Fil d'Ariane
Valérie Hirschfield, 57 ans, a perdu sa jambe il y a dix-sept ans. Elle défile et pose pour des photos car elle veut "changer les esprits". "C'est important de nous montrer", pour encourager ceux qui "vivent mal (leur handicap physique) et se cachent". "Je mettais des shorts, je continue de mettre des shorts. Je me mets en maillot", explique cette femme blonde, qui pratique "la course d'escaliers", des compétitions - gravir par exemple la tour Montparnasse - où elle est souvent la seule handicapée. Valérie Hirschfield incarne le body positive, ce mouvement qui revendique l'acceptation du corps tel qu'il est et qui lutte contre les préjugés. Et elle n'est pas seule !
"Qui a dit qu'un corps parfait, c'est un corps qui fait du 34-36 ? Les créateurs ? Mais selon quels diktats ?", sourit Caroline Ida Ours, mannequin de 61 ans. "Je fais du 44. Chaque corps est unique et c'est cela qui le rend beau". Caroline Ida Ours est devenue blogueuse et mannequin à l'approche de la soixantaine. Aujourd'hui, cette femme à la longue chevelure argentée défile et pose pour des marques de lingerie française pour rendre "visibles" les femmes de plus de 50 ans.
"Je n'ai vraiment pas le physique que pourraient demander les maisons de lingerie", sourit la sexagénaire, qui s'est lancée dans les castings en 2018 avec son côté "mannequin d'à côté". Son succès, depuis, ne cesse de croître. "La cellulite, mon gras du ventre, des bourrelets dans le dos, je montre tout sans problème, on prend des risques forcément, il y a surtout des femmes qui sont méchantes", raconte celle qui se définit comme "sexygénaire". De fait, sa photo en soutien-gorge pour la dernière campagne de Darjeeling a provoqué un torrent de commentaires, enthousiastes ou haineux.
"Petit à petit, je me suis demandée où étaient les femmes de plus de 50 ans ? Je ne les voyais pas. Dans les magazines, on n'est pas représentées, dans le cinéma il y a quelques actrices - toujours les mêmes", dit Caroline Ida Ours. Les publicités pour cette tranche d'âge tournent autour du ménage et des problèmes de santé, s'insurge-t-elle. "Je me suis dit 'il faut faire quelque chose' pour casser cette invisibilité. Mon combat a commencé comme ça... La société n'accepte pas la vieillesse, mais depuis le Covid, on parle de nos vieux. La société a commencé à ouvrir les yeux sur la génération senior... Merci à monsieur Macron d'avoir une femme qui a 20 ans de plus que lui (...) La France est très en avance, pour une fois !"
Caroline Ida Ours a travaillé dans une entreprise familiale d'articles de sports, puis comme assistante commerciale. Sa vie a pris un virage à 57 ans lorsqu'elle a eu une rupture d'anévrisme et a "failli (y) passer". "Quand je me suis réveillée du coma, je me suis dit stop, ça ne va plus, il faut que je fasse quelque chose pour moi". Son image en train de faire de la musculation attire l'oeil dans le film-événement de Promincor-Lingerie française, qui réunit les plus grandes marques.
Sa fille et son fils ont mis du temps à accepter, mais sont désormais "hyper fiers" de ses activités mode ou de son blog où elle donne des conseils de maquillage, de stylisme ou de bien-être, mais parle aussi de ménopause et de ses amours avec un homme de 20 ans son cadet.
Viennent, après le blog, les séances de photos pour la marque de lingerie Maison Louve, les défilés au salon de lingerie et le soutien au mouvement body positive. Le blog de Caroline Ida Ours a donné lieu à un livre, Génération silver. Sans tabous ni limites, sorti en avril 2021 aux éditions Kiwi.
"On a tous un corps différent de celui des autres", abonde David Venkatapen, 46 ans, mannequin depuis huit ans au sein de l'agence PLUS. Il se qualifie de "gros". "Je n'ai pas de problème avec le mot. Chacun utilise celui qui lui convient : gros, costaud, corpulent, sizeplus, etc (...) La visibilité, c'est bien. Je pense aux autres mecs gros, plus jeunes ou plus âgés, qui ne se sentent pas bien dans leur peau. Voir quelqu'un qui leur ressemble ou qui a un physique différent, ça peut leur donner confiance", déclare-t-il.
Quand on verra des mannequins comme tout le monde, niveau image, valorisation de soi, cela aidera vraiment.
Jérémie Antoine
Jérémie Antoine, 26 ans, 1m55, veut devenir "le premier mannequin noir de petite taille". "Pour un homme, dans le monde de la mode, il faut être grand, musclé, sec. Je ne remplis aucun des critères", constate le jeune homme. Or "c'est nous qui portons les vêtements". "Quand on verra des mannequins comme tout le monde, niveau image, valorisation de soi, cela aidera vraiment", ajoute-t-il.
Le mouvement du body positive, longtemps marginal en France par rapport à l'Allemagne, l'Angleterre ou les Etats-Unis, retient de plus en plus l'attention des marques, note Georgia Stein, hôtesse de l'air, mannequin et fondatrice de The all sizes catwalk (podium pour toutes les tailles) qui organise depuis trois ans le défilé des mannequins atypiques.
Le body positive, c'est "un mouvement pour soi et pour autrui", qui permet de "lutter contre les préjugés" et "d'accepter les aléas de la vie", explique-t-elle. Ce mouvement a pris de l'ampleur, se félicite Georgia Stein. "Je voulais m'arrêter au premier défilé en 2018 (...) Mais aujourd'hui, je milite non seulement pour le body positive, mais aussi pour le syndrome des ovaires polykystiques (qui l'a fait passer de la taille 36 à 44). C'est ce que j'ai et on n'en parle jamais".
De nouvelles marques s'associent à ce mouvement et la diversité dans les publicités, notamment de lingerie, est désormais incontournable. "Il y a de plus en plus d'influenceuses qui osent en parler, montrer leurs défauts, sans Photoshop. Les marques ont enfin réagi, il y de la récupération marketing bien sûr, mais tant mieux !" se félicite Georgia Stein.
J'emmène avec moi toutes les femmes de plus de 50 ans pour montrer qu'on est là, qu'on existe. Les jeunes disent 'merci, on n'a pas peur de vieillir grâce à toi'.
Caroline Ida Ours
Le 27 juin 2021, Caroline Ida Ours a de nouveau participé, avec 250 autres femmes et hommes, au Trocadéro, au défilé des rondes et autres mannequins atypiques lancé il y a trois ans. Quand elle défile ou qu'elle pose devant les objectifs des photographes, Caroline Ida Ours y "va la tête haute". "J'emmène avec moi toutes les femmes de plus de 50 ans pour montrer qu'on est là, qu'on existe". Et "les jeunes femmes disent 'merci, on n'a pas peur de vieillir grâce à toi'. Les commentaires méchants ne me blessent pas, cela me met en colère", dit Caroline Ida Ours qui regrette le manque de "sororité".
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