Fil d'Ariane
Une belle tablée, un bon repas, une ambiance joyeuse, des cadeaux surprenants... C'est sur les femmes que reposent en grande partie les préparatifs des fêtes de fin d'année. Illustration de l'inégalité de la répartition des tâches dans le couple.
Marché de Noël à Saint-Pétersbourg, en Russie, le 15 décembre 2023.
62% des Françaises déclarent en faire plus que leur conjoint dans l'organisation des fêtes de Noël, dont 37% "beaucoup plus", selon un sondage Ifop portant sur les préparatifs des célébrations de fin d'année 2022. Au temps pour un répit de la charge mentale des femmes, tout ce travail d'organisation domestique invisible qui incombe encore – en plus des autres tâches ménagères – largement aux femmes dans les couples hétérosexuels.
Les femmes disent décorer le sapin (57%), dresser la table de réveillon (76%), cuisiner le plat principal (63%), selon ce sondage réalisé auprès de 1 500 personnes il y a un an, en décembre 2022. Résultat : 30% des femmes sont stressées à l’idée de recevoir pour les fêtes, contre 21 % des hommes.
Ça commence en novembre pour les cadeaux. La bouffe, c’est en décembre. Les étrennes, les parents âgés, le rangement : le marathon se termine le 25 décembre...Florence, 58 ans
Tâches majoritairement masculines : l'ouverture des fruits de mer à 54% et le choix des boissons à 40%. "Ces tâches d'exécution sont visibles, elles ont un début et une fin. Le plus épuisant, c'est la charge mentale d'organiser tout, d'anticiper. Un travail invisible qui occupe l'esprit en permanence, qui l'empêche de vagabonder, de se reposer", explique Emma Clit, qui a popularisé le concept de charge mentale en 2017 dans une BD sur son blog.
"Noël est une fête importante pour moi et je suis très organisée pour être détendue le jour J, pour que ce soit réussi, témoigne Florence, 58 ans. Ça commence en novembre pour les cadeaux. La bouffe, c’est en décembre. Les étrennes, les parents âgés, le rangement : le marathon se termine le 25 décembre dans mon lit. Mon loulou ne fait rien, à part le pinard".
Ce sont souvent les femmes qui entretiennent les liens avec les parents vieillissants et la belle-famille, et qui se chargent aussi de trouver des cadeaux pour eux : "Trouver les cadeaux représente un fort investissement mental quand on cherche ce qui peut plaire à une personne. L'homme ne se rend pas compte de cette charge mentale inégalitaire", explique le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
J'en ai ras le bonnet du Père Noël. Sophie, mère de famille
"Entre les cadeaux, les courses à faire ici ou là, les menus, la maison à préparer pour 15 personnes, j'en ai ras le bonnet du Père Noël", se plaint Sophie, mère de quatre garçons.
Les tâches les mieux réparties au sein des couples lors des fêtes, selon le sondage Ifop, sont le choix du menu : 53% des Français disent s’y pencher autant l’un que l’autre ; débarrasser la table et laver la vaisselle : 66% en font autant ; faire les courses alimentaires 47% les partagent.
Selon la même source, lorsqu’elles ne sont pas effectuées à deux, ces tâches reviennent là encore plus souvent aux femmes qu’aux hommes : 28% d’entre elles assurent seules le rangement après le repas contre 5% des hommes, 45% font seules les courses contre 5% des hommes et 41% établissent seules le menu contre 4% des hommes.
Deux tiers des couples ont eu des désaccords sur l'organisation des fêtes de Noël, des disputes même fréquentes pour un tiers des personnes interrogées, selon le sondage Ifop. "Traditionnellement il revient à la femme de maintenir une bonne ambiance dans la famille. Et certains hommes vont mal réagir aux reproches" afin que leur compagne cesse d'en faire, observe Emma Clit, autrice de "Des lignes et des cailloux".
"Tant qu'il ne les assume pas, le conjoint ne réalise pas le poids de ces tâches familiales et les conséquences si elles ne sont pas faites. La répartition des tâches ménagères sont la deuxième cause de séparation des couples, après l'infidélité", ajoute-t-elle.
Cette inégale répartition est "le résultat d'une longue histoire, d'une socialisation différente de celle des hommes, qui a poussé les femmes à ce qu'on appelle le care : prendre soin des bébés, des vieillards, des malades, être au service des autres et attentives aux autres, au centre des réseaux relationnels familiaux, explique Jean-Claude Kaufmann. Ça ne se change pas facilement et c'est bien commode pour les hommes qui n'ont pas trop envie de s'investir là-dedans, de se 'prendre la tête' pour ces 'petites choses'", estime-t-il.
Noël d'autrefois.
Pour Emma Clit, pour éviter le burn-out, les femmes peuvent déléguer, devenir la "cheffe de projet de la famille", en distribuant les tâches autour d'elles. On peut aussi aborder à deux la question de la répartition des tâches comme "un sujet sérieux et central dans le couple et amener l'autre à comprendre que ne pas aider, c'est un manque de respect de l'autre", conseille-t-elle.