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Pistolets pour les filles, poussettes pour les garçons : l'Espagne pionnière des jouets non genrés

En Espagne, industrie du jouet et gouvernement se mobilisent pour tenter d'en finir avec les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge. Un code de bonnes pratiques vient d'entrer en vigueur, même si la portée de ses règles reste limitée.

"Ce qu'on veut, c'est voir un petit garçon avec un porte-bébé dans un catalogue" de Noël. Depuis dix ans, la marque Toy Planet, implantée à Paterna près de Valence, dans l'est de l'Espagne, promeut la publicité unisexe. Dans son catalogue figure, par exemple, une petite fille, pistolet à la main et revêtue d'un gilet pare-balles de la police d'élite. Quelques pages plus loin, une autre tape dans un sac de boxe, tandis qu'un petit garçon se tient derrière une poussette. 

Les jouets ont une fonction importante dans la formation des adultes... Nous voulons qu'à l'avenir, un garçon puisse être sage-femme et une fille mécanicienne.
Ignacio Gaspar, directeur de Toy Planet

L'entreprise a décidé, il y a dix ans, d'"inverser la situation" en montrant "des garçons avec des poupées et des filles avec des caisses à outils", après que ses clients ont dénoncé, sur les réseaux sociaux, une communication "vieillotte".

"Les jouets ont une fonction importante dans la formation des adultes... Nous voulons qu'à l'avenir, un garçon puisse être sage-femme et une fille mécanicienne", explique Ignacio Gaspar, son directeur. Toy Planet a toutefois dû faire face à des critiques très violentes du genre "vous allez faire des garçons des tapettes et des petites filles des garçons manqués".

Code de bonnes pratiques

Pionnière dans la lutte contre les violences de genre, l'Espagne compte un mouvement féministe très puissant dont se réclame le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez. Son ministre de la Consommation, Alberto Garzon, a signé avec l'industrie du jouet un code de bonnes pratiques, entré en vigueur le 1er décembre 2022, dans le but d'"encourager l'égalité des genres dans les publicités de jouets". Les annonces dans les médias, sur les télés ou les réseaux sociaux ne devront donc plus indiquer explicitement qu'un jouet est destiné à un genre plutôt qu'à un autre, ni assigner le rose aux filles et le bleu aux garçons, ou reproduire "les rôles de genre".

Ce n'est pas suffisant, mais c'est nécessaire pour avancer face aux stéréotypes machistes et sexistes qui existent dans tous les secteurs de la société.
Rafael Escudero

Ce code des bonnes pratiques, signé avec l'Association espagnole des fabricants de jouets (AEFJ), qui regroupe 90% des producteurs en Espagne, a nécessité une année de travail, confie le directeur général de la Consommation et du Jeu du ministère, Rafael Escudero. Sa portée reste toutefois limitée puisqu'il ne concerne pas les emballages et ne s'appliquera pas à la publicité dans les rues ni aux catalogues des magasins de jouets, relativise-t-il, en reconnaissant que d'éventuelles entorses de la part des entreprises n'entraîneront pas de sanctions mais un "risque réputationnel".

Les grandes marques internationales ne sont par ailleurs pas concernées, ce qui limite aussi la portée de ces règles. "Ce n'est évidemment pas suffisant mais c'est nécessaire pour avancer face aux stéréotypes machistes et sexistes qui existent dans tous les secteurs de la société", insiste Rafael Escudero.

jouets non genrés californie
Yvette Ibarra tient une poupée Barbie "Dancing Princess" dans un magasin de jouets à Monrovia, en Californie, le 29 janvier 2007. Le gouverneur Gavin Newsom venait de valider un projet de loi qui faisait de la Californie le premier État à exiger des grands magasins qu'ils présentent des produits tels que des jouets et des brosses à dents de manière non sexiste. La nouvelle loi n'interdit pas les sections traditionnelles pour garçons et filles dans les grands magasins, mais stipule qu'ils doivent également proposer une section non sexiste. 
©AP Photo/Nick Ut

Le devoir pédagogique des vendeurs

Sur l'avenue madrilène de Gran Via, où les passants font leurs courses de Noël, Julio Cesar Araujo, grand-père de 62 ans, tient, lui, toujours aux différences de genre. "Les filles auront des poupées à Noël, dit-il, avant de nuancer immédiatement. Mais bon, si une fille veut jouer avec une petite voiture, on lui achètera une petite voiture".

Quand un grand-père dit qu'il ne veut pas de la cuisine car le cadeau est pour un garçon, je réponds que cela n'a pas de sens dans un pays qui compte autant de chefs reconnus.
Nathalie Rodriguez, propriétaire d'un magasin de jouets

Propriétaire, avec son mari, de la boutique madrilène Kamchatka, vendant des jouets "éducatifs, non sexistes, écologiques et non violents", Nathalie Rodriguez, 48 ans, s'évertue à démonter les stéréotypes. "Je crois au devoir pédagogique de la personne qui vend les jouets, explique la commerçante, habitée par son militantisme.... Le jouet en soi n'implique pas de sexisme, c'est le regard de l'adulte qui est derrière, qui le fabrique, le vend ou le commercialise, qui peut l'impliquer". Avec humour et par l'absurde, elle propose des alternatives aux clients : "Quand un grand-père dit qu'il ne veut pas de la cuisine car le cadeau est pour un garçon, je réponds que cela n'a pas de sens dans un pays qui compte autant de chefs reconnus".

Certains parents, comme Tania San José, professeure de 41 ans à Pampelune, dans le nord de l'Espagne, jugent qu'il était temps que le gouvernement impose des règles, même si elles arrivent "tard". "Malheureusement, il y a encore des jouets de garçons et des jouets de filles, mais notre génération essaye de faire en sorte que ce ne soit plus le cas", dit-elle. Preuve que les esprits ont déjà évolué, Angela Muñoz, 47 ans, est presque décontenancée par les questions sur le sujet et assure "pouvoir très bien acheter une poupée pour mon fils. Les enfants doivent pouvoir utiliser n'importe quel jouet".