Fil d'Ariane
Délai réduit à quinze semaines en Floride, interdiction quasi totale en Oklahoma, médecins menacés de prison dans l'Idaho, jeune femme condamnée après avoir avorté au Texas : le droit à l'avortement ne semble plus tenir qu'à un fil aux Etats-Unis. En juin prochain, la Cour suprême pourrait décider de le réduire, voire de l'annuler, et de faire voler en éclat l'arrêt historique Roe vs Wade, qui fait jurisprudence depuis cinquante ans.
Quinze semaines, pas une de plus. Voilà donc la dernière loi qui vient un peu plus resserrer l'étau autour du droit à l'avortement aux Etats-Unis. Elle concerne les femmes de Floride, qui voient le délai passer de vingt-quatre semaines de grossesse à quinze pour pouvoir procéder à une interruption volontaire de grossesse. Cette nouvelle loi, promulguée par Ron DeSantis, le gouverneur de Floride (républicain, ndlr), a été adoptée par le Parlement de cet Etat du sud-ouest des Etats-Unis, également à majorité républicaine. Elle entrera en vigueur le 1er juillet prochain. Les seules exceptions prises en compte par cette nouvelle loi sont le "risque grave" pour la santé de la femme ou d'une anomalie létale du foetus, mais ni le viol ou ni l'inceste.
"Nous sommes ici aujourd'hui pour défendre ceux qui ne peuvent se défendre seuls", a déclaré Ron DeSantis en signant le texte lors d'un rassemblement de militants anti-avortement. "Cela représente la plus grande mesure de protection de la vie promulguée dans cet Etat depuis une génération", a-t-il ajouté.
Pour Stephanie Fraim, présidente pour le sud-ouest et le centre de la Floride de l'organisation Planned Parenthood qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des IVG dans tous les Etats-Unis, "cette interdiction de l'avortement est une attaque contre nos libertés les plus fondamentales : le droit de disposer de notre corps, de notre avenir".
Cette annonce intervient au milieu d'une poussée conservatrice pour restreindre l'avortement, et cela quelques mois seulement avant une décision plus qu'attendue à la Cour suprême des États-Unis. Décision qui pourrait limiter l'accès à la procédure à l'échelle nationale. Profondément remaniée par Donald Trump, celle-ci doit rendre son avis final avant la fin juin.
La loi que vient de promulguer la Floride est comparable à un texte du Mississippi, dont la légalité est actuellement examinée par la plus haute juridiction du pays. Les juges, dont 6 sur 9 sont conservateurs, ont laissé entendre qu'ils pourraient profiter de ce dossier pour réduire, voire annuler, le droit à l'avortement. Un droit garanti depuis cinquante ans par l''arrêt historique Roe vs Wade de 1973, qui autorise les femmes à avorter pendant les deux premiers trimestres de grossesse, soit jusqu’au moment où le fœtus peut vivre seul (entre 20 et 24 semaines).
En décembre dernier, la Cour suprême a clairement fait comprendre qu’elle pourrait revenir sur ce cadre légal. "La classe politique a pris ça comme un feu vert pour avancer (…) et décime depuis l’accès à l’avortement, Etat par Etat, région par région", estime Alexis McGill Johnson, la présidente de Planned Parenthood.
Notre article ► États-Unis : le droit à l'avortement sur la sellette à la Cour suprême
Jamais la menace a été aussi forte. Galvanisés par la majorité conservatrice de la Cour, plusieurs Etats républicains ont adopté récemment des lois très restrictives sur l'avortement.
Le Texas est allé le plus loin en interdisant d'interrompre toute grossesse dès que les battements de coeur de l'embryon sont perceptibles, environ quatre semaines après la fécondation. La Floride, comme l'Arizona ou la Virginie-Occidentale, a préféré suivre une voie médiane. Leur pari ? Si la Cour se contente de réduire le seuil légal pour avorter, leurs lois pourront rester en vigueur.
Le Kentucky vient d'adopter une loi effective immédiatement, interdisant l’avortement après 15 semaines, comme la Floride. Les deux dernières cliniques de l’État où l’IVG était encore pratiquée viennent d'être fermées.
Le gouverneur de l’Oklahoma a signé un texte interdisant l’avortement sauf en cas de danger pour la vie de la mère. Dans le cas contraire, toute personne pratiquant une IVG encourt dix ans de prison et 100 000 euros d’amende. La loi doit entrer en vigueur fin août.
Depuis fin mars, l'Idaho autorise les poursuites civiles contre les professionnels de santé pratiquant des avortements. Concrètement, la famille des femmes ayant subi une IVG ainsi que le père du fœtus – même s’il s’agit d’un viol – peuvent désormais porter plainte contre les cliniques ou médecins qui ont effectué l’intervention, si celle-ci se déroule après six semaines de grossesse. Une mesure calquée sur une loi fortement controversée adoptée l’an dernier au Texas, et qui promet même aux plaignants des milliers de dollars de "dédommagement".
En 2022, pas moins de 31 Etats sur 50 ont introduit des propositions de loi anti-avortement, représentant pas moins de 529 textes, selon l’institut pro-choix Guttmacher.
Quant à l’IVG médicamenteuse, qui représente plus de la moitié des interruptions de grossesse, elle aussi se retrouve dans la ligne de mire des conservateurs. Depuis le début de l’année, 104 textes ont été introduits dans 22 États pour limiter ce type d'avortement, résume le Huffington.post.
Mais la riposte s'organise du côté des Etats démocrates, comme le précise la RTBF : "Ainsi, le gouverneur de l’Etat de Washington a signé un texte dans lequel il est écrit noir sur blanc que les médecins, infirmiers ou tout autre personnel médical pratiquant des IVG ne pourront jamais être poursuivis dans cet Etat... L’Etat du Vermont, lui, a adopté un amendement à sa Constitution pour graver dans le marbre le droit à l’avortement. De son côté, le Maryland avance dans le même sens", lit-on sur le site de nos partenaires belges.
Lizelle Herrera, 26 ans, est arrêtée le 7 avril 2022, accusée d'avoir "sciemment causé la mort d'une personne par son propre avortement", selon les autorités d'un comté texan à la frontière avec le Mexique. Inculpée de meurtre, elle est libérée après le paiement d'une caution de 500 000 dollars. Quatre jours plus tard, un procureur décide finalement d'abandonner les poursuites à son encontre.
We Are All Lizelle Herrera at the UH Manoa Campus in Honolulu Thursday. #riseup4abortion, #refusefascism pic.twitter.com/zjrIVsggmn
— Refuse Fascism Honolulu (@Refusefascismhi) April 17, 2022
[Nous sommes toutes Lizelle Herrera au campus UH Manoa à Honolulu]
"En examinant la législation en vigueur au Texas, il est clair que Mme Herrera ne peut pas et ne doit pas être poursuivie pour les faits qui lui sont reprochés", a estimé Gocha Allen Ramirez dans un communiqué. Le procureur a toutefois assuré que les autorités locales avaient eu raison de l'arrêter "après un signalement de l'hôpital", car "ignorer les faits aurait été un manquement à leur devoir".
"Nous sommes aux côtés de Lizelle et de toutes les personnes, au Texas, qui cherchent à bénéficier de soins, malgré les barrières et les obstacles systématiques", a souligné l'organisation Planned Parenthood.
L'affaire Lizelle Herrera et l'émotion qu'elle a suscitée témoignent de la vive tension qui règne autour de cette question aux Etats-Unis, à un moment où des propositions de loi sur l'avortement – restrictives ou protectrices – déferlent par centaines sur les parlements des Etats. Si jamais le camp des "pro-vie" devait sortir gagnant de cette bataille américaine, cela donnerait un signal plus que néfaste et marquerait un recul sans précédent pour ce droit des femmes qui, malgré quelques avancées sur le continent latino-américain, est la cible de multiples attaques de par le monde, même jusqu'au coeur de l'Europe.