Fil d'Ariane
"Je suis un être humain . J’aspire aussi parfois à la joie, à la lumière et au plaisir au milieu de ces nuages sombres."
Obligée de se justifier pour avoir osé... danser ?!
Voilà la raison qui plonge depuis plusieurs semaines dans la tourmente la Première ministre finlandaise Sanna Marin.
A l'origine du "scandale", une vidéo rapportée dans les tabloïds et relayée sur les réseaux sociaux au coeur de l'été. Dans ces images, on voit la dirigeante danser et boire avec des ami-e-s anonymes ou célèbres, lors d'une soirée privée. "Chocking !" Ses opposants de droite sont même allés jusqu'à réclamer un test antidrogue, auquel la jeune femme s’est prêtée et qui s'est révélé négatif.
Mais la polémique s'est encore renforcée après la publication d'une photo de deux femmes soulevant leur haut lors d'une fête organisée en juillet à la résidence officielle de la cheffe du gouvernement, contraignant Sanna Marin à faire des excuses publiques. "Je pense que la photo est inappropriée, je m’en excuse", a-t-elle déclaré, l'air contrit, pour désamorcer la crise. "Elle n’aurait pas dû être prise.", a-t-elle ajouté.
Selon un sondage publié par le quotidien de référence Helsingin Sanomat, 42% des Finlandais disent que leur opinion s'est détériorée sur leur Première ministre à la suite de l'affaire.
Top story: @BFMTV: ' "Je suis un être humain. Moi aussi, j'ai parfois envie de joie, de lumière et d'amusement"
— Jacques Morissette (@jamaislu) August 26, 2022
La Première ministre finlandaise Sanna Marin au bord des larmes, après la polémique suscitée par des … pic.twitter.com/Ll3W79ol26, see more https://t.co/p8WStTtwav
Face à cette polémique, les femmes du pays ont décidé de dénoncer ces critiques jugées sexistes en lui apportant leur soutien. Par dizaines, elles ont publié des vidéos sur lesquelles on les voit danser accompagnées du hashtag #SolidarityWithSanna.
“Solidarity with Sanna”
— Megha Mohan (@meghamohan) August 20, 2022
Women in Finland are posting videos of themselves partying while tagging Prime Minister Sanna Marin. pic.twitter.com/Bl1M4r0bky
Et ce soutien a largement dépassé les frontières finlandaises. L'ex-Première dame des Etats-Unis Hillary Clinton a tenu elle aussi à montrer que, oui, une femme politique, aussi, avait le droit de faire la fête. Aujourd'hui âgée de 74 ans, celle qui a dirigé la diplomatie américaine de 2009 à 2013 sous la présidence de Barack Obama a publié une photo d'elle en train de danser le bras levé, prise en avril 2012 dans le Café Havana, à Carthagène, en Colombie. "Me voici à Carthagène lorsque j'y étais pour une réunion en tant que secrétaire d'Etat", a écrit Hillary Clinton, en ajoutant: "Continue à danser, @marinsanna".
As Ann Richards said, "Ginger Rogers did everything that Fred Astaire did. She just did it backwards and in high heels."
— Hillary Clinton (@HillaryClinton) August 28, 2022
Here's me in Cartagena while I was there for a meeting as Secretary of State.
Keep dancing, @marinsanna. pic.twitter.com/btAtUFOcNV
En trois ans comme cheffe du gouvernement, celle que les tabloïds finlandais ont rebaptisé "Sanna la fête" s'est pourtant construit une réputation de Première ministre compétente et sérieuse, qui a su mener la Finlande à travers la pandémie puis sur les chemins de l'Otan. "Les gens se sont habitués à la voir comme une dirigeante de crise", souligne l'universitaire Anu Koivunen à l'AFP. "En tant que politicienne, elle est respectée. Elle est à la fois ferme et ouverte à la discussion", abonde Emilia Palonen, chercheuse en sciences politiques à l'Université d'Helsinki.
Mais, comme le rapporte le magazine Elle, ce n’est pas la première fois que Sanna Marin est prise pour cible par l’opposition. "L’an dernier, c’est la couverture d’un magazine de mode où l’on devinait son décolleté sous un costume strict qui avait fait grincer des dents", rapporte le magazine.
En décembre 2021, elle avait été critiquée pour être sortie en boîte de nuit avant qu'on parvienne à l'informer qu'elle était cas contact au Covid-19.
"Sanna Marin aurait dû savoir que, en 2022, une jeune femme politique qui danse (Alexandria Ocasio-Cortez, aux États-Unis), c’est encore et toujours l’ensorceleuse et la possédée–MataHarietBB–, une mauvaise fille. Alors qu’un homme politique surpris en boîte de nuit, c’est, au pire, un « kéké »", s'insurge le magazine Elle.
Pour tenter de sortir d'une crise politique qui la minait depuis des semaines, la Finlande avait choisi en décembre 2019 d'élire la plus jeune cheffe du gouvernement de son histoire, mais aussi de la planète. Elle était alors âgée de 34 ans.
Née le 16 novembre 1985, Sanna Marin, était la ministre des Transports du gouvernement sortant. Au poste de maire de Tampere, la seconde ville du pays, où elle a également fait ses études, elle s'est forgée une réputation de dirigeante à poigne, sans langue de bois. Elle a grandi, au sein d'une famille "arc-en-ciel" - élevée par sa mère et la compagne de celle-ci - qui a, dit-elle : "modifié ma vision de l'égalité des sexes, de l'égalité en général et des droits humains".
Il n'a été possible de parler assez librement des familles arc-en-ciel que dans les années 2000.
Sanna Marin, Première ministre de Finlande
Dans une interview accordée en 2015 à l'hebdomadaire finlandais Me Naiset ("Nous les femmes"), elle racontait qu'enfant, elle se sentait "invisible", faute de pouvoir s'ouvrir aux autres de sa différence : "C'était une chose dont on ne parlait pas. Il n'a été possible de parler assez librement des familles arc-en-ciel que dans les années 2000", explique-t-elle.
Je n'aurais pas pu m'en sortir et avancer sans l'Etat-providence et le système éducatif solide que nous avons en Finlande
Sanna Marin, Première ministre de Finlande
Sanna Marin elle-même est un pur produit du Parti social-démocrate de Finlande, le SDP, qui s'est construit sur les luttes ouvrières pendant la révolution industrielle. Ses origines modestes ont contribué à définir son engagement politique. "Je viens d'une famille pauvre, et je n'aurais pas pu m'en sortir et avancer sans l'Etat-providence et le système éducatif solide que nous avons en Finlande", explique-t-elle.
En avril 2019, le SDP remporte des élections législatives devant Les vrais Finlandais (extrême droite), promettant de mettre fin à des années d'austérité pour sortir la Finlande de la récession. D'aucuns y ont vu la victoire de l'ouverture sur le repli sur soi, des valeurs de tolérance sur la tentation du rejet, mais les sondages montrent depuis que le SDP a perdu en popularité tandis que la formation anti-immigration et climato-sceptique, elle, prospère.
Le dimanche 8 décembre, Sanna Marin a été désignée à 32 voix contre 29 pour succéder à son prédécesseur à la tête du du Parti social-démocrate. Antti Rinne avait démissionné quelques jours plus tôt, ayant perdu la confiance du parti lors de sa gestion d'une grève de la Poste contre la baisse des salaires.
Pourtant, rien ne la prédestinait à occuper la plus haute fonction du pays. Sa mère a grandi dans un orphelinat, ses parents ont fini par divorcer à cause des problèmes d’alcool de son père. Collégienne moyenne, elle rattrape doucement le niveau au lycée. Première de sa famille à faire des études supérieures, elle décroche ensuite un Master en sciences de l'administration à l’université de Tampere, la ville industrielle dont elle est originaire.
Sur le plan politique aussi, les débuts sont poussifs. Vice-présidente de la jeunesse sociale-démocrate, elle échoue à se faire élire au Parlement en 2011 - elle n’a alors que 25 ans. Puis c’est l’ascension : élue au conseil municipal de Tampere, elle le préside à partir de 2013. Elle est élue députée en 2015 avec l’un des meilleurs scores du pays. Réélue haut la main en 2019, elle devient ministre des Transports et des Communications en juin 2019.
Voir cette publication sur InstagramReady for #turkupride #SDP @sdpturku
Une publication partagée par Sanna Marin (@sannamarin) le 4 Août 2018 à 2 :58 PDT
Sanna Marin aime l'ordre, que chaque chose soit à sa place, tant en politique que dans sa vie privée. "C'est toujours très bien rangé à la maison", confie-t-elle au quotidien Helsingin Sanomat. De la même manière, "le gouvernement a son rôle à jouer, les organisations syndicales le leur".
Maman d'une petite Emma aujourd'hui âgée de quatre ans, Sanna Marin a fait savoir que sa famille avait pris ses dispositions pour lui permettre d'assumer ses fonctions : "Comme la situation est venue soudainement, j'ai été rassurée de recevoir un texto de mon mari (l’ancien footballeur professionnel Markus Räikkönen, ndlr) me disant que lui et ma mère s'étaient déjà arrangés".
Sanna Marin incarne la génération montante de femmes politiques dans une Finlande pionnière et championne de l'égalité entre les sexes. Troisième Première ministre de la république, la trentenaire n'avance pas en terrain inconnu dans ce pays qui a déjà élu une femme à la présidence - Tarja Halonen, entre 2000-2012 - et fut le premier en Europe à accorder aux femmes le plein exercice de leurs droits politiques, dont le droit de vote, en 1906.
A l'issue de l'ascension fulgurante de Sanna Marin, chacun des cinq partis représentés au gouvernement est dirigé par une femme, dont quatre ont moins de 35 ans. Du jamais vu, même en Finlande :
#SannaMarin Premier Ministre,
— Marinabontee(@marinabontee4) December 9, 2019
Katri Kulmini - Ministre des Affaires Économiques,
Maria Ohisalo - Ministre de l’Intérieur Wow Finlande pic.twitter.com/BWzUtFQC6e
A l'issue du scrutin, Sanna Marin a balayé les questions ciblées sur son genre ou son âge d'un revers de main : "Je n'ai jamais pensé à mon âge ou à mon genre, je pense aux raisons pour lesquelles je me suis engagée en politique et à ces choses grâce auxquelles nous avons gagné la confiance de l'électorat".
Reste que, sur les médias sociaux, sa désignation a déclenché une salve d'attaques tous azimuts. Traitée d'arriviste et de parvenue parce qu'elle vient d'un milieu plutôt défavorisé, elle essuie une pluie de critiques sur son jeune âge : "Pffff, pas une bonne idée de mettre des jeunes au pouvoir ! Il faut des vieux, des sages, des patriarches (des matriarches)... Pas de jeunes arrivistes, de jeunes parvenus..." lit-on sur le compte Facebook du quotidien Le Monde. Sur ce même compte, d'autres commentaires, ouvertement sexistes, comme "C'est bien la première fois que je suis chaud pour me faire un premier ministre," font écho à tous les "En plus elles (les 5 femmes de la coalition, ndlr) sont bonnes".
Sur la page Facebook de Brut, les internautes commentent de plus belle : "34 ans ? Whaou, on dirait qu'elle a 20 ans....Faut que j'aille faire un tour en Finlande !" ou encore "Tellement mignonne", "Vé la pitchoune !" D'autres lancent de pernicieuses questions : "Elle est efficace ? Non parce que si c’est juste pour mettre une femme pour faire plaisir..." ou "Et son père, qui est-il ?" Ce à quoi il se voit répondre : "Ben je croyais qu'un enfant élevé par deux parents du même sexe était forcément synonyme d'échec pour son futur... Ca se voit !"
En commentaire à la publication du Courrier International sur Facebook, un internaute se demande si un homme de cet âge-là aurait eu une chance d'être désigné Premier ministre, tandis qu'un autre, plus crument, écrit "Lorsqu'elles passent au pouvoir elles ne donnent des postes stratégiques qu'aux femmes elles aussi". Que dire des hommes qui font la même chose depuis la nuit des temps... Sur ce même compte, un internaute rappelle que les femmes vikings avaient les mêmes droits et prérogatives que les hommes, tandis que Pekka, un Finlandais qui vit à Paris fait remarquer que, en finnois, le pronom personnel ne fait pas la différence entre le féminin et le masculin. De là à penser que les mentalités ne la font pas non plus...
Agée d'un an de moins que le Premier ministre ukrainien Oleksiï Gontcharouk, elle devient la deuxième femme cheffe d'Etat trentenaire dans le monde, avec la Néo-Zélandaise, Jacinda Ardern, investie Première ministre à 37 ans, en 2017. Elle rejoint ainsi la douzaine de dirigeants de moins de 40 ans.
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