Parité des représentations dans la presse française ? Invisibles femmes

Le dernier rapport établi par Pressed, banque de données sur les médias français (journaux papier, audiovisuel, sites d'info en ligne) raconte, une fois encore, une réalité désagréable de la presse française : les femmes y sont très peu visibles. La représentation paritaire des personnalités des deux sexes reste un objectif qui semble encore bien lointain. 
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Femmes et médias en France

Le top 3 des femmes les plus citées dans la presse française en 2017 : Marine Le Pen, candidate Front national (parti d'extrême droite) à la présidentielle en France ; Angela Merkel, chancelière de l'Allemagne ; Theresa May, cheffe du gouvernement du Royaume Uni.

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Invisible deuxième sexe dans nos journaux ou sur nos écrans en France. A lire ou regarder les médias français, les femmes occupent une place minuscule dans un monde dominé par les hommes. Sur les 1000 personnalités les plus médiatisées en 2017, un rapport de la plateforme Pressed (banque de données sur les médias) en parteniat avec le magazine économique Forbes, publié le 2 janvier 2018, ne dénombre que 16,9% de femmes (16,8% en 2016, soit une absence remarquable de progression). La comptabilité a été menée du 1er janvier au 12 décembre 2017.
Ce qui revient à dire que 83,1% des personnes les plus médiatisées en 2017 sont des hommes.

Et en plus, on régresse. En 2013, même si elle était encore très faible - 19,2% - la proportion de femmes parmi les personnalités les plus médiatisées était supérieure à celle 2017. Et elles étaient 17,3% en 2014.

Les femmes à la culture, les hommes aux finances 

Aucune réelle surprise dans la répartition des têtes d'affiche selon les secteurs. Là où se concentre le pouvoir réel, l'économie, ce sont les hommes que l'on voit et qui dominent : les femmes visibles y sont seulement 1%, soit deux femmes face à 41 businessmen. Les "heureuses" élues le sont pas forcément pour de bonnes raisons : d'abord la patronne de la FNSEA - Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles -, Christiane Lambert, dont on a beaucoup parlé, parce qu'elle succédait à son populaire prédécesseur, Xavier Beulin, mort brutalement, devenant la première femme à diriger cette puissante union professionnelle ;  la seconde se trouve être  Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, dont le nom est souvent revenu à la Une à l'occasion de propos peu amènes du pouvoir politique sur le service public de l'audiovisuel français, depuis l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République en mai 2017. 

Delphine Ernotte et Christine Lambert

Sans surprise, c'est dans la catégorie "culture et médias" que les femmes sont le plus citées (47%) suivie de la catégorie politique (39%), élection à l'Assemblée nationale oblige, qui a vu l'arrivée dans l'hémicycle de femmes inconnues en politique mais aussi de têtes d'affiche telles la présidente du Front national (extrême droite) et candidate à la présidentielle Marine Le Pen qui trône donc en début de classement. La crise en Allemagne consécutive aux élections générales de septembre 2017, la difficile négocitaion du Brexit entre le Royaume Uni et l'Europe, ont maintenu la chancelière allemande Angela Merkel et la Première ministre britannique Theresa May sur le devant de la scène.

Elles précèdent la Mairesse de Paris Anne Hidalgo, affichée ainsi pour l'organisation des JO dans la capitale française en 2024 ; Ségolène Royal devenue ambassadrice des pôles, sujet important et récurrent lié au dérèglement climatique ; et enfin Hillary Clinton, défaite à la présidentielle américaine. 

Femmes et médias en France 2

Dans la catégorie "culture et médias", les femmes les plus citées dans la presse en 2017 ont été dans l'ordre : Isabelle Huppert, Kim Kardashian, Beyoncé Knowles, Ariana Grande et Rihanna.

La plateforme Pressed nous explique encore que "ce classement a été établi à partir des 1500 premiers titres de la presse française (presse quotidienne nationale, presse quotidienne régionale, presse magazine – hebdomadaire et mensuelle – presse hebdomadaire régionales presse professionnelle et spécialisée) et de 1500 sites du web éditorial : sites des titres de PQN, PQR, PHR, presse magazine et pure players, y compris les articles derrière paywall. Les articles paraissant dans plusieurs éditions de publications print régionales ne sont comptabilisés qu’une fois."

Nécessaires autocritiques menées par l'AFP et Le Temps

En Suisse, le quotidien Le Temps, grâce à une lectrice assidue, a rendu compte de cette comptabilité des genres, ce manque de femmes citées dans ses pages : "Dans un coin de page griffonné, le décompte des femmes représentées en photo dans l’édition du jour. Et ce constat sans appel: 17 hommes pour 5 femmes. Le jeudi 23 novembre 2017 sur Twitter, Le Temps a reçu le coup de griffe d’une lectrice accompagné de ce hashtag aux allures de sentence: #invisibilisation."

Représentation des femmes dans ses pages : quand Le Temps fait son autocritique

A l'AFP, l'Agence France Presse, l'année 2017 a également été propice à une réflexion sur la place des femmes et des hommes dans la couverture médiatique. A l'initiative de Michèle Léridon, première femme nommée à la tête de la Direction de l'Information de l'agence, une étude a été diligentée, et ses conclusions devraient se traduire par une série de recommandations qui vont être rajoutées, dès ce mois de janvier 2018 au Manuel de l'Agencier, petite bible des 1513 journalistes de la troisième agence d'information mondiale. " Dans son dernier rapport annuel, le CSA conclut à une sous-représentation des femmes, qui ne représentent que 38% des personnes à l'antenne, et déplore la faible part d'expertes (30%). Si l'Agence France Presse n'a pas à rougir de sa production, elle ne peut échapper à la réflexion. Et se doit, pour assumer la mission d'intérêt général qui lui est assignée, d'être exemplaire en la matière." est-il énoncé en préambule du Rapport sur la représentation des femmes dans la production de l'AFP. 

Mieux parler des femmes pour les rendre plus visibles dans les médias

Les deux rapporteures s'interrogent donc : "Comment parler des femmes ?". D'abord en écrivant et en parlant au féminin, répondent-elles. "Nous avons constaté au cours de notre tournée des services à Paris que les desks comme les services de production se posaient la question de la féminisation des titres et fonctions. (.../...) Au contraire de ce que l'on entend parfois, le masculin n'est pas l’équivalent d’un neutre, et il ne l'a pas toujours "emporté" grammaticalement, comme le démontrent nombre de travaux universitaires. Quant à la laideur supposée de certaines déclinaisons("cheffe" ou "rectrice"), elle ne saurait être un argument pour nier la féminisation certaine de nombreux métiers, et l'arrivée de femmes à des fonctions longtemps occupées seulement par des hommes." Leurs propositions qui s'appuient sur le "Guide d'aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions" du Haut conseil à l'égalité, s'arrête cependant aux marches, encore infranchissables, de l'écriture inclusive. 

Ecriture inclusive : de quoi parle-t-on ? Le débat sur TV5MONDE et TERRIENNES

D'autres recommandations s'attaquent à l'insuffisante sollicitation d'expertes, au vocabulaire choisi pour la description des femmes ou encore celui appliqué au "fait divers", en particulier lorsqu'il s'agit de violences faites aux femmes : "dans nos archives, nous comptons pas moins de 650 dépêches mentionnant l'expression "crime passionnel", 167 parlant de "drame de la séparation" et 839 "crimes d'honneur". Ces expressions ne sont pas toutes citées entre guillemets. Absentes du code pénal et donc sans aucune valeur juridique, elles sont utilisées dans la plupart des cas par la défense pour expliquer, voire pour "excuser" le crime ou dédouaner l'homme de sa violence. Elles sont donc à proscrire de notre production, si elles sont utilisées en titre ou sans guillemets."

Ce salutaire travail introspectif mené par Le Temps et l'AFP devrait être mis en oeuvre dans toutes les rédactions de France et de la Francophonie.
A commencer par celle de TV5MONDE.  
A suivre... 

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