Fil d'Ariane
La lutte contre la chute de la natalité est une priorité pour le Japon, mais les femmes ont peu voix au chapitre sur ce sujet. C'est donc sur les réseaux sociaux qu'elles se tournent pour se faire entendre, rassemblées sous le mot-dièse "pas d'enfants pour la vie".
En 2022, l'archipel nippon recensait moins de 800 000 naissances. Jamais la natalité n'avait été aussi faible depuis l'établissement des statistiques, en 1899. Beaucoup de pays industrialisés enregistrent un faible taux de natalité, mais le problème est particulièrement aigu au Japon, qui a la deuxième population la plus âgée au monde après Monaco, et connaît une pénurie croissante de main-d'oeuvre, en raison, également, de strictes règles d'immigration.
En janvier 2023, le Premier ministre Fumio Kishida alertait face à cette tendance qui, dit-il, menace la capacité du Japon "à fonctionner en tant que société". Le Premier ministre a promis des aides financières pour les familles, un accès plus facile aux services de garde d'enfants et plus de congés parentaux.
Avant, je croyais qu'avoir des enfants était la chose 'normale' à faire.Tomoko Okada, 47 ans
Depuis, d'innombrables articles sur la question ont été publiés. L'un d'entre eux, notant que le Japon a le plus fort taux de femmes de plus de 50 ans sans enfant dans l'OCDE, a déclenché des torrents de commentaires en ligne sous le mot-dièse "sans enfant pour la vie".
Au départ, Tomoko Okada redoutait de lire sur les réseaux sociaux les habituelles critiques envers les femmes sans enfant, mais elle a finalement découvert avec plaisir des discussions nuancées et empathiques. Les femmes expliquent pourquoi elles n'ont pas pu, ou voulu, être mères. "Avant, je croyais qu'avoir des enfants était la chose 'normale' à faire", explique cette écrivaine de 47 ans.
Par le passé, elle s'est inscrite, sans succès, sur des sites de rencontre dans l'espoir de trouver un partenaire. Elle a fait l'amère expérience de se sentir coupable quand son père lui a demandé un petit-enfant le jour de la fête des pères. Mais partager son expérience avec d'autres lui a fait réaliser que son "mode de vie était aussi acceptable", se félicite-t-elle.
Mais alors que le Japon compte seulement deux femmes dans son gouvernement et plus de 90% d'hommes à la chambre basse de son Parlement, beaucoup se sentent mises à l'écart du débat public, voire attaquées. "N'accusez pas les femmes du faible taux de natalité", tweete Ayako, une Tokyoïte de 38 ans sans enfant qui plaide en ligne pour la reconnaissance de "différents choix" de vie. À ses yeux, la répartition traditionnelle des rôles au Japon est au coeur du problème, alors que selon une étude du gouvernement en 2021, les Japonaises consacrent quatre fois plus de temps aux enfants et aux tâches ménagères que les hommes, pourtant de plus en plus nombreux à télétravailler.
J'ai l'impression que les femmes sont très critiquées lorsqu'elles expriment leurs opinions.
Ayako, 30 ans
Si elle n'hésite pas à s'exprimer sur internet, Ayako se sent "mise à l'écart" lorsqu'elle aborde ces questions dans la vie réelle : "J'ai l'impression que les femmes sont très critiquées lorsqu'elles expriment leurs opinions", regrette cette trentenaire qui préfère ne donner que son prénom.
Pour Yuiko Fujita, professeure d'études de genre à l'université Meiji, les réseaux sociaux sont un moyen pour les femmes de discuter de politique et de questions de société sans craintes, souvent sous couvert d'anonymat. Des mots-dièse s'indignant que les mères s'occupent seules des enfants ou se plaignant de demandes d'inscription en crèche rejetées sont aussi devenus viraux sur Twitter, mais cela n'a eu que peu d'impact hors de cette "chambre d'écho" en ligne, souligne-t-elle.
Familism has strange forms of survival. Yuiko Fujita, a sociology professor at Meiji University explains: “The idea that it’s the mother’s responsibility to take care of children and their excrement is deeply rooted.” https://t.co/wQmHERHaVr
— Paulo Pedroso (@paulopedroso) August 15, 2022
Les experts pointent de multiples causes au problème complexe de la baisse de natalité au Japon, dont sa rigide structure familiale. Seules 2,4% des naissances du pays ont ainsi lieu hors mariage, le plus faible taux parmi les pays de l'OCDE. D'autres pointent les conditions économiques, estimant que la faible croissance du pays décourage les couples d'avoir des enfants.
Des actions concrètes pour permettre un meilleur accès aux services de garde d'enfants peuvent contribuer à stimuler les taux de natalité, mais de manière souvent "temporaire", note Takumi Fujinami du Japan Research Institute. Selon lui, outre une meilleure répartition des tâches ménagères, "la stabilité économique à long terme et l'augmentation des salaires sont primordiales" pour inverser la tendance.
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