Fil d'Ariane
Souvent compliquées, fusionnelles ou parfois belliqueuses, les relations mères-filles obéissent à une météo un peu mystérieuse faite d'orages et d'arcs-en-ciel. Il arrive que les liens maternels n'apaisent pas toujours.
Dans les relations toxiques mères-filles, ils étranglent alors.
Le déclic chez cette photographe (c'est le cas de le dire) est venu de l'observation de son proche quotidien : " Je suis une mère - explique-t-elle -, et j'ai des filles dans la même tranche d'âge que les jeunes femmes sur les photos. Quand ma fille aînée est partie pour l'université, j'ai réalisé à quel point mon rôle de mère changeait mais aussi ma relation avec ma fille. Comme elle a quitté la maison et que nous n'avons pas traité de l'interaction quotidienne, nous sommes devenus les meilleures amies.
Cette transition m'a aussi fait réaliser que, comme mes filles grandissent, je vieillis, donc ce travail est devenu une réflexion sur le temps qui passe, sur le fait de grandir et de vieillir"
Rania Matar a choisi de capter des moments rares et précieux.
Et délicats.
Si ces modèles se tiennent côte à côte, on sent bien qu'il ne s'agit là, parfois, que d'un rapprochement physique. On décele dans ses images une complicité prudente, les prémisses d'une rivalité, une interrogation muette. Incontestablement, la photographe a su saisir des moments chargés d'émotion, tous habités d'une grande pudeur.
Rania Matar, maman de quatre enfants, a perdu sa mère à l'âge de trois ans.
Elle n'a donc pas connu ces moments particuliers d'intimité et cela explique sans doute cette perception étonnée, cette sensibilité jamais voyeuse qui irrigue son travail.
Architecte de formation, la photographe enseigne aujourd'hui à l’université d’Art et Design du Massachusetts. Ses travaux font régulièrement l'objet d'expositions itinérantes. La dernière, Becoming, a eu lieu à Paris en novembre 2017 dans le cadre de la deuxième édition de la Biennale des photographes du monde arabe.
Gros succès.
Dès les années 2000, alors qu'elle était étudiante, Rania Matar s'est mise à photographier ses propres enfants et a immortalisé leurs changements successifs, au gré du temps qui passe. Dans son précédent travail "A Girl and a Room", Rania Matar avait réussi à capter ses moments de solitude propres à l'adolescence. On y découvrait le mal-être silencieux de ces filles pas tout à fait femmes dans des chambres colorées où les posters accrochés aux murs seraient un jour périmés, comme des preuves bientôt encombrantes d'une enfance pas si lointaine.
Aujoud'hui, avec tact et une certaine malice, l'artiste utilise les miroirs pour produire des effets troublants (le fameux effet-miroir entre deux êtres !) et on ne peut qu'être charmé par tant d'audace simple... et efficace.
A l'en croire, le choix de ses modèles s'est fait tout naturellement : "Certaines étaient des connaissances, mais la plupart sont des femmes que j'ai rencontrées pendant le projet et à cause du projet. J'en connaissai certaines parce que j'avais photographié les jeunes filles lors de projets antérieurs comme "Une fille et sa chambre" et "L'Enfant-Femme" et que j'étais restée en contact avec elles au fil des ans, mais j'ai aussi commencé à arrêter les femmes partout : à l'épicerie, au restaurant, partout ... surtout si je les voyais avec leurs filles et que quelque chose de leur relation attirait mon attention."
" Les femmes qui ont accepté de faire partie de ce travail savaient de quoi il s'agissait. Elles se sont données à l'art et ont rapidement compris que les images devaient être réelles et parfois crues. Tout a été très clairement discuté à l'avance, donc il n'y avait pas de surprises. Je rends hommage à chacune de ces femmes. Étant l'une d'entre elles, je sais que ce n'est pas toujours facile d'être photographiée à côté d'une version plus jeune de vous-même."
Joy Kim, commissaire de l'exposition, écrit sur le travail de l'artiste : "Porter un hijab dans un camp de réfugiés palestiniens ou un bikini à Boston, les femmes des photographies de Matar partagent des traits communs, indépendamment de leur milieu. Matar met l'accent sur les similitudes plutôt que sur les différences, soulignant comment la subjectivité féminine se développe parallèlement à travers les lignes culturelles. "
Rania Matar complète : " J'ai seulement photographié des personnes issues de deux cultures qui sont miennes : le Moyen-Orient et les États-Unis. Malgré les informations qui mettent souvent l'accent sur les conflits, les différences et sur la présentation de ces deux parties du monde comme apparemment incompatibles, je choisis de me concentrer sur notre humanité commune - à travers la féminité."