La bombe qui explosa la morale
Elle incarnera, à jamais, un symbole sexuel dévastateur, affolant, irrésistible dans une Italie chrétienne, corsetée, qui avale l’hostie le dimanche en pensant au fruit défendu. Une Italie d'après-guerre, où la morale commandait la libido.
C'est ainsi. Anita Ekberg, moderne et sensuelle, affolait les hommes. Comme Marilyn, Ava, Brigitte ou Ursula... Il aura fallu toute la force d'un président du Festival de Cannes, un certain Georges Simenon, pour imposer la vision novatrice d'un génial réalisateur, un certain Federico Fellini.
En choisissant "L'éblouissante beauté, la couleur lunaire de la peau, le bleu clair glacé du regard" (dixit Fellini, très ému semble-t-il..), bref en faisant tourner Anita Ekberg dans son film "La Dolce Vita", il lui offrit un visa pour la postérité.
Jusque là, Anita (née Kerstin Anita Marianne Ekberg à Malmö en Suède) avait tenté sa chance à Hollywood mais l'ex-miss Suède, cuvée 1950, n'y remporta jamais le succès espéré bien que ses partenaires eurent pour nom John Wayne, Audrey Hepburn ou Henry Fonda. Elle reçut malgré tout le Golden Globe en 1955 du meilleur espoir féminin. L'espoir en question se concrétisa en Italie.
"La Dolce Vita" décroche la Palme d'or en 1960. Et un joli scandale. "Marcello et moi avons échappé de justesse au lynchage. J'ai pris un crachat à la figure, lui a reçu des insultes comme fainéant, lâche, débauché, communiste. On en est arrivé à demander que le film soit brûlé et que je sois privé de passeport", racontera-t-il.
La belle, du jour au lendemain, prit l'ascenseur pour les étoiles. Anita était star. La scène où elle est immergée dans la fontaine de Trévi restera un sommet d'érotisme dans l'histoire du 7ème art. Ce fut pourtant cette scène qui l'emprisonna à jamais dans la mémoire du public.
Les premiers temps, elle s'amusait du remue-ménage qu'elle provoquait. Sans cesse, les journalistes la présentaient comme une sorte de bête sexuelle, excitante et vorace. "C'est moi qui ai rendu Fellini célèbre, pas le contraire", disait-elle crânement. Un joli mensonge.
Star sans lumière
Malgré des rôles sur mesure avec des réalisateurs haut de gamme (Risi, Terence Yong, Vittorio De Sica...), elle ne retrouvera jamais vraiment les faveurs du public, comme noyée dans une fontaine qui avait pourtant fait sa gloire. Elle tournera ensuite dans quelque 70 films. "Certains étaient bons et d'autres moins bons" dira-t-elle pudiquement.
Côté cœur, elle enverra promener Dino Risi, Frank Sinatra (qui, modèle d'élégance, la surnomma "l'iceberg"...) ou encore Gianni Agnelli, le patron de Fiat. Elle se mariera et divorcera deux fois. La première avec l'acteur britannique Anthony Steel (qu'elle décrira comme "un ivrogne notoire") et la seconde, avec l'acteur Rik van Nutter. Le premier mariage dura deux ans. Le deuxième douze.
La solitude la mordit au début des années 70. Elle s'éclipsa doucement, pris du poids. La madone buvait. Ses apparitions devinrent rares. Elle ne manquait à personne. Star sans lumière, elle vivait avec ses chiens, en banlieue de Rome, quand, un jour, un cambriolage la priva de ses bijoux et, un autre, un incendie lui fit perdre sa maison.
La télévision continuait à l'inviter cependant. Pas sur ses projets mais sur son passé, sur la "Dolce Vita", toujours, ses rapports avec Marcello, et puis aussi une question "brûlante": avait-elle eu une aventure avec Fellini ? Des questions, oui, toujours les mêmes. Une vie dans le rétroviseur.
Geste de charité ? Coup publicitaire ? En 1987, Fellini lui fait jouer son propre rôle dans "Intervista". Elle retrouve Mastroiani, "un homme timide, introverti, solitaire et bon" disait-elle. Elle retrouve Marcello mais pas le succès dans ce film stupéfiant qui réunit deux stars vieillies, victimes du temps qui passe et des goûts qui changent. Choc d'une scène où la star bouffie, méconnaissable, revoit les images d'une beauté, la sienne, disparue à jamais. On pense à Cocteau :"Le cinéma filme la mort au travail..."
La suite ne fut qu'une longue décrépitude. Anita, sans enfant, oubliée de tous, vivait dans une solitude quasi inhumaine. Quelques paparazzis sans scrupule photographiaient encore les avancées de sa déchéance. Puis plus rien.
Elle tomba dans l'oubli.
“Intervista“ de Federico Fellini (1987)
Extrême pauvreté
Elle reparut au mois de décembre 2011, hélas, pas à la page des spectacles. Le quotidien italien La Stempa révéla : "Anita Ekberg, la fatale Sylvia de "La Dolce Vita" n'a plus un sou. Elle vit dans la misère et demande de l'aide. Elle se trouve aujourd'hui dans une situation d'extrême pauvreté."
La star oubliée revenait à la mémoire des gens par la petite porte de la mémoire. Humiliant. Le journal indiquait que la Fondation Fellini de Rimini avait reçu une lettre pour demander une aide financière. L'actrice, qui venait d'avoir 80 ans, résidait "dans une maison de soins infirmiers" et souffrait "des séquelles d'une fracture du fémur." Elle ne marchait plus et avait perdu son autonomie.
Dans son testament, elle souhaite être incinérée et ses cendres envoyées en Suède. Depuis l'annonce de sa mort, les télévisions rediffusent la Dolce Vita.
Toujours le même film.
A jamais.