Pakistan : Marvia Malik, première présentatrice TV transgenre

Coup de pub d'une chaine télé ou réelle avancée au Pakistan ?  Marvia Malik, une ex-mannequin, est devenue la première femme transgenre à présenter le journal télévisé. La journaliste veut croire qu'il s'agit là d'une étape décisive dans le combat pour la reconnaissance des minorités.
Image
Marvia Malik
Marvia Malik, le 27 mars 2018.
(AP Photo/K.M. Chaudary)
Partager6 minutes de lecture
" Je veux faire quelque chose pour ma communauté que je sens  derrière moi, loin derrière. Je veux renforcer mon peuple. Partout où nous allons, une personne transgenre est méprisée. Mais il n'y a rien que nous ne puissions faire; nous sommes éduqué.es, avons des
Marvia Malik
Marvia Malik lors du défilé du PFDC Sunsilk Fashion
(DR)

diplômes, mais pas d'opportunités, pas d'encouragements. C'est ce que je veux changer. Tout comme je suis entrée dans l'histoire avec l'industrie de la mode, je veux faire la même chose dans l'industrie des médias. " confie-t-elle, sereine,  à Interview Images. 

Quelques semaines plus tôt, en effet, la jeune femme avait déjà fait parler d'elle en devenant le premier mannequin transgenre à défiler sur le podium du PFDC Sunsilk Fashion Week,  un événement majeur de la mode dans le pays.

Les confrères qui voudraient évoquer avec elle le côté glamour de la chose en sont pour leurs frais. Marvia Malik est une combattante. Son  parcours n'a rien d'un chemin aimable tapissé de roses.

La nouvelle présentatrice de Kohenoor News, âgée de 21 ans,  est fraîchement diplomée de l’Université de Punjab, section journalisme.

Sa famille, qui n'admettait pas  son identité sexuelle,  l'a renié quand elle avait quinze ans.  "Elle ne m'a jamais acceptée ni admise. Ici, j'ai reçu un amour et un soutien sans précédent de la part de tous, ce  que je n'ai jamais reçu de ma propre famille".

Un coup de pub pour la chaîne ?

Le rédacteur en chef de la chaîne affirme avoir été stupéfait lors de l'entretien
Padmini Prakash
Padmini Prakash sur Lotus TV
(capture écran)
d'embauche de la jeune femme : "Elle nous a demandé  : 'Voudriez-vous me voir comme une mendiante, une travailleuse du sexe ou une danseuse, ou bien me donneriez-vous un travail respectable sur votre chaîne ?'".

De son côté, Junaid Ansara,  le propriétaire de la chaîne de télévision,  se défend d'avoir voulu faire "un coup médiatique" avec l'arrivée de Marvia Malik  : "Elle a été embauchée en fonction de son mérite. Les personnes transgenres devraient être traitées avec dignité et respect. J'ai pris la décision de traiter tous les êtres humains de la même manière, et je n'ai même pas pensé à remettre en cause les normes sociales ni à enfreindre les tabous."
De bien belles paroles mais  il n'est pas interdit de penser que les responsables de la chaîne se soient inspirés de l'Inde voisine pour prendre leur décision.
Dans le pays, qui compte compte environ deux millions de personnes transgenres, Padmini Prakash est devenue, dès 2014, la première transgenre de l'Inde à s'ancrer dans une émission télévisée quotidienne dans l'État du Tamil Nadu, au sud du pays. Et les audiences, semble-t-il,  sont excellentes.
 

Je ne veux pas que nous soyons considérés comme le troisième genre mais comme des musulmans et des pakistanais

Marvia Malik

Les khawajasiras, héritiers culturels  des empereurs ?

Sa grande fierté est ne pas avoir fini à la rue comme les autres "khawajasiras", terme générique qui inclut les transsexuels, les travestis et les eunuques. La plupart gagnent leur vie en faisant l'animation dans les mariages ou en mendiant et en se prostituant.
Selon plusieurs études, ils seraient au moins un demi-million de personnes dans le pays. Dans le même temps, l'homosexualité, interdite par l'Islam, est punissable de 10 ans d'emprisonnement ou même de 100 coups de fouet au Pakistan.

Marvia Malik
Marvia Malik sur les plateaux de Kohenoor news
(capture d'écran)

55 meurtres de transgenres en cinq ans

En 2011, le Pakistan a été parmi les premiers pays  au monde à légalement

Manifestation Transgenre Pakistan
Après l'arrestation par la police de plusieurs dizaines de personnes transgenres, des membres de la communauté transgenre pakistanaise manifestent le lundi 12 mars 2018.
(AP Photo/K.M. Chaudary)

reconnaître un troisième sexe, deux ans après une ordonnance du président de la Cour suprême enjoignant le gouvernement de Islamabad à reconnaître les eunuques comme un genre à part.

En juin 2017, un premier passeport faisant état d'un genre "X" a été imprimé. Une trentaine de permis de conduire ont récemment été délivrés à des femmes transgenres. Ce qui ne signifie pas, loin de là, qu'elles sont pleinement acceptées.

Ainsi, le 27 mars 2017 dans la soirée, l'une d'entre ellesétait abattue à Peshawar, dans le nord-ouest du pays. C'était le 55ème meurtre d'une transgenre en cinq ans, a indiqué Farzana Riaz, la présidente de Trans'Action, une organisation de défense de leurs droits.

Mais l'histoire des transgenres pakistanais n'a pas toujours été aussi rude. Nombre d'entre eux affirment être les héritiers culturels des eunuques qui prospéraient au temps des  empereurs moghols  jusqu'à ce que les Britanniques arrivent au 19ème siècle et les interdisent.

Marvia Malik
Marvia Malik, le 27 mars 2018, quelques minutes avant de passer à l'antenne
(AP Photo/K.M. Chaudary)

Marvia Malik, la tentation politique ?

Marvia Malik entend bien ne pas être la curiositié du moment. Elle veut profiter de sa notoriété pour faire avancer les choses. Ainsi, pour offrir un meilleur avenir aux personnes transgenres, la journaliste a déclaré avoir conçu une loi qui interdirait aux parents d'abandonner leur enfant. "Je peux garantir qu'aucune famille ne reniera jamais un enfant trans. " Elle sait aussi se faire mordante : "Nous n'avons pas les mêmes droits que n'importe quel autre individu dans le pays. Seules des revendications ont été faites et des promesses de quotas dans les emplois gouvernementaux, mais rien n'en est sorti. " Enfin, elle ne cache pas qu'elle ambitionne de créer, dans un deuxième temps, sa propre chaine de télévision "Nous avons seulement besoin de changer notre mentalité et tout le reste va se changer. "

C'est bien parti.

La marche pour la reconnaissance des transgenres au Pakistan : dix ans de combat

 En 2011, pays pourtant perçu comme ultra conservateur, le Pakistan reconnaissait officiellement un troisième genre, deux ans après une ordonnance du président de la Cour suprême enjoignant le gouvernement de Islamabad à reconnaître les eunuques comme un genre à part. Le pays a appliqué des mesures au niveau national.Ce pays aussi a une longue histoire avec les hijras, qui seraient 500.000 à vivre au Pakistan. Parmi eux, on trouve des castrats, des travestis, des transsexuels et des intersexués. Victimes de maltraitances et de viols, ils ont finalement obtenu des droits. 

En 2011, la République islamique leur a attribué l’obtention d’une carte d’identité où le troisième genre est inscrit, ainsi que des droits en matière d’héritage et des mesures ont été prises pour les protéger du harcèlement policier. L’État est allé encore plus loin : pour les réinsérer dans la société, des emplois dans la fonction publique leur ont été réservés. A Karachi, la plupart d’entre eux sont recrutés au service du fisc et collectent les impôts auprès des mauvais payeurs. Une alternative à la prostitution ou à la mendicité auxquels ils étaient confrontés. Un système donc où tout le monde trouve son intérêt mais qui reste un paradoxe dans cet État où, dans des régions reculées, les droits les plus élémentaires des femmes et des homosexuels restent souvent bafoués. 
Au reste, la reconnaissance d'un troisième genre s'explique aussi par ce refus viscéral de l'homosexualité. 

Pour aller plus loin sur ce sujet dans Terriennes : 
> Gabrielle Bouchard présidente de la Fédération des femmes du Québec fut un homme

> Choisir son genre : masculin, féminin, autre
Fluide, intersexe, trans, neutre, le champ lexical du genre s'élargit
Les mannequins transgenres, à la mode ?
Troisième sexe, genre neutre ou intersexué : la France fait un premier pas, puis recule