Fil d'Ariane
Productrice, journaliste, militante et femme d’affaires, Pat Mitchell est l'une des premières et des rares femmes à avoir creusé une brèche dans le plafond de verre dans le milieu très masculin du cinéma et des médias. Dès les années 1970, plus de quarante ans avant le mouvement #MeToo qui, en 2017, a ébranlé le secteur du cinéma, avant de se propager au monde entier, l'Américaine militait déjà pour permettre aux femmes de prendre le pouvoir.
L’une des premières femmes à présenter les informations télévisées, ou à produire et animer une série consacrée aux femmes, Woman to Woman (1993), Pat Mitchell fut aussi la première présidente, en 2000, de PBS (Public Broadcasting Service), le réseau de télévision public. A la tête de CNN Productions, elle a produit de nombreux documentaires, dont beaucoup ont été primés ; elle a aussi dirigé le Paley Center for Media à New York et à Los Angeles. En 2010, elle a lancé et organisé la première conférence TEDWomen. Puis c’est aux côtés de Robert Redford qu’on la retrouve dans l’organisation du Sundance Film Festival.
Pat Mitchell est l’une des femmes les plus puissantes d’Hollywood.
Hollywood Reporter
De Pat Mitchell, le Hollywood Reporter dit qu'elle est "l’une des femmes les plus puissantes d’Hollywood". Tantôt qualifiée de magnat des médias ou de légende vivante, elle a ouvert la voie aux femmes dans les médias, la politique et les affaires, pour qu'elle prennent leur place et fassent entendre leurs voix. "Je me vois surtout comme une sorte de liant, une bâtisseuse de ponts. J’aime user de mon influence pour faire le lien entre les gens, les mettre en contact. Je crois en ce pouvoir de changement social en connectant les femmes entre elles. Pour qu’elles prennent des responsabilités, il faut souvent une sorte de base, organiser un réseau," dit-elle dans un entretien accordé à nos partenaires suisses Le Temps.
Et pourtant, elle se souvient qu'elle aussi, autrefois, a tu les abus qu'elle a subi dans l'exercice de son métier : "J’ai fait l’objet d’attouchements inappropriés, à la télévision, où les invitations de repas ou à boire des verres se multiplient. Ces comportements se font généralement dans le cadre d’une promotion ou quand vous faites une demande particulière. Ce sont typiquement des situations d’abus de pouvoir," dit-elle à nos confrères.
Lire l'intégralité de l'article de Valérie de Graffenried sur le site de nos partenaires suisses Le temps ► Pat Mitchell : "J’aime me définir comme une femme dangereuse"
Pour mettre fin aux abus de pouvoir, elle croit au pouvoir des femmes si elles s'unissent pour faire changer les choses : "s'allier, former une communauté dans un esprit de sororité," dit-t-elle. Aujourd'hui, Pat Mitchell se définit comme "une femme dangereuse", et elle l'assume. En marge du FIFDH, qui se tient jusqu'au 16 mars 2019 à Genève, Terriennes l'a rencontrée.
Pat Mitchell : Quand les temps sont dangereux, les femmes doivent l’être aussi pour faire face. Or nous vivons une époque dangereuse, une époque où les droits reculent, où les libertés sont bafouées, où les groupes extrêmistes prennent le pouvoir, où les minorités n’ont jamais été aussi sous-représentées.
L'époque requiert du courage, de l'audace, de la prise de risque… Ne sont-ce pas là les attributs d’une personne « dangereuse » ? C'est pourtant un qualificatif que, longtemps, j’ai eu du mal à accepter. Désormais, je l’assume complètement, tant il est devenu nécessaire.
Rien ne m’a préparée à être dangereuse, ni plus ni moins qu’une autre. J’y suis parvenue au terme d’un long chemin, sur lequel je n’ai probablement pas pris tous les risques que j’aurais dû prendre. Au terme d’une vie de succès, mais aussi d’échecs. Si seulement j’avais compris plus tôt que c’est la finalité qui compte, que la finalité importe davantage qu’être aimée, faire partie du groupe ou ne pas faire de vagues… Toutes ces choses que l’on croit importantes, alors qu'elles ne le sont pas. J'aurais perdu moins de temps.
Aujourd’hui, je n’ai plus rien à perdre ni à prouver, et surtout je n’ai plus aucune patience. Je crois que l’époque que nous vivons nous oblige à mobiliser toutes les forces que nous avons en nous, mais surtout à nous unir au-delà des frontières, autour d’une sororité qui permette une action collective. Voilà qui est dangereux ! Car c’est le seul moyen d’engager d’importants changements positifs.
Il y a tant de définitions du féminisme ! Ma préférée est celle de la femme de lettres et féministe britannique Mary Wollstonecraft, connue pour son pamphlet Défense des droits de la femme (1792) contre la société patriarcale. Elle disait : "Ce que je veux, ce n'est pas que les femmes prennent le pouvoir sur les hommes, mais qu’elles le prennent sur elles-mêmes". Pour moi, c’est ça, le féminisme.
Beaucoup de femmes se portent déjà candidates à l'élection présidentielle. Toutes sont très compétentes, toutes ont les qualités et l’expérience nécessaires. Il est encore un peu tôt pour savoir si l’une ou l’autre va émerger. Difficile, aussi, de savoir si l’Amérique est prête. Il y a trois ans, si l’on m’avait demandé si Trump avait une chance d'être élu, j’aurais dit non, bien sûr. Maintenant, je pense que tout est possible…
Sinon oui, bien sûr, une femme peut – une femme doit – être élue présidente des Etats-Unis. Il nous faut changer de paradigme du pouvoir, et pas seulement en politique, mais dans tous les domaines. Car on le sait, et toutes les recherches le prouvent, plus le leadership est inclusif, plus il est positif et efficace, sur tous les plans.
Rien ne changera durablement tant que le pouvoir restera aux mains des hommes. Ce sont toujours les mêmes profils - même genre, même race - qui détiennent le pouvoir dans le milieu du cinéma, comme au gouvernement. Tant qu'il en va ainsi, rien ne changera vraiment ni définitivement.
Ce qui a changé, et ce qui a tout changé, c’est la transparence, la fin de l’impunité, cette nouvelle liberté que prennent les femmes de parler, de tenir tête, de ne plus se taire. Mais cela va-t-il durer ? La réponse à cette question dépend d'une autre interrogation : qui détient le pouvoir ?
Pas dans les détails, mais ce que je sais, c'est qu'il y a des centaines de Weinstein dans le monde entier. Hier encore, les femmes avaient peur, beaucoup ont encore peur, pour différentes raisons, perdre leur travail par exemple. Et c’est pour toutes ces femmes que nous devons prendre la parole.
Comment demander à une femme dont le travail est en jeu et qui a une famille à nourrir de dénoncer ce patron qui la harcèle ou lui fait du chantage ? Mais ce que je veux lui dire, c’est que nous serons toujours là pour la soutenir et la comprendre le moment venu. Bien sûr, cela ne marche pas toujours. Cela n’a pas marché à la Cour suprême face au juge Kavanaugh, le Congrès n’a pas cru Christine Blasey-Ford, mais la plupart des femmes aux Etats-Unis et dans le monde l’ont crue et soutenue.
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