Sur les 6000 rues parisiennes, à peine 300 portent le nom d'une femme. Avec "Parisiennes", l'historienne Malka Marcovich nous dévoile les destins hors du commun de ces héroïnes qui ont marqué l'histoire sans pourtant marquer les esprits.
"Dans le quartier des Halles, il y a le "Passage de la Reine de Hongrie". En fait, il s'agit de Julie Bêcheur, une ravissante marchande de fleurs. Elle a fait partie d'une délégation de femmes
qui est allée à Versailles. L'histoire raconte que Marie-Antoinette, brisant le protocole, est allée à sa rencontre, trouvant qu'elle ressemblait à sa mère, Marie-Thérèse d'Autriche, reine de Hongrie. Du coup, on a surnommé cette petite marchande "Reine de Mai". Cette rencontre avec la Reine l'avait totalement subjuguée. Julie Bêcheur a été guillotinée à la Révolution".
Malka Marcovich sait tout sur toutes ces femmes dont le nom figure sur la plaque d'une rue, d'une allée, d'un passage.
Sur les 6000 rues que compte Paris, 300 portent le nom d'une femme.
L'historienne reconnaît que l'élection d'Anne Hidalgo à la Mairie a sensiblement acceléré les choses : "
A l'époque où elle était première adjointe à la Mairie de Paris, elle était en charge de la commission pour la dénomination des voies. Elle s'est interessée au fait qu'il y ait une visibilité publique de ces femmes. Depuis 2011, il y a 110 noms de rues ou de jardins publics en plus".
Une loterie honorifique
Dans son ouvrage "Parisiennes, ces femmes qui ont inspiré les rues de Paris" (Edition Balland), Anne Hidalgo, qui signe la préface, précise la mécanique des attributions : "
Les propositions de nouveaux noms émanent de toutes les origines, des élus bien sûr, mais aussi de particuliers désireux d'attirer l'attention de la Ville sur des manques. Après examen et vote par la commission paritaire, les propositions sont votées en Conseil de Paris". Ce qui n'empêche pas le pouvoir d'influence dans cette loterie honorifique.
Ainsi, depuis quelques années,
Simone de Beauvoir s'est "libérée" du nom de Jean-Paul Sartre qui lui était toujours accolé. Désormais, une passerelle porte le nom seul de la philosophe. Il existe aussi une médiathèque
Marguerite Yourcenar, des jardins
Leonor Fini et
Pauline Roland, des bibliothèques
Germaine Tillion et
Hélène Berr.
Et Marie de Régnier flâna
C'est une immersion un peu étourdissante à laquelle nous convie Malka Marcovich. Pour cette nouvelle édition (la précédente datait de 2011), l'historienne a sollicité
l'aide d'un confrère, Jean-Marie Dubois.
Au fil des pages, nous flânons dans l'Histoire. Flâner ? Qui donc sait l'origine de ce mot ? Il provient d'une écrivaine, Marie de Régnier.
Pour publier dans le journal
Le Figaro en 1910, celle qui était la fille du poète franco-cubain José Maria de Heredia prenait le pseudonyme "Le flâneur".
"
Elle devait se cacher derrière le masculin pour être crédible aux yeux de ses contemporains" . Flâner ! Le mot, typiquement français, est intraduisible. Il signifie une balade un peu rêveuse, sans but précis.
Marie de Régnier est à présent le nom d'une modeste impasse dans le 16ème arrondissement de la capitale.
Marguerite Boucicaut, la trajectoire fabuleuse
Citons aussi l'extraordinaire destin de Marguerite Boucicaut.
Née dans la misère en 1816, elle épouse Aristide, l'inventeur des grands magasins et le créateur du célèbre
Bon Marché à Paris.
Au décès de son mari, elle a l'idée d'associer 123 membres du personnel, une première pour l'époque, afin d'assurer de concert la gérance de la florissante entreprise.
A sa mort, l'Assistance publique devient sa légataire universelle et son testament prévoit la création de trois maisons-refuges pour filles-mères, des "
Maisons écrit-elle,
pour recevoir, au moment de leurs couches les femmes non mariées qui auront eu pour la première fois, le malheur d’être séduites… "
Elle n'oublie pas dans ses legs l'Institut Pasteur, la création d'un hôpital, l'hôpital Boucicaut (aujourd'hui disparu). Elle coucha ses phrases :"
En léguant tout ce qui reste de ma fortune à l’Administration la plus puissante pour assister les malheureux, mon unique pensée a été de venir aussi utilement que possible au secours des souffrants et des misérables ".
La rue Marguerite Boucicaut (15ème arrondissement) est
proportionellement inverse à son immense générosité. Il s'agit d'une petite voie d'à peine 57 mètres de long.
Que faut-il donc faire pour mériter un boulevard ? La guerre, sans doute.
Evoquons enfin la rue Laure Surville (15ème arrondissement), du nom de celle qui fut la soeur de Balzac et le modèle de bien des personnages dans La comédie humaine.
L'ouvrage, s'il manque cruellement d'illustrations, est habilement chapitré ("Première femmes de guerre", "Les amantes et les reines deuxième époque", "République, Révolutions et soubesauts royalistes" etc.).
Et les surprises ne sont pas que dans le livre.
Des femmes qui disparaissent ?
L'auteure, Malka Marcovich, nous avait donné rendez-vous Promenade Claire Lacombe près de l'allée Pauline Léon (11ème arrondissement) pour parler de son ouvrage.
Si nous avons bien trouvé l'historienne.... rien du tout pour l'allée et la promenade !
Et Malka en était un peu dépitée: "
Alors quoi ? On met une plaque et on l'enlève ? Souvent, on met une plaque de manière provisoire, le temps d'une inauguration, que ce soit installé, mais là, je ne les trouve plus. Pourtant, l'allée Pauline Léon a été nommée en 2015. Pour les touristes qui la chercheraient avec mon livre, ils auraient du mal à la trouver..." Pour la prochaine réédition de l'ouvrage, l'historienne devra sans doute écrire un nouveau châpitre : "Les disparues de Paris".
Parisiennesde
Malka Marcovich
(Edition Balland)
Prix : 25 euros