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Erika Irusta a eu une idée, et aussitôt elle a inventé un nouveau concept, celui de « pédagogie menstruelle ». Elle dirige désormais la première et unique école menstruelle en ligne au monde, un espace virtuel dans lequel de nombreuses femmes de tous horizons partagent leurs expériences, celles d’un corps qui a ses règles dans notre société occidentale.
A travers une investigation active et engagée du corps féminin, armée d’un franc-parler et d’une loquacité indiscutablement viscérale, elle dessine des outils didactiques et univers éducatifs autour du cycle menstruel à l'aide d’une approche anthropologique, sociologique et féministe. Avec la création de « El camino Rubí » (le chemin du rubi, jeu de mot autour de rouge et des rubies -règles en anlais) en 2010, puis de la communauté éducative « Je suis1, je suis4 » en 2015, la publication de son livre « Journal d’un corps » en 2016, Erika Irusta est devenue aujourd’hui une référence dans le domaine.
L’intérêt de Erika Irusta pour l’étude du corps féminin a été déclenché par différentes expériences vécues. La première, c’est son travail comme « doula », c’est à dire une « femme aux cotés de la femme enceinte et de ceux qui l'entourent, qui est à l'écoute de ses désirs, ses besoins et la suit dans ses choix. Elle propose un accompagnement dans la continuité, une relation de confiance, de complicité et d'intimité de femme à femme », nous explique l’association des doulas de France. Elle se rend alors compte que « nous les femmes, nous parvenons à nous occuper de ce qui se passe en dessous de notre cou, seulement quand notre ventre pousse ».
Forte de ce constat, Erika, commence ses recherches, car elle a senti chez certaines femmes une frustration entre le désir idéalisé pour un certain type de grossesse et d’accouchement, et la réalité qui les rattrapait. Un autre élément déclencheur à l’origine de son travail : la violence obstétricale, dont a été victime sa mère qui avait failli mourir en accouchant et y a laissé son utérus. « Ça m’a toujours interpellée le fait qu’on nous aide à orienter le regard sur notre corps de femme seulement à partir de la reproduction », nous dit-elle.
Elle se révolte aussi contre les méthodes contraceptives qui servent, selon elle, « uniquement à contrôler le corps des femmes à partir de cet angle reproductif. Je me suis dit que je ne voulais pas continuer à lire mon corps de ce point de vue là, ni le mien ni celui des autres femmes ».
Parvenir à « réécrire notre corps et à lui donner une lecture nouvelle » commence donc en 2010, tout d’abord avec des ateliers partout en Espagne. Suite à un vrai engouement pour son projet, elle lance des sessions en ligne pour atteindre un plus large public. L’objectif de la communauté rubis était de fournir du matériel didactique élaboré d’abord pour les femmes adultes. « Parce que le problème majeur lorsque nous sommes jeunes filles ou adolescentes ce sont nos femmes adultes » explique Erika. Pour elle, l’importance ne réside pas dans ce qui se raconte sur la menstruation mais dans ce qu’on en fait, « la vraie question c’est : comment sont nos rapports avec notre corps ! Tout ça est une transmission culturelle et c’est pour cette raison que j’ai travaillé la relation des mères avec leurs propres mères et puis ces mères avec leurs filles. Alors ce n’est donc pas ce que tu racontes qui compte ; parce que dans le discours tout est merveilleux. Ce qui est essentiel c’est ce que tes filles te voient faire ! Ca fonctionne comme un modèle ». L’essentiel passe par la mère, gardienne de la culture. « Elle est un peu comme la police du système ».
Le succès fut massif et immédiat. Mais il manquait un échange au quotidien, « un vrai suivi, où on pouvait connaître et apprendre comment on fonctionnait ; sentir aussi un soutien de la communauté car quand tu as tes règles malgré le fait que tu ne te sentes pas bien, tu dois aller travailler quand même ».
Je ne suis pas l’experte qui est au dessus des autres, bien au contraire, chacune d’entre nous fait des recherches à partir de son corps.
Erika Irusta
C’est pour cela que la communauté SOY1, SOY4 (je suis1, je suis4) a surgi, une « vraie » école où Erika donne des cours. Conçue comme un laboratoire où les femmes font des recherches depuis et pour leur corps. Elle est ouverte 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 et 365 jours de l’année. Elle fonctionne comme un espace éducatif dont le contenu est créé en fonction des besoins de ses membres : « il y a un réseau social où s’échangent des commentaires, un travail conjoint et un forum qui correspondent à ma proposition pédagogique, celle d’où nous sortons des connaissances de manière transversale. Je ne suis pas l’experte qui est au dessus des autres, bien au contraire, chacune d’entre nous fait des recherches à partir de son corps. Ma proposition est de fournir des outils et des lieux pour que chaque femme puisse générer sa propre connaissance, je me refuse d’asséner un discours statique qui sera répété machinalement pour devenir une vérité absolue. Non ! Je travaille d’un point de vue politique parce que ça l’est ! Je te raconte comment fonctionne mon corps afin que tu puisses voir comment fonctionne le tien ; les discours qui émergent d’une chemise blanche de médecin n’ont rien à voir avec le vécu, n’est ce pas ? »
Le travail d’éducatrice d’Erika Irusta consiste à aborder l‘expérience menstruelle à partir d’une diversité d’angles, de sciences, à l’image de la diversité des corps de femmes. Sa pédagogie se fonde sur les sciences sociales et celles de l’éducation : « je ne crois pas que la science clinique puisse tout expliquer, je suis convaincue que tant les anthropologues que les historiennes ont quelque chose à dire sur ce sujet ».
La menstruation n’est pas un acte individuel, c’est une construction sociale, politique, culturelle
Erika Irusta
« Lors de mon dernier voyage au Mexique à la fin de l’année 2017, dans les ateliers il était question d’aborder l‘activisme menstruel à partir du point de vue féministe. De montrer comment la science ne nous a pas expliqué ou mal le cycle menstruel. Nous nous sommes interrogées sur les fondements de ces intérêts cliniques-politiques qui nous dictent ce que nous devons faire ». Erika se révolte face à notre manque d’analyse de l’expérience menstruelle : « le problème réside dans le fait que nous les femmes nous ne décrivons pas notre corps, nous n'examinons pas le sujet ; tout ce que nous faisons passe par des paramètres et des assimilations masculines. L’une des choses que nous avons constatée dans la communauté c’est que la culture patriarcale a tout inondé et qu’elle a des tentacules énormes » C’est pour cela qu’elle est si catégorique dans son approche féministe des études scientifiques, il reste encore tant de tabous à pulvériser autour de la menstruation « parce que la menstruation n’est pas un acte individuel, c’est une construction sociale, politique, culturelle. A tort on pense que c’est un acte individuel et cela nourrit le tabou, alors que c’est un fait politique et collectif qui nous impose des dictats sur nos corps contre nos individualités et différences. »
Pour Erika la base de son travail est très simple, c’est la « body-literacy » (lecture du corps) et elle invite ses élèves à mener un registre de leur corps, par l’écriture. Elle a inventé le concept de « coño-escritura » ou « cuntwriting » (« cunt » insulte en langue anglaise) que l’on pourrait traduire par « écrire avec la chatte ». L’idée est de répandre ses tripes sur le papier. Comme dans son livre « Journal d’un corps » publié en 2016, témoignage organique et intime d’un corps qui se divise en quatre, car le cycle menstruel se divise aussi en quatre phases hebdomadaires, physiologiques, durant lesquelles les femmes expérimentent des stades différents voir opposés de leur personnalité. « Mon idée est de nous concentrer sur 12 points : état du cerveau, corps, flux, ovulation, journée, peurs, désirs, qui suis-je aujourd’hui ?, sociabilité, musique que j’écoute, le livre que je lis ; moi j’en ai noté douze mais chacune fait ce qu’elle veut. Ce qui compte c’est que les femmes puissent accéder à leur corps à travers ce registre et puissent comparer des réactions, des sensations. Parce que chaque femme dispose d’un cocktail hormonal propre. »
Ce registre individuel est libérateur, il nous fait comprendre que nous ne sommes pas folles, seulement cycliques. Ni gêne ni faiblesse, seulement la normalité d’un corps qui évolue en 28 jours.
Etre une femme qui a ses règles dans notre société est un atrophie. Nous vivons à la périphérie de notre corps.
Erika Irusta
Son approche est fondamentale pour mener la réflexion autour de l’expérience menstruelle loin des conditionnements sociaux. « L’une des choses que j’ai entendue lors de certaines rencontres avec des filles plus jeunes c’est ‘’quand j’aurai mes règles je ne pourrais plus faire ceci ou cela !’’. J’entendais ces propos comme venus de conditionnements négatifs, et je me disais : au fait c’est en partie vrai parce que être une femme qui a ses règles dans notre société est un atrophie. Nous vivons à la périphérie de notre corps. Les hormones de notre cycle menstruel provoquent des changements physiques et psychiques, et à la différence de ce qu’on nous apprend, ces changements ne sont pas négatifs, n’expriment pas une faiblesse à surmonter. Nous avons besoin de nous habiter avec plaisir et sans vergogne ».
Pour Erika, il faut aller encore plus loin : « ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Nous continuons d’utiliser des expressions et des mots étrangers à nos corps qui nous éloignent de nos vérités ».
Devenue malgré elle, une référence, pionnière, pédagogue, chercheuse infatigable jusqu’à l’obsession, animal sensible, Erika livre ce message poétique et sybillin le 26 mars 2018 à travers la lettre d’actualité de «El Camino Rubí » adressé à ses « disciples » : « Je n’est jamais voulu être célèbre, tout ça me dépasse, j’ai disposé mon corps comme d’une entrée vers le tien, mais mon corps est seulement un de plus. Tu ne me retrouveras sous aucun profil. Tu n’as rien besoin de savoir sur moi, tu as besoin d’apprendre sur toi. J’espère que ne tu ne perds pas ton temps en me regardant, et que tu investis le temps en toi … tu te mérites sans filtres. Nous nous méritons telles que nous sommes. Nous ne serons pas parfaites, mais Qui veut l’être ! Qui veut payer le prix de l’être ?
Merci pour être et ne pas paraître »