Pakistan : un crime si ordinaire...

Farzana Parveen a été lapidée à mort par sa propre famille à quelques mètres de la porte d’entrée du tribunal de grande instance de Lahore, la deuxième ville du Pakistan.  Il y a quelques années, elle avait épousé Iqbal, l’homme qu’elle aimait.  Inadmissible pour son père qui avait accusé son époux de l’avoir "kidnappée".
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Pakistan : un crime si ordinaire...
Le corps de Farzana Parveen après sa lapidation, devant le Tribunal de grande instance de Lahore
(DR)
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"Aucun regret"

Avec courage,  Farzana Parveen se rendait  au tribunal pour protester de son amour devant les magistrats. Contrairement à qu'affirmait son père, la jeune femme n'avait pas été enlevée. Elle aimait Iqbal. Elle l'avait choisi et vivait heureuse avec lui. Mais le couple est  tombé dans un guet-apens. Le père de Farzana, ses frères, et plusieurs membres de sa famille l’attendaient. Au total, une trentaine de personnes. Après plusieurs coups de feu tirés en l’air pour intimider le couple, la meute s’est jetée sur la jeune femme. Courte bagarre. Saisissant des briques d’un chantier de construction voisin, les membres de sa famille ont commencé la lapidation. Et Farzana Parveen a succombé à ses blessures. La scène s’est passée en plein jour, devant le palais de justice, sur une artère principale du centre-ville. Les policiers qui ceinturent d'ordinaire le tribunal étaient mystérieusement absents ce jour-là. Mais les témoins étaient nombreux. Et personne n’a bougé. Impuissant, Iqbal, le mari de Farzana, a déclaré : “Nous étions amoureux, Farzana et moi. La famille de ma femme voulait m’escroquer de l'argent avant que je ne  l’épouse. J’ai refusé et je me suis marié, ce qui a exaspéré sa famille. Toutes les personnes qui étaient présentes sont connues, elles ont été vues par tout le monde, il n'y a donc aucune raison que les agresseurs ne soient pas traduits en justice. Justice doit être faite ! ”  Et le mari éploré de confier à l'Agence France Presse (AFP) que "par amour" pour Farzana, il a tué sa première femme ", il y a six ans, par strangulation" !

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Des policiers pakistanais devant le tribunal de Lahore. Ils étaient absents lors du drame
(AAMIR QURESHI/AFP/Getty Images)
Quasi impunité

“5 femmes enterrées vivantes pour avoir voulu choisir leur mari”, “Son frère la défigure à coups de hache”, “Ils aspergent leur fille d’acide”, les titres chocs ne manquent pas dans la presse occidentale pour évoquer l’atrocité des “crimes d’honneur” au Pakistan. Mais dans le pays, les malheureuses occupent rarement les colonnes des journaux. Trop de cas. Dans son dernier rapport (en anglais), la Commission des droits de l’Homme du Pakistan dénombre 943 femmes tuées chaque année au titre de ces "crimes d'honneur". Un chiffre certainement très en dessous de la réalité, les familles des victimes réclamant rarement justice.
Pourtant, il n'est pas inutile de rappeler que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) de 1979 est entrée en vigueur au Pakistan le 12 mars 1996. La jurisprudence reconnaît majoritairement à une femme adulte le droit de contracter mariage avec l’homme de son choix sans le consentement de son wali (tuteur). Des mots. Dans les faits, le Ministère public continue d'assurer, par la clémence de ses peines ou l'absence de suite judiciaire à toutes ses affaires, la quasi impunité aux auteurs de ces meurtres.  "L’État ne parvient pas à protéger des abus et des violences » a réagi mercredi 28 mai la Commission des droits de l'homme du Pakistan.

Ce scandale des "crimes d'honneur" est pourtant régulièrement dénoncé, et à voix haute,  par les ONG. Rien ne bouge. " Les gens ont peur de parler car ils ont peur d'être accusés de blasphème ou de propos contraires à l'Islam " précise Samina Rehman, une militante féministe. Terrible spirale :  chaque crime impuni  sonne comme un encouragement pour le parent qui souhaite passer à l'acte. Il risque peu. Ou rien.

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Iqbal, près de la dépouille de sa seconde femme, Farzana. “Par amour“ pour elle, il a reconnu avoir étranglé sa première femme.
photo AFP
La pureté du sang

Simon Peterman, docteur en sciences politiques et professeur honoraire des universités de Bruxelles et Liège, a publié un rapport qui fait aujourd'hui autorité sur ces "crimes d'honneur" au Pakistan. Il pointe avec une pertinence bienvenue nombre d'idées reçues sur la question.

Ainsi, selon lui, rien de plus faux quand l'auteur de violences évoque le "bon respect de l'Islam" pour tenter de justifier ses actes.
Simon Peterman  est catégorique : "Le Prophète Mahomet n’a pas admis qu’on mariât la femme contre son gré, et déclara nul un mariage conclu contre la volonté de la femme. Le mariage forcé est explicitement interdit dans le Coran et un hadith dit : 'N’épouse pas une femme précédemment mariée sans son accord. N’épouse pas une vierge sans son consentement'. ".

Il explique par ailleurs que dans la tradition pakistanaise, les femmes sont considérées comme des objets. Selon lui, elles appartiennent littéralement "aux hommes de leur famille, peu importe leur classe sociale, leur origine ethnique ou leur communauté religieuse. Le propriétaire d’un bien a le droit de décider du sort de ce dernier. La notion de propriété a transformé les femmes en objets qui peuvent être échangés, achetés et vendus… Les droits de propriété sont en jeu au moment du mariage qui, dans la quasi-totalité des cas, est arrangé par les parents. La femme fait l’objet d’un échange lors du mariage : elle est remise à son époux contre le versement d’une compensation à son père, laquelle inclut parfois une autre femme donnée à ce dernier comme nouvelle épouse."

Difficile, sinon impossible de se soustraire à la tradition : " Certains mariages sont arrangés entre cousins dès leur naissance. Le mariage entre cousins paternels, idéal et privilégié par la société des pères, est une union quasi sacrée. Elle est supposée réaliser la pureté du sang en même temps que la cohésion du groupe et l’intégrité de sa fortune. Le fait de s’y soustraire constitue une atteinte grave à l’honneur des familles car la jeune fille se trouve au centre des exigences et des attentes de ses parents. C’est d’elle que dépend l’honneur du groupe. Et elle doit, pour préserver l’honneur de la famille comme celle de sa communauté, respecter les valeurs traditionnelles et adopter une conduite conforme à la culture d’origine. Pour cela, elle est contrainte de laisser ses rêves et ses projets d’avenir de côté. Seule la communauté compte, l’individu n’existe pas en tant que tel ". 

C'est donc le "tort" de Farzana. Elle voulait vivre ses rêves et construire un avenir commun avec l'homme qu'elle aimait, pourtant meurtrier de sa première femme.
Le père de Farzana, Mohammad Parveen, s’estime satisfait par la tournure des évènements. Il a déclaré à la police : “J'ai tué ma fille parce qu’elle avait insulté toute notre famille en épousant un homme sans notre consentement, et je n'ai aucun regret ".
Farsana Parvenne repose désormais dans son village de Jaranwala.
Elle avait 25 ans et était enceinte de trois mois.

“La police regardait en silence“

30.05.2014Le récit des faits par nos partenaires de France 3
Les réactions ont été nombreuses pour dénoncer l'apathie policière et citoyenne qui ont accompagné ce meurtre.
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