P. D. James s'est éteinte : disparition d'une femme du XXe siècle
Auteure de vingt romans policiers vendus à des millions d’exemplaires, la "reine du crime" est morte ce 27 novembre 2014, à l'âge de 94 ans. Elle laisse deux héros, une femme et un homme, des policiers attachants, décalés. Mais aussi une oeuvre nourrie des aléas de la vie de celle qui, sous des airs d'adorable lady anglaise en tailleur rose, a subi la tête haute l'adversité du siècle et saisi à bras ouverts l'espoir qu'il portait pour les femmes.
Phyllis Dorothy James est née en 1920, au début de l'âge d'or du roman policier dans le monde anglo-saxons. Fille d’un fonctionnaire des impôts d’Oxford, la jeune fille dévore les romans de Dorothy Sayers et de Josephine Tey, des références du genre durant l’entre-deux-guerres. De cette littérature, elle adoptera les conventions : une mort mystérieure, un cercle restreint de suspects, l'inspecteur-sauveur et une solution logique à laquelle aurait pu parvenir seul n'importe quel lecteur s'il avait su décrypter les indices. "Les conventions peuvent être un carcan, mais elle peuvent aussi être libératrices pour une imagination créative," affirme-t-elle
Sur le tard
Après avoir suivi les trace de son père en intégrant l'administration fiscale, P. D. James se marie. Mère de famille, elle veut se consacrer à ses deux filles et à l'écriture. Mais son mari rentre de la guerre traumatisé - il est interné en hôpital psychiatrique. Alors la jeune femme reprend son travail de fonctionnaire. Elle vit avec ses enfants chez ses beaux-parents, se lève aux aurores pour écrire avant 8 heures du matin, puis elle part travailler et enchaîne avec des cours du soir pour gravir les échelons de l’administration.
"J'ai toujours su que je voulais devenir écrivain. Ce sont les circonstances qui m'ont obligée à commencer tard. Il y a eu la guerre, et puis les enfants, un mari malade..." Ecrire sur sa vie ? Non, elle se dit incapable de risquer sa plume sur le terrain des traumatismes qu'elle a vécus. Et puis il est tellement plus facile de trouver un éditeur pour des romans policiers ! Elle a 41 ans quand elle publie A Visage couvert, devenu un classique du genre. Le succès est immédiat. Dès lors, elle ne cessera plus d’écrire avec, pour ambition, l’exigence d’offrir aux amateurs de romans policiers les livres de bonne facture auxquels disait-elle : "Ils ont droit !"
Malgré son succès, P. D. James n’arrêtera pas de travailler. D’abord employée dans un hôpital à Paddington : "C'est là que j'ai écrit mon premier roman. J'avais eu une formation d'infirmière pour intégrer ce poste, qui m'a été très utile pour écrire des policiers." Puis elle devient cadre au département de criminologie du Ministère de l’intérieur : "Là, j'étais aux premières loges pour observer les rouages de la police et ce qui se faisait en médecine légale," expliquait-elle.
Adam Dalgliesh
Adam et Cordelia : héros décalés
Un peu poète, réservé, courageux, empathique, sans être sentimental... Adam Dalgliesh est le personnage principal de dix-huit des romans de P. D. James. Il incarne, disait-elle, les qualités qu'elle admirait le plus chez un être humain.
Pourtant, c’est la jeune détective privée Cordelia Gray qui lui ressemble le plus, par sa détermination, mais aussi son ambition. "Cordelia est inspirée de la jeune Phyllis James, admettait l'écrivaine. Mais il y a aussi beaucoup de ma fille cadette dans ce personnage, disait-elle, même si Jane jurerait ses grands dieux que jamais elle ne se mettrait dans des situations aussi périlleuses !"
Le premier roman dont Cornelia est l'héroïne s'intitulait An Unsuitable Job for a Woman - qui pourrait se traduire littéralement par "Ce n'est pas un travail pour une femme" (paru en français sous le titre La Proie pour l'ombre). Mais elle va abandonner Cornelia dès que l'actrice qui l'incarnait à l'écran tombe enceinte : “Mon personnage avait disparu,” résumait-elle. D'aucuns remarqueraient, paradoxalement, qu'elle incarnait une certaine distance que l'auteure souhaitait prendre avec le mouvement féministe, dont elle était proche de la mouvance la plus "dure", dans les années 1960. Reste que Cordelia Gray, qui n’apparaît que dans deux romans, a profondément marqué le public, au point de devenir un personnage de manga au Japon.
Sa limite ? La violence sexuelle contre les femmes
"Le monde est devenu plus matérialiste, constatait-elle il y a quelques années. Il est normal que la littérature soit devenue plus réaliste et violente. Mais ce qui me déplaît profondément, c'est la prolifération des meurtres sadiques envers les femmes - toujours des femmes - par des tueurs psychopates. Je ne pourrais jamais écrire ce genre de choses - je n'arrive déjà pas à les lire !"
P. D. James a signé son dernier roman en 2011 : conçu comme une suite à Orgueil et préjugés, La mort s’invite à Pemberley, un roman policier historique, rend hommage à une autre femme, une écrivaine qui l’a accompagnée toute sa vie, Jane Austen.