C’est sur les femmes que pèse le plus le fardeau sanitaire, sociétal et économique du paludisme. Les adolescentes, en particulier, ne bénéficient pas des services de lutte contre la maladie en raison d’inégalités de genre, et elles en subissent parfois les conséquences tout au long de leur vie. Quels sont les enjeux d'une lutte genrée contre le paludisme ?
Depuis l’an 2000, le monde a accompli des avancées extraordinaires dans la lutte contre le paludisme : les décès dus à cette maladie ont reculé de 60 % et les cas de paludisme de près de 40 %.
Ainsi, près de 7,6 millions de vies ont pu être sauvées, la charge qui pèse sur les systèmes de santé a diminué et des milliards ont pu être injectés dans l’économie mondiale. En vingt-deux ans, 24 pays sont parvenus à éliminer le paludisme et 25 autres sont en bonne voie d’élimination d’ici 2025.
Toutefois, ces progrès significatifs ont ralenti. Chaque année, des centaines de millions de femmes et d’enfants de moins de 5 ans sont tout particulièrement vulnérables au paludisme, comme l'indique
le rapport de RBM en partenariat avec Pour en finir avec le paludisme, dont l'ancienne présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf, coprésidente du
End Malaria Council, signe l'introduction
. Retrouvez l'article du webinfo ► Paludisme : une maladie plus meurtière qu'escomptée selon l'OMS Pandémie de covid et lutte contre le paludisme
En décembre 2021, l'agence de santé des Nations unies a déclaré que la réponse mondiale à la menace de longue date du paludisme a été sévèrement ralentie alors que la pandémie de coronavirus a perturbé les services de santé dans de nombreux pays, entraînant 47 000 décès supplémentaires dans le monde en 2020. L'Organisation mondiale de la santé, dans la dernière édition de son rapport mondial sur le paludisme, a recensé 241 millions de cas de paludisme en 2020, en hausse de 14 millions par rapport à l'année précédente, et 627 000 décès - soit une augmentation de 69 000. Les femmes des pays impaludés comptent parmi les personnes qui s’investissent le plus dans la lutte contre le paludisme, et pourtant, leur rôle est peu reconnu. Elles constituent 70 % du personnel de santé communautaire. Elles ont joué, au cours des deux dernières décennies, un rôle déterminant dans la réduction du nombre de cas de paludisme et de décès dus à cette maladie dans les communautés rurales et reculées.
Les femmes et les adolescentes sont également les principales contributrices à l’économie des soins dite "informelle". Mais s’occuper des enfants et de membres de la famille malades du paludisme plusieurs fois dans l’année les empêche de conserver un travail stable ou de se rendre à l’école.
Des questions de genre ignorées
La lutte contre le paludisme ignore depuis trop longtemps les questions de genre, non seulement en raison d’un manque de données désagrégées sur le nombre d’hommes et de femmes tombant malades et mourant du paludisme chaque année, mais également parce que les interventions vitales (distribution de moustiquaires de lit, pulvérisation d’insecticides à effet rémanent en intérieur, etc.) ne sont pas adaptées aux besoins et leur accès n’est pas ciblé.
Les questions de genre sont pourtant essentielles à une lutte efficace contre le paludisme. La maladie
"recule au sein des foyers où les femmes sont en mesure de participer aux décisions qui y sont prises", indique encore ce rapport,
"Cela leur permet en outre de devenir des modèles pour les autres femmes et filles de leurs communautés". Les investissements dans la lutte contre le paludisme axés sur le genre sont également source d’un double dividende car ils contribuent à la lutte, sur le long terme, contre bon nombre d’inégalités de genre inexorablement exacerbées par la maladie.
Ellen Johnson Sirleaf
"Car une amélioration de l’égalité de genre et une plus grande autonomie des femmes alimentent un cercle vertueux : un meilleur accès aux soins réduit les taux de mortalité infantile et accélère l’éradication du paludisme et d’autres maladies. Les investissements dans la lutte contre le paludisme axés sur le genre sont également source d’un double dividende car ils contribuent à la lutte, sur le long terme, contre bon nombre d’inégalités de genre inexorablement exacerbées par la maladie", écrit Ellen Johnson Sirleaf, coprésidente du
End Malaria Council.
"Au sein des foyers, certaines décisions sont prises selon une dynamique de genre, à savoir, par exemple, qui utilisera une moustiquaire de lit, si l’on va prodiguer ou non des soins à un membre de la famille et quand", pointe le rapport.
Certaines normes préconisent que, pour recevoir des soins, une femme doit obtenir l’approbation d’un homme ou être accompagnée d’un homme du foyer.
Rapport RBM partnership to end malaria
Selon les expert-e-s, la réactivité au sein d'un foyer,
"notamment dans un délai de 24 heures suivant l’apparition de la fièvre, dépend souvent du sexe de la personne malade, et les hommes et les garçons sont plus susceptibles d’être soignés. Certaines normes préconisent que, pour recevoir des soins, une femme doit obtenir l’approbation d’un homme ou être accompagnée d’un homme du foyer... La stigmatisation et les tabous liés à la grossesse, tout particulièrement à celle des adolescentes, sont autant d’obstacles qui empêchent les femmes d’être soignées lorsque cela est nécessaire", ajoute les auteur-e-s du rapport.
Adolescentes et femmes enceintes, en première ligne
Les adolescentes font face à des obstacles quasiment infranchissables au moment d’accéder aux services de santé, notamment pendant la grossesse. Cette situation maintient le paludisme au 5e rang mondial des causes de décès des filles âgées de 10 à 14 ans dans le monde, contribue à l’absentéisme scolaire, accroît leur risque d’exploitation sexuelle et de mariage et procréation précoces.
Pendant la grossesse, le risque de développer le paludisme s’accroît de manière exponentielle. La maladie s’attaque au placenta et accroît les risques qui pèsent sur la femme enceinte et son bébé à naître : décès, maladies, anémie et arrêt de la croissance. Ce risque persiste au cours des grossesses ultérieures.
En 2019, 11 millions de femmes enceintes en Afrique subsaharienne ont contracté le paludisme, ce qui a entraîné le décès de 10 000 mères et la naissance de près de 900 000 enfants en insuffisance pondérale.
Si les femmes et les adolescentes sont disproportionnellement vulnérables au paludisme et à ses effets,
"elles sont aussi à l’avant-garde de la lutte que mène le monde contre cette maladie : en tant que soignantes et agents de lutte antivectorielle dans la sphère publique, en tant que leaders communautaires et défenseuses de cette cause, en tant que leaders de la communauté du paludisme, et en tant que mères et soignantes au sein de leur foyer", insiste le rapport RBM.