Fil d'Ariane
Dans une déclaration à la presse peu avant sa reddition, la sénatrice Leila de Lima a balayé les accusations de trafic de drogue sous-tendant son arrestation. "C'est un honneur d'être emprisonnée pour les choses pour lesquelles je me bats. S'il vous plaît, priez pour moi", a déclaré l'ancienne ministre de la Justice après une veillée au Sénat.
"Comme je l'ai dit depuis le début, je suis innocente. Il n'y a aucune vérité dans les accusations selon lesquelles j'aurais bénéficié du trafic de drogue, que j'aurais reçu de l'argent et que j'aurais protégé des trafiquants emprisonnés", a ajouté celle qui fut aussi présidente de la commission philippine pour les droits de l'Homme. "La vérité sortira en temps voulu", a-t-elle prédit. "Ils ne pourront pas me faire taire et m'empêcher de me battre pour la vérité et la justice, contre les meurtres quotidiens et l'oppression du régime Duterte."
Leila de Lima, 57 ans, s'était réfugiée jeudi 23 février au Sénat, après avoir échappé à la police qui avait tenté de l'arrêter à son domicile. Elle a dormi dans son bureau puis s'est rendue à des policiers armés revêtus de gilets pare-balles.
Des poursuites avaient été lancées contre elle la semaine dernière, au motif qu'elle aurait monté un réseau de trafic de drogue lorsqu'elle était ministre de la Justice sous la précédente administration de Benigno Aquino.
M. Duterte a été élu président en mai 2016 en promettant d'éradiquer le fléau de la drogue en faisant abattre des dizaines de milliers de personnes, trafiquants et toxicomanes. Depuis son entrée en fonctions fin juin, la police a annoncé avoir tué 2 555 suspects, tandis qu'environ 4 000 autres personnes ont été abattues dans des circonstances non élucidées.
L'ONG Amnesty International a jugé que les agissements de la police pourraient être assimilables à un crime contre l'humanité. Leila de Lima a qualifié cette semaine Rodrigo Duterte de "tueur en série psychopathe", et appelé les Philippins à s'opposer à sa campagne contre les stupéfiants.
Peu avant son arrestation, Amnesty a estimé que la sénatrice devrait être considérée comme une prisonnière d'opinion. "L'arrestation de de Lima est une tentative claire du gouvernement philippin de faire taire les critiques envers le président Duterte et de détourner l'attention des graves violations des droits de l'Homme dans la guerre contre la drogue", écrit Amnesty.
"Les gens ont peur", a déclaré le père Robert Reyes, un prêtre qui a veillé toute la nuit avec la sénatrice. "Si le gouvernement peut arrêter une personne aussi puissante, quid des petites gens ?"
A la présidence, on soutient au contraire que cette arrestation montre que même les puissants peuvent être traduits en justice. "La guerre contre les drogues illégales prend pour cible tous ceux qui sont impliqués et l'arrestation d'une sénatrice en fonction montre la ferme résolution du président de combattre les dealers (...) et leurs protecteurs", a déclaré le porte-parole de la présidence Ernesto Abella.
Cette arrestation est le point d'orgue d'un vieux contentieux entre M. Duterte et Mme De Lima. A la tête de la commission des droits de l'Homme, elle avait en 2009 ouvert une enquête sur les agissements de M. Duterte à Davao, la grande métropole du Sud dont il a longtemps été le maire. Il est soupçonné d'y avoir orchestré ou toléré des escadrons de la mort qui ont visé des criminels présumés et des enfants des rues, tuant plus de 1 000 personnes.
Le président a commencé en août dernier à évoquer publiquement des accusations de trafic de drogue contre la sénatrice. "Je la détruirai publiquement", avait-il averti en lançant une campagne pour salir sa réputation, en se répandant notamment en horreurs sur sa vie sexuelle. "De Lima ne baise pas seulement avec son chauffeur, elle baise aussi la nation", avait-il lancé.