Oxfam: prostitution, abus sexuels, viols, des accusations de plus en plus lourdes

L'homme par qui le scandale est arrivé, l'ex-directeur d'Oxfam en Haïti, le Belge Roland van Hauwermeiren reconnait aujourd'hui avoir eu recours à des prostituées dans des locaux appartenant à l'ONG. Un rapport interne a finalement été rendu public ce lundi 19 février par l'organisation britannique. Une ancienne directrice à l'origine de cette enquête menée en 2011, a pour sa part dénoncé "une culture du viol" dans certains services.
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Le ciel s'assombrit pour l'organisation humanitaire britannique Oxfam, accusée d'être impliquée dans une affaire d'abus sexuels.
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Crédit : Nick Ansell/PA via AP
L'organisation humanitaire britannique OXFAM, au coeur d'un scandale sexuel sans précédent. Photo du siège londonien prise le 21 mai 2015.
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Existe-t-il une culture d’abus sexuels au sein de certains bureaux d’Oxfam ?
C’est en tout cas ce que dénonce dans la presse Helen Evans. Cette ancienne directrice de la prévention interne de l’organisation humanitaire britannique fait état de viols ou de tentatives de viol au Soudan du sud, d’abus sexuels au Liberia, mais aussi d'agressions sur des bénévoles, mineurs au moment des faits, dans des boutiques caritatives de l'ONG situées en territoire britannique.

Ces lourdes accusations surgissent après celles visant plusieurs agents d'Oxfam, qui auraient eu recours à des prostituées et accusés d'abus sexuels au Tchad et en Haïti. Selon une enquête du Time, publiée vendredi 9 février 2018, des groupes de jeunes prostituées étaient invités dans des maisons et des hôtels payés par l'ONG en Haïti. Une source citée par le quotidien britannique dit avoir vu une vidéo d'une orgie avec des prostituées portant des T-shirts d'Oxfam. Selon le journal, l'ONG aurait "ignoré les mises en garde", et nommé son directeur pays en Haïti, le Belge Roland van Hauwermeiren, "malgré des inquiétudes sur son comportement envers les femmes" pendant qu'il travaillait au Tchad. Le Time nous apprend également qu'il avait fait l'objet dès 2004 d'une plainte pour abus sexuel, lorsqu'il était en poste au Libéria pour l'ONG Merlin.
 

[Le directeur général d'Oxfam "n'a pas agi" après les réclamations d'une femme,  contrainte d'avoir des rapports sexuels en échange de secours]


 
Roland van Hauwermeiren
Roland van Hauwermeiren, l'homme par qui le scandale Oxfam est arrivé.
 
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L'ancien directeur d'Oxfam en Haïti a reconnu ce lundi 19 février qu'il avait eu des rapports tarifés avec des prostituées dans des locaux financés par l'organisation, selon un rapport établi en 2011 par l'ONG à l'issue d'une enquête interne et rendu public depuis. Au moment où le scandale avait éclaté, le Belge Roland van Hauwermeiren s'était défendu en affirmant qu'il n'avait pas organisé d'orgies avec de jeunes prostituées et qu'il n'était "jamais entré dans un bordel" en Haïti. Dans une lettre publiée par des médias belges, il avait seulement reconnu avoir eu des rapports sexuels avec une "femme honorable et mature", et maintenu qu'il ne lui avait pas versé d'argent.

Oxfam est aussi mise en cause pour n'avoir pas fait part de ses craintes quand ces employés avaient été embauchés par d'autres ONG pour travailler auprès de personnes vulnérables, comme ce fut le cas justement pour Roland Van Hauwermeiren, devenu chef de mission pour Action contre la faim (ACF) au Bangladesh de 2012 à 2014.
 
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Des enquêtes internes, sans suites ?

Pour sa défense, Oxfam, confédération d'organisations humanitaires basée en Grande-Bretagne, assure avoir lancé immédiatement, en 2011, une enquête interne. Quatre employés avaient été licenciés et trois autres ont démissionné avant la fin de cette enquête, a assuré l'ONG, dont le directeur belge.

Helen Evans rapporte qu'une autre enquête interne a été menée auprès de 120 personnes dans trois pays entre 2013 et 2014. Elle avait révélé que 11 à 14% des personnels déployés avaient été victimes ou témoins d'agressions sexuelles. Au Soudan du Sud, quatre personnes avaient été victimes de viols ou tentatives de viols.

"Cela concerne des agissements de salariés sur d'autres salariés. Nous n'avons pas réalisé d'enquête sur les bénéficiaires de nos programmes d'aide. Mais j'étais extrêmement inquiète de ces résultats", raconte l'ancienne directrice de prévention interne sur Channel 4. Dans un autre cas, une agression d'un mineur par un adulte commise dans un magasin a donné lieu à des poursuites, ajoute-t-elle. Selon Channel 4, cinq cas de "comportements inappropriés" par des adultes sur des mineurs ont été relevés par Oxfam en 2012-2013, et sept l'année suivante.
 

Une réunion prévue pour traiter de ces sujets avait finalement été annulée, le directeur général Mark Goldring estimant qu'il n'y avait "rien à ajouter" au rapport d'Helen Evans. Interrogé par la chaîne, Mark Goldring s'est excusé pour n'avoir "pas agi assez rapidement" tout en assurant avoir pris la question "au sérieux". "Nous avons répondu de différentes manières: par la vérification des faits, par la formation, par le développement d'une ligne d'assistance téléphonique", a-t-il affirmé.

Trois jours après la parution du premier article du Times, la directrice générale adjointe d'Oxfam, Penny Lawrence, a démissionné. Exprimant sa "tristesse" et sa "honte", elle a déclaré "assumer l'entière responsabilité". Elle explique dans un communiqué que les comportements inappropriés "du directeur pays officiant au Tchad et de son équipe" avaient bien été "signalés avant qu'il ne se rende en Haïti". "Nous n'y avons pas répondu de manière adéquate", reconnaît-elle.

Mark Goldring a pour sa part exclu de quitter ses fonctions, sauf si le conseil d'administration lui en faisait la demande.
 
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La directrice d'Oxfam international, Winnie Byanyima, lors du Forum économique mondial sur l'Afrique, à Abuja, Nigeria, le 8 mai 2014.
Crédit : AP Photo/Sunday Alamba

"Nous nous engageons à être honnêtes, à être transparents et à être responsables de la gestion de cette question d'inconduite sexuelle. Nous sommes dans d'autres dispositions aujourd'hui. Ce qui s'est passé en Haïti ne passerait pas nos règles et nos systèmes aujourd'hui. Mais nous avons encore beaucoup à faire et je suis déterminée. Nous allons nous améliorer et nous ne laisserons jamais cela se reproduire", a réagi Winnie Byanyima, Directrice de Oxfam International lors d'une conférence de presse.
 
L'ONG a publié lundi 12 février un communiqué sur son site internet, dans lequel on peut lire : "Oxfam dispose aujourd’hui d’une politique à l’échelle mondiale avec des mesures précises pour assurer la protection et l’accompagnement de l’ensemble de nos équipes, de nos partenaires, et de toutes personnes avec qui nous travaillons. Nous avons un groupe de travail dédié à la prévention des cas de harcèlement, d’exploitation et d’abus sexuels, co-présidé par Winnie Byanyima,  directrice générale d’Oxfam International.(...)

Une ligne directe préservant  l’anonymat des salarié.e.s est ouverte à tous les membres d’Oxfam et toutes les personnes avec qui nous travaillons."

Une semaine plus tard, l'ONG choisit finalement de rendre public ce rapport pour "être aussi transparente que possible quant aux décisions prises durant l'enquête". Elle affirme avoir communiqué aux autorités compétentes les noms des personnes soupçonnées de comportements sexuels inappropriés, et a adressé une version intégrale du rapport aux autorités haïtiennes.

Oxfam a également dévoilé depuis un plan d'action pour empêcher de nouveaux abus sexuels et tenter ainsi d'apaiser la polémique d'ampleur mondiale.

L' humanitaire, un cadre propice aux abus et à l'impunité ?

"Oxfam aurait pu mieux réagir. La lacune de leur démarche réside dans le fait de ne pas avoir prévenu la police car il s'agit d'actes qui violent la loi", déplore l'avocat Mario Joseph, interrogé par l'AFP à Port-au-Prince. "Cela aurait permis une enquête et aurait amené les personnes impliquées devant la justice mais ils font toujours des soi-disant enquêtes en interne, des répressions internes", regrette le magistrat, qui a défendu les victimes de violences sexuelles commises par les Casques bleus de la Minustah (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti). Président du Bureau des avocats internationaux de Port-au-Prince depuis 1996, il est spécialisé dans la défense des Droits humains.

 
Elles viennent pour soutenir les droits des femmes, des enfants et ce sont elles-mêmes qui, avec le pouvoir économique, profitent des faiblesses du pays pour commettre des abus, des viols.
Mario Joseph, avocat des victimes de la Minustah
Selon lui, le poids économique des ONG et leur assistance vitale biaisent leur relation avec les autorités et les forces de l'ordre. "Des ONG fonctionnent avec plus d'argent que l'Etat haïtien, donc il y a une peur. La police est impuissante", se désole encore Me Joseph, "elles viennent pour soutenir les droits des femmes, des enfants et ce sont elles-mêmes qui, avec le pouvoir économique, profitent des faiblesses du pays pour commettre des abus, des viols, en sachant qu'il y a cette impunité car l'Etat ne demande pas de comptes".
 

De son côté, le président haïtien Jovenel Moïse dénonce une "violation extrêmement grave de la dignité humaine". Le ministère haïtien de la Planification et de la Coopération externe a convoqué cette semaine des responsables locaux de l’ONG pour tenter d'obtenir des explications.

Depuis Londres, la secrétaire d'Etat britannique au développement international, Penny Mordaunt, a écrit à toutes les ONG pour leur demander de renforcer leurs procédures de contrôle. La Grande-Bretagne et l'Europe ont menacé de couper les vivres à l'Organisation si elle ne transmettait pas toutes les informations relatives à cette affaire.
 
La communauté humanitaire doit maintenant se pencher publiquement sur un problème qu'elle voulait résoudre discrètement.
Megan Nobert, ex-humanitaire, victime de viol
Sur la BBC, Megan Nobert estime que les abus sexuels sont "une pratique courante" dans le milieu humanitaire. Cette jeune femme avait été droguée et violée par un confrère lorsqu'elle travaillait pour un programme de l'ONU au Soudan du Sud en 2015 . Depuis elle a mis en place une organisation, Report The Abuse, pour rapporter et documenter ces faits. Elle dit avoir été dépassée par les sollicitations. "La communauté humanitaire n'est que la dernière sur la liste", estime-t-elle, dans la lignée du scandale Weinstein ou de la campagne #MeToo. "Elle doit maintenant se pencher publiquement sur un problème qu'elle voulait résoudre discrètement".
 
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Minnie Driver lors de la cérémonie de remise de prix de l'association des écrivains, le 11 février 2018, à Beverly Hills (Californie).
Chris Pizzello/Invision/AP
 

Face au scandale, Minnie Driver, nommée au Oscars, a annoncé sa démission de son rôle d'"ambassadrice" d'Oxfam. L'actrice et chanteuse britannique est la première célébrité à claquer la porte. Elle s'est déclarée "anéantie" en pensant "aux femmes utilisées par les gens envoyés pour les aider", rappelant qu'il s'agissait "d'une organisation pour laquelle elle militait depuis l'âge de neuf ans".
 

Autre ambassadeur à quitter le navire Oxfam, l'ancien archevêque sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de la paix. Il se dit "profondément déçu par les accusations d'immoralité et de possible comportement criminel impliquant des travailleurs humanitaires" liés à l'ONG. Il est également "attristé par l'impact de ces allégations sur des milliers de personnes qui soutenaient les bonnes causes d'Oxfam". Le héros de la lutte contre l'apartheid a en conséquence "donné instruction d'écrire à Oxfam International pour l'informer de sa démission de son rôle d'ambassadeur".
 
Autre révélation, l'arrestation mardi 13 février 2018 au Guatemala du président d'Oxfam International, l'ancien ministre des Finances, Juan Alberto Knight, cette fois dans le cadre d'un scandale de corruption, sans lien avec les affaires en cours.