Fil d'Ariane
Après 48h d'embrasement dans les médias et sur la twittosphère, Decathlon jette ... le hijab. Au delà de la polémique, cette affaire met en lumière les différents courants qui s'opposent chez les féministes. D'un côté, les anti-voile qui y voient une contrainte et un signe de soumission, et de l'autre, celles qui défendent le libre choix de chacune, dénonçant une injonction de plus appliquée aux femmes.
Suite à de nombreux débats internes, et pour garantir la sécurité de nos collaborateurs en France : pic.twitter.com/0IePfSUkm9
— Decathlon (@Decathlon) 26 février 2019
Quelques heures plus tôt (et même au lendemain du recul de Decathlon), le sujet est en "trending topic" (comprenez sujet très discuté, tendance) sur Twitter. Les hashtags #hijab, #Decathlon et même "Yann", prénom du community manager de la chaîne de magasins de sport, fleurissent et font vibrer les portables au rythme des alertes. La classe politique, de droite comme de gauche, et certaines voix féministes se joignent elles aussi au commun des twittos pour faire valoir leurs avis sur le sujet.
L'enseigne n'aurait cependant pas été la première à le faire, puisque la marque Nike commercialise un hijab destiné à la pratique sportive depuis 2017.
Première à monter au créneau, la classe politique, à commencer par des femmes.
Lydia Guirous, porte-parole Les Républicains, voit dans la commercialisation de ce hijab de sport une "association entre le communautarisme et le libéralisme économique".
Décathlon se soumet également à #islamisme qui ne tolère les femmes que la tête couverte d'un hijab pour affirmer leur appartenance à la oumma et leur soumission aux hommes#Décathlon renie donc les valeurs de notre civilisation sur l'autel du marché et du marketing communautaire pic.twitter.com/3AFRAXmPCt
— Lydia Guirous (@LydiaGuirous) 24 février 2019
#Decathlon et la vente d'un hijab de course : "C'est légal mais c'est une vision de la femme que je ne partage pas. J'aurais préféré qu'une marque française ne promeuve pas le voile", @agnesbuzyn dans #RTLMatin pic.twitter.com/8oOEgAywzM
— Elizabeth Martichoux (@EliMartichoux) 26 février 2019
Le sport émancipe. Il ne soumet pas. Mon choix de femme et de citoyenne sera de ne plus faire confiance à une marque qui rompt avec nos valeurs.
— Aurore Bergé (@auroreberge) 26 février 2019
Ceux qui tolèrent les femmes dans l'espace public uniquement quand elles se cachent ne sont pas des amoureux de la liberté.#Decathlon
Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, a appelé au boycott de la marque et a demandé que le produit soit retiré de la vente. "J'ai deux filles et je n'ai pas envie qu'elles vivent dans un pays où la place des femmes dans la société régresse comme en Arabie Saoudite", a-t-il déclaré sur France 2.
Tollé également du côté de certaines associations féministes. En tête, la Ligue du droit international des femmes. "Je suis choquée", déclare Anne Sugier, présidente de l'association , interrogée par Terriennes. "Le sport est régi par des principes universels de neutralité, qui sont plus puissants que la laïcité. Les lieux où se pratiquent le sport de haut niveau interdisent toute expression politique ou religieuse", poursuit-elle.
Elle aussi, à l'instar de Nicolas Dupont-Aignan, évoque l'Arabie Saoudite ainsi que l'Iran. "Le sport posait un problème à l'Iran, qui a imaginé un modèle qui couvre les femmes de la tête aux pieds, et a réussi à l'imposer dans le sport. L'Arabie Saoudite, son ennemi juré, a rejoint l'Iran sur ce point"
L'association "Comité Laïcité République", qui s'est donné pour mission de promouvoir la laïcité dans le débat public, et la "ligue du droit international des femmes" publient un communiqué commun :
Communiqué de la Ligue du Droit International des Femmes et du Comité Laïcité République concernant la vente par #Décathlon de "hidjab running". #hijab
— Les VigilantEs (@Les_VigilantEs) 24 février 2019
Des sportives entravées avec la complicité de marques occidentales. @comitelaicite @anniesugier pic.twitter.com/SAMDjpln73
Les deux associations y parlent d'"apartheid sexuel" et comparent la situation à l'apartheid racial qui avait cours en Afrique du Sud. Et la comparaison n'est pas outrancière pour Anne Sugier. "On est bien dans une vision politico-religieuse", explique-t-elle. "Pour nous, c'est une manière de relayer la ségrégation entre les sexes. Le problème, c'est la signification de ce qu'elles portent. Le hijab met une barrière entre leurs corps et les hommes dans l'espace public. Le sport est apolitique et areligieux. La seule chose qui doit unir les sportifs est l'aspiration à l'excellence".
Notre service client a reçu plus de 500 appels et mails depuis ce matin. Nos équipes dans nos magasins ont été insultées et menacées, parfois physiquement.
— Decathlon (@Decathlon) 26 février 2019
Pour vous donner une idée, voici le type de messages qu’on reçoit : pic.twitter.com/4ZjkRlgm2U
Bonjour@Decathlon, il parait que vs accédez à n’importe quelle demande, les membres de la #AmericaInvisibleEmpire aka le #KKK, souhaiteraient vs confier la réalisation d’1 cagoule respirante et non gênante afin de faciliter leurs activités nocturnes. Bon retour sur investissement https://t.co/L8R9G6lHey
— Marie France Blin (@espritlaique2) 26 février 2019
@Decathlon, une vraie entreprise lèche-babouches, 100% halal, comme on l'aime. Bientôt le burkini chez Decat' ? Je l'attends de pied ferme pour sortir ma femme.
— Antipolitiquementco (@Antipolco) 25 février 2019
Plus sérieusement, quelle honte de la part de #Decathlon. Où sont passées vos valeurs ?! @LydiaGuirous @valerieboyer13
Les femmes voilées ont le droit d’exister en France, d’être dans l’espace public, d’aller sur les plages, d’étudier à l’université, de gagner leur vie, de construire leur propre chemin d’émancipation comme chacune de nous le fait ! #hijab #Decathlon https://t.co/wctJgtoczc
— Les effronté·es (@efFRONTees) 26 février 2019
- Des femmes musulmanes portent une foulard: «c’est une offense au féminisme, il faut libérer leurs corps!»
— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) 26 février 2019
- Des femmes voilées disposent de leurs corps et pratiquent un sport à l’extérieur de chez elles: «c’est une offense au féminisme, il faut les en empêcher!»
#Decathlon
Ne jamais oublier que la condition première d'une femme dans l'espace public c'est d'être accessible à la relation amoureuse ou sexuelle pour un homme. Sinon, « c'est violent » pour le mâle. pic.twitter.com/rGcCCkgj1N
— Emmanuel Dee (@Emmanueldi) 26 février 2019
"On peut être féministe et porter le voile"@RokhayaDiallo #CPolitique pic.twitter.com/z8DJBU3p7T
— C Politique (@CPolF5) 14 janvier 2018
Pour Ibtihaj Muhammad, escrimeuse américaine médaillée aux Jeux Olympiques de Rio en 2016 et première athlète voilée à représenter son pays, le voile ne constitue en aucun cas un frein aux performances sportives. Elle milite pour l'autorisation du port du voile dans le sport par celles qui le souhaitent. Elle déclarait en 2016 : « Je suis excitée à l’idée de combattre les stéréotypes et les préjugés que les gens ont sur les femmes musulmanes. Je ne veux pas seulement montrer que nous pouvons faire partie de n’importe quelle équipe olympique mais aussi de celle des Etats-Unis qui est l’une des plus fortes au monde ».
La championne américaine apparaît dans le dernier spot publicitaire de la marque Nike dévoilé au cours de la cérémonie des Oscars, le 24 février dernier. La voix off commente : "Une femme en compétion qui porte le hijab [...] est taxée de folie. Si on veut vous qualifier de folle, très bien. Montrez leur ce que la folie est capable de faire"
Show them what crazy dreams can do. #justdoit pic.twitter.com/3fo2XMVkBT
— Nike (@Nike) 24 février 2019
Le journal américain Washington Post raille la France sur cette énième polémique autour du voile. "Ce que les femmes musulmanes choisissent de porter est un sujet controversé en France, une société officiellement laïque qui interdit les signes et symboles religieux dans la vie publique - à l'exception, bien sûr, des crèches et des arbres de Noël décorant les mairies pendant les fêtes de Noël. De même, les agences gouvernementales ferment pratiquement toutes les vacances catholiques", écrit le journaliste James McAuley.
En Francophonie, chez les voisins belges, "Il y a eu plusieurs tentatives pour limiter drastiquement le port du foulard" explique Florence Hainaut, journaliste à la RTBF. " Il y a eu plusieurs propositions de lois en ce sens. Aucune de ces propositions n'a été acceptée. La plupart des interdictions d'habillement religieux a été instituée après le 11 septembre 2001, dans un contexte d'islamophobie croissante. La France a été la cheffe de file de cette tendance, sur fond de débats publics particulièrement animés. La France et la Belgique sont aujourd'hui les deux pays qui ont le plus d'interdictions, de jurisprudence, d'interdictions institutionnelles ou de pratiques interdisant les vêtements religieux pour les femmes musulmanes".
Charline Vanhœnacker, "la plus française des Belges" a consacré sa chronique sur France Inter du mercredi 27 février à la polémique autour du hijab de Decathlon. "On vit dans un pays où un hijab proposé par Decathlon choque davantage que leurs tentes qui s'accumulent dans les rues de Paris".