Peng Shuai : la championne de tennis chinoise n'a "jamais disparu" ?

Dans un entretien exclusif accordé au journal L'Equipe, Peng Shuai réfute ses accusations d'agression sexuelle contre un ancien responsable chinois et parle de "malentendu". Elle explique n'avoir "jamais disparu" et avoir "une vie normale". Il s'agit de sa première intervention dans la presse internationale depuis novembre. Ses déclarations vont-elles pour autant dissiper les doutes sur sa réelle liberté de mouvement ?  
Image
peng shuai
Dans un entretien exclusif accordé au magazine sportif L'Equipe, Peng Shuai annonce mettre fin à sa carrière professionnelle. L'ex numéro-une mondiale de tennis dément avoir accusé un haut dignitaire chinois d'avoir abusé d'elle sexuellement. Elle dit vivre "rien de spécial", et avoir "une vie comme une autre".  Ici, lors du tournoi de tennis de Beijing en 2016. 
©AP Photo/Andy Wong
Partager8 minutes de lecture

C'est la première fois qu'elle s'exprime dans un média international depuis le début de ce qu'on peut appeller l'affaire Peng Shuai. Le 2 novembre 2021, la championne de tennis lançait un appel de détresse via les réseaux sociaux, accusant l'ancien vice-Premier ministre Zhang Gaoli de l'avoir violée il y a trois ans.

La suite, on la connait. Le message est très vite supprimé de l'internet chinois, et la jeune femme disparaît des radars, provoquant une vague d'émotion dans le monde du sport et bien au delà. La mobilisation se rassemble derrière un mot dièse : #FreePengShuai. De nombreuses stars du tennis mondial et plusieurs pays occidentaux, notamment la France et les États-Unis mais aussi l’Union européenne et l’ONU, demandent alors à Pékin de faire la lumière sur le sort de Peng Shuai.

Depuis, l'ex numéro-une mondiale de tennis en double réapparait à quelques rares reprises, faisant à chaque fois la Une des médias et des réseaux sociaux. On la voit notamment lors d'une visioconférence troublante avec le président du CIO, entretien placé sous haut contrôle des autorités chinoises. Entre images policées et brèves apparitions lors d'évènements sportifs filmés par les caméras officielles, difficile de savoir dans quelle mesure la joueuse de tennis de 36 ans possède une réelle liberté de mouvement. 

A peine les Jeux olympiques d'hiver lancés que revoilà la jeune femme. Difficile d'y voir un "heureux" hasard en pleine campagne de séduction diplomatico-sportive de Pékin ... Un "hasard" donc que ce dîner organisé au lendemain du coup d'envoi des JO d'hiver entre Peng Shuai et le président du Comité international olympique, Thomas Bach. "Nous avons pu beaucoup discuter et échanger agréablement", explique la joueuse  sur le site internet du quotidien sportif français L'Equipe, auquel elle accorde cet entretien exclusif. "Il m'a demandé si j'envisageais de revenir à la compétition, quels étaient mes projets, ce que j'envisageais, etc.", raconte la jeune femme aux deux journalistes qu'elle a rencontrés dans un hôtel situé dans la bulle olympique.

"Agression sexuelle ?"

Vêtue d'un survêtement rouge et noir, Peng Shuai est apparue en bonne forme" selon les journalistes qui l'ont rencontrée. 

Agression sexuelle? Je n'ai jamais dit que quiconque m'avait fait subir une quelconque agression sexuelle.
Peng Shuai, dans L'Equipe

Dans cet entretien, elle explique qu'elle n'avait "jamais disparu""Simplement, beaucoup de gens, comme mes amis y compris du CIO, m'ont envoyé des messages, et il était tout à fait impossible de répondre à tant de messages. Mais, avec mes amis proches, je suis toujours restée en contact étroit, j'ai discuté avec eux, répondu à leurs emails, j'ai aussi discuté avec la WTA...", dit-elle.

Interrogée sur les faits qui ont amené cette affaire et "l'agression sexuelle" subie, Peng Shuai dément, tout comme elle revient sur son message posté sur un réseau social, message qui a vite disparu. "Agression sexuelle? Je n'ai jamais dit que quiconque m'avait fait subir une quelconque agression sexuelle", insiste-elle. Pourquoi le message accusateur a-t-il été effacé ? "Parce que j'en avais envie", répond-elle.

Parfois je suis sereine, parfois je suis contente, parfois je me sens triste, ou encore je peux me sentir très stressée, soumise à une très forte pression.
Peng Shuai, dans le journal L'Equipe 

Interrogée sur sa vie depuis, Peng Shuai explique qu'elle "est comme elle doit être: rien de spécial..." "Je voudrais tout d'abord que l'on comprenne bien qui je suis: je suis une fille tout à fait normale. Parfois je suis sereine, parfois je suis contente, parfois je me sens triste, ou encore je peux me sentir très stressée, soumise à une très forte pression... Toutes les émotions et réactions normales qui habitent les femmes, je les vis et les ressens aussi", poursuit-elle.

Quant à sa carrière professionnelle, Peng Shuai annonce qu'elle a décidé d'y mettre fin sauf peut-être "dans une équipe vétéran", rit-elle. "Le tennis a transformé ma vie, m'a apporté de la joie, des défis et tant de choses encore. Même si je ne participe plus à des compétitions professionnelles, je serai pour toujours une joueuse de tennis", insiste-t-elle.

Relire notre article ►#MeToo en Chine : ce que révèle l'affaire Peng Shuai

"Ce n'est pas à nous de juger"

Lors d'une conférence de presse à la veille de la cérémonie d'ouverture des JO-2022, le CIO affirmait qu'il "soutiendrait" Peng Shuai si elle devait réclamer l'ouverture d'une enquête sur les accusations de rapport sexuel forcé qu'elle a formulées contre un ancien dirigeant chinois. "Si elle veut une enquête (sur ces accusations), bien sûr nous la soutiendrons, mais cela doit être sa décision, c'est sa vie, ce sont ses accusations. Nous avons eu les accusations et nous avons entendu aussi le retrait" de ces accusations, précisait Thomas Bach.

Le CIO a depuis confirmé dans un communiqué que son président, accompagné de l'ancienne nageuse Kirsty Coventry, membre du CIO, avait bel et bien rencontré la joueuse, en précisant que la Chinoise allait assister à plusieurs épreuves des JO-2022 après avoir déjà suivi une rencontre du tournoi de double mixte de curling. "Tous trois ont décidé que toute communication ultérieure sur le contenu de la rencontre serait laissée à la discrétion de la joueuse de tennis", a précisé le CIO qui lui a réitéré son invitation à se rendre au siège de l'instance olympique à Lausanne (Suisse). Pour l'instant, aucune date n'a été avancée sur cette éventuelle visite. 

Ce n'est pas à nous de juger (ce qu'il se passe), il faut aussi écouter ce qu'elle dit.
Mark Adams, porte-parole du CIO

Lors du point-presse quotidien conjoint du CIO et du comité d'organisation, le porte-parole du CIO, Mark Adams, tient à rappeler que "le CIO, étant une organisation sportive, notre job est de rester en contact avec elle (...) nous faisons tout ce qui est possible pour qu'elle soit heureuse". "Ce n'est pas à nous de juger (ce qu'il se passe), il faut aussi écouter ce qu'elle dit", insiste-t-il.
 

Peng Shuai : un entretien "lunaire" ? 

A lire entre les lignes et en prenant connaissance du contexte de cette interview exclusive publiée ce 7 février, les doutes sur les conditions dans lesquelles vit l'ancienne championne peuvent à juste titre persister dans les esprits.

Comme le confirme le directeur du magazine L'Equipe qui revient sur le contexte de la rencontre. "On a envoyé une demande après du CIO chinois par le biais du CIO international. (…) On nous a répondu positivement, avec une demande de leur part présentée comme une demande de la joueuse, mais on a le droit d’en douter, que ce soit un entretien questions-réponses. En échange, on a demandé qu’il soit hors de question qu’il y ait la moindre relecture", explique Jérome Cazadieu sur FranceInfo.

On a le droit de ne pas la croire. Nous le but, c'était surtout de la rencontrer pour montrer qu'on ne l'a pas oubliée.
Jérome Cazadieu sur FranceInfo

"Elle est arrivée avec un membre du comité olympique chinois et un autre Chinois dont on ne savait pas exactement quel était le rôle mais qui parlait français. Elle a répondu à toutes les questions, dans un contexte très particulier, car elle ni libre de sa parole, ni de ses mouvements", précise-t-il. "On a le droit de ne pas la croire. Nous le but, c'était surtout de la rencontrer pour montrer qu'on ne l'a pas oubliée et de voir dans quel état elle était (...) Sur les questions concernant son affaire, elle s'est exprimée sur un ton assez monocorde", précise-t-il . Selon lui, elle a l'air d'aller bien, mais "totalement limitée dans ses mouvements", et en particulier dans sa "liberté de se déplacer à l'étranger""Elle a dit vouloir aller à Lausanne. Cela doit engager le CIO et les médias à suivre le dossier Peng Shuai", estime Jérôme Cazadieu.

#FreePengShuai : "On ne t'oublie pas"

Comme sur les réseaux sociaux et dans la presse, cet entretien a suscité nombre de commentaires. Le quotidien Libération parle d'"interview lunaire". Dans le monde du sport aussi, on s'interroge. A l'instar du joueur de tennis français Nicolas Mahut, qui "ne l'oublie pas" ou de la fédération nationale de tennis français qui parle de "malaise" via le compte de son attachée de presse sur Twitter.