un tas de choses qu’on ne connaissait pas. On s’est dit que ce serait très intéressant de mettre en lumière cette partie de sa vie. Quand on veut raconter quelqu’un, on peut raconter (rapidement) toute sa vie ou faire le choix de retracer les moments qui l’ont façonné pour l’avenir. Le fait qu’elle soit issue d’une famille pauvre, qu’elle ait dû batailler pour aller à l’école fait d’elle, au-delà de la femme politique et engagée dans son pays, une féministe avant l’heure.

Elle a été l’une des premières femmes à chanter le coran alors que c’était réservé aux hommes. 

Chadia Loueslati 
 

Elle a été l’une des premières femmes à chanter le coran alors que c’était réservé aux hommes. C’était au 20e siècle dans un pays où le patriarcat était présent. Ce geste est un grand message adressé à toutes les femmes du monde. Ce sont ces moments-là que nous voulions mettre en lumière. 

Vous lui octroyez également la possibilité de raconter elle-même son histoire à la première personne. 

Nadia Hathroubi-Safsaf : Parce qu'on a trouvé que ce serait plus fort que ce soit raconté à la première personne avec des va-et-vient sur les événements. J’ai utilisé un procédé narratif où elle échange avec une journaliste, ce qui nous donne la possibilité de lui poser beaucoup de questions et de rebondir sur ses réponses pour mieux raconter son parcours. 

Chadia Loueslati : Ça la rendait plus accessible aussi. On voulait dégager ce côté un peu froid que les gens pouvaient ressentir et la rendre plus humaine, plus accessible. On aurait pu raconter son histoire de manière neutre, mais c’était trop impersonnel avec ce qu’elle dit. 

Oum Kalthoum itw
Extrait de Oum Kalthoum, naissance d'une diva

L’esthétique du livre est-elle un hommage aux films égyptiens des années 1950 et 1960 ? 

Chadia Loueslati : Il y a un hommage à l’Égypte de ces années-là. J’ai regardé beaucoup de photos de cette époque quand je faisais mes recherches. Elles m’ont donné énormément d’informations sur l’époque. C’est ce qui a influencé mon dessin et mon choix graphique.   

Comment expliquez-vous le succès de cette chanteuse que son père déguisait en garçon afin de retenir l’attention des spectateurs durant ses récitals ? 

Nadia Hathroubi-Safsaf : Sa voix. Sa voix est presque un don de Dieu. Ensuite, c’est une acharnée du travail. Elle travaille énormément ses textes et s’entoure des meilleurs compositeurs. 

Chadia Loueslati  : Mon ressenti est qu’elle avait une voix extraordinaire, une très belle voix cristalline et une puissance liée au personnage qu’elle incarnait. Il y a aussi sa prestance, ses choix vestimentaires et bien évidemment ses chansons. Enfant, quand j’écoutais ces chansons, je ne comprenais pas tout ce qu’elle disait, mais quand j’ai commencé à faire cette BD, je me suis rendu compte de la puissance de ces mots. Tout cela fait qu’on est subjugué, en état de transe. Elle a eu également de belles collaborations avec de nombreux poètes. 

La BD est-elle littérature ? 

Nadia Hathroubi-Safsaf : Pour moi, c’est à mi-chemin entre la littérature et le cinéma parce qu’elle emprunte aux deux.  

Chadia Loueslati : Tout à fait ! La première fois que j’ai pleuré en lisant, c’était avec une BD. Aujourd’hui, les formats comme les romans graphiques offrent la possibilité d’aller jusqu’à 600 pages et je trouve que l’on est vraiment emportés par les histoires. C’est une très belle introduction à la bande dessinée : c’est scénarisé, c’est cousu, c’est traité. Pour moi, c’est vraiment de la littérature. 

Oum Kalthoum succès
Extrait de Oum Kalthoum, naissance d'une diva

Qu’est-ce que la littérature ? Que peut-elle ? 

Nadia Hathroubi-Safsaf : Pour moi, la littérature est un moyen de voyager. Quand j’étais adolescente, je ne voyageais pas beaucoup. Mes voyages étaient entre la France et la Tunisie, mais grâce aux livres, j’ai voyagé en Alaska, en Argentine, en Thaïlande. Ça m’a ouvert un imaginaire incroyable. Ça m’a aussi appris les règles de la langue et permis d’avoir du vocabulaire. La littérature permet l’évasion et l’apprentissage. Elle abolit également les frontières, rapproche les gens, provoque le débat et permet de dénoncer les maux de la société. 

Chadia Loueslati : Je n'ai pas d'auteur favori, mais j’ai lu énormément. Que ce soit George Sand, Albert Camus ou Tahar Ben Jelloun. Chaque lecture m'apporte quelque chose d'essentiel.

Quelles sont les figures féminines qui vous ont permis de vous construire ? 

Nadia Hathroubi-Safsaf : Quand j’étais plus jeune, j’avais plusieurs figures en tête, dont Anne Sinclair, Gisèle Halimi et Simone Veil. J’étais très admirative de ces femmes, de leurs combats, et de leurs engagements. Je crois d’ailleurs que c’est grâce à ces femmes-là que je ne me suis pas posé trop de questions pour savoir ce que j’allais faire puisque mes parents étaient analphabètes et ne parlaient que l’arabe. Je voulais être journaliste, j’ai été journaliste. Je voulais écrire des livres, j’en ai écrit trois. Elles sont donc très importantes dans mon parcours. 

Chadia Loueslati : Je dirais Gisèle Halimi pour ses combats. Là où tout le monde tournait le regard ailleurs, elle a été parmi celles qui ont fait entendre leur voix. Enfant, j’étais tout à fait emporté par son discours et son parcours. Il y a aussi Simone Veil qui a fait avancer énormément de choses. Ce sont des femmes qui ont eu des combats difficiles, mais malgré tout le déferlement de haine qu’elles ont subi, elles ont tenu. Enfin, il y a ma mère, qui était une femme très forte, que j’ai toujours vue se battre, s’occuper de nous d’une main de maître... Elle n’hésitait pas à s’imposer.  

 

Les combats ne sont pas que des exploits, mais des actions que nous pouvons réaliser à notre échelle. Chadia Loueslati

Dans la peinture, il y a des autrices contemporaines comme Rébecca Dautremer qui a un talent incroyable, monstrueux. C’est une femme qui m’a inspirée et m’a donné envie de faire de l’illustration jeunesse quand j’ai commencé. Il y a aussi Baya, une peintre algérienne que j’ai découverte récemment. 

Il y a aussi toutes ces femmes de l’ombre, qui mènent des combats importants, mais sont peu connues parce qu’on considère que les combats qu’elles mènent à leur échelle sont petits, alors qu’elles sont grandes. Mettre en lumière des femmes qui ne sont pas forcément connues, mais auxquelles on peut s’identifier parce qu’elles ont mené des combats, des actions, laissées des histoires m’intéresse beaucoup. Les Iraniennes mènent en ce moment un combat énorme. Elles ne sont pas toutes connues, mais elles se battent pour tout le monde. C’est ce genre d’histoire que j’aimerais mettre avant. C’est un bon exemple pour nos filles : montrer que les combats ne sont pas que des exploits, mais des actions que nous pouvons réaliser à notre échelle.