Plombier, féminin plombière : plomberie, les femmes s’en mêlent

À Paris, Mona Lalanne et Aude Michaud enchaînent les dépannages. Après une carrière dans la mode pour l'une, en psychologie pour l'autre, ces deux bricoleuses se sont reconverties dans la plomberie. La preuve que les femmes savent aussi faire la cuisine : de la pose d’un évier au raccordement à l’évacuation d’eau. Rencontre avec deux pionnières
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Mona plombière
En jean délavé, polaire bleu marine et chaussures de chantier, Mona Lalanne, passée de la mode à la plomberie, finit de poser les colliers... de serrage.
(c) Louise Pluyaud
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Comme un clin d’oeil à la profession dite « masculine » qu’elles viennent de rejoindre il y a bientôt deux ans, l’exposition que propose la Galerie des Filles du Calvaire s’intitule « Les femmes s’en mêlent ». L’espace artistique se situe dans la cour intérieure d’un immeuble cossu du 3e arrondissement de Paris, où Mona Lalanne et Aude Michaud doivent installer la plomberie d’une kitchenette. Direction le 3e étage, sans ascenseur, où les deux trentenaires s’attèlent déjà à la tâche depuis ce matin.

En jean délavé, polaire bleu marine et chaussures de chantier, Mona finit de poser les colliers. « C’est ce qui sert à maintenir les tubes dans lesquels iront les câbles électriques », explique la jeune femme alors en pleine opération technique. « L’objectif, c’est de raccorder l’arrivée d’eau de la cuisine d’en bas à celle de la kitchenette d’en haut. » À l’observer travailler avec une telle aisance sur les musiques motivantes que diffuse la radio Faubourg Simone (sans pub et un brin impertinente !), on se dit que faire de la plomberie, ce ne doit pas être si compliqué. En tout cas, Mona et Aude en ont fait leur affaire.
 
Aude plombière
Pour être une bonne plombière, il faut aussi être une excellente électricienne. Ce qu'est à l'évidence Aude, tout autant que Mona.
(c) Louise Pluyaud

Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Au moins, j’aurai appris quelque chose qui pourra toujours me servir
Aude Michaud, psychologue devenue plombière

« J’avais besoin de faire quelque chose de concret avec mes mains et de voir le résultat de mon travail immédiatement. La plomberie, c’est simple : on arrive, on répare, ça marche », résume Aude Michaud, ancienne psychologue passée par une « trop longue » période de chômage. Alors pour ne plus galérer, elle se réoriente dès 2015 et s’inscrit à une formation accélérée pour adultes, non sans quelques hésitations : « Au début, je me suis posée des questions : est-ce que c’est vraiment fait pour moi ? Vais-je y arriver ? Et puis, finalement, je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Au moins, j’aurai appris quelque chose qui pourra toujours me servir. »

À l’issue de ses neuf mois de cours intensifs, délivrés dans un lycée professionnel, Aude est la première de sa classe à obtenir son CAP plomberie, option sanitaire. « C’est un vrai défi qu’elle a relevé du début à la fin. Elle a su sortir de sa zone de confort et se faire confiance pour y arriver », admire sa soeur Clémence. Mona Lalanne, quant à elle, a choisi option thermique. « Sur la vingtaine d’élèves, nous étions les deux seules filles, tient-elle à souligner. Il y avait un peu de sexisme ordinaire, mais de manière générale on a bien été intégrées. » Ancienne commerciale dans le textile, cette brune au regard franc avait depuis longtemps l’ambition de monter sa boîte dans le BTP. « J’avais d’une part envie d’indépendance et d’autonomie. D’autre part, je ne supportais plus le peu de considération avec laquelle la plupart des grosses entreprises 'managent' leurs employés. »

En août 2016, leur diplôme en poche, les deux femmes s’associent pour monter leur boîte de BTP. Le nom de leur entreprise : "Le sourire de la plombière". Pendant féminin et esthétique de l’expression bien connue « le sourire du plombier », qui désigne une personne dont on voit la naissance du fessier alors qu'elle est occupée à son activité. Une façon de se démarquer de la concurrence, avec humour...

Aude et Yacine, plombières
Sur les gros chantiers qu'on leur confie, comme celui-ci, les plombières font parfois appel à d'autres plombiers, en renfort. Aude travaille ainsi main dans la main avec Yacine.
(c) Louise Pluyaud

Inspectrices gadget

« Ce qu’on aime, c’est mener l’enquête, trouver la solution pour obstruer le problème », s’enthousiasment ces bricoleuses que rien n’effraie. « Pas plus tard qu’hier, on a dû monter un ballon d’eau chaude de 200 litres au 6e étage d’un immeuble sans ascenseur, raconte Aude. On a attaché des sangles, posé des couvertures par terre, puis on l’a fait glisser. C’était galère, mais on a réussi. »

Quand j'ai dit à un plombier que je m’occupais de la cuisine, il pensait que je coupais les légumes
Mona Lalanne, passée de la mode à la plomberie

Leurs preuves ne sont plus à faire, pourtant certains de leurs homologues masculins ne les prennent pas toujours au sérieux. Mona préfère s’en amuser : « Un jour, j’ai rencontré un plombier qui ne croyait pas que je faisais la même chose que lui. Quand je lui ai dit que je m’occupais de la cuisine, il pensait que je coupais les légumes, pas de la soudure. » D’autant que depuis ces dix dernières années, les femmes sont plus nombreuses sur les chantiers. Selon les chiffres de la Fédération Française du Bâtiment, 27% des PME/TPE ont une femme à leur tête (dont 24% dans la construction) et 25 % de femmes sont inscrites à l’École Supérieure des Jeunes Dirigeants du Bâtiment (ESJDB).

Ce n’est certes pas encore la parité, mais Mona le constate : « Il y a de plus en plus de femmes qui se reconvertissent. On a rencontré une électricienne qui était auparavant dans le marketing. Une ancienne comédienne de 38 ans, mère de deux enfants, vient d’intégrer la même formation que nous. Actuellement, nous travaillons avec une jeune stagiaire. » Quant aux clients, si certains sont parfois surpris d’avoir affaire à des femmes, ou d’autres plus intrigués, les réactions sont généralement positives. « Peut-être va-t-on faire naître d’autres vocations », projette Mona.

Vêtements professionnelles pour plombière ? Un champ à investir

Mona et Aude
Mona et Aude ont réussi leur reconversion. Un modèle pour d'autres femmes ?
(c) Louise Pluyaud
Et si Aude et Mona ont d’abord commencé avec une clé à mollette et un tournevis, aujourd’hui elles ne comptent plus les caisses à outils qui s’amoncellent chez elles. « Sans parler des perceuses, des marteaux-piqueurs, des bâches ou des escabeaux », rajoute Aude. Mais pas le temps de se poser : chaque semaine, elles ont entre 15 et 20 interventions. « On fait beaucoup de dépannages : purger un radiateur, remplacer une chaudière, réparer une fuite, etc., énumère Mona. Il ne faut pas avoir peur de se salir les mains, surtout quand on doit déboucher des toilettes. »

Forcément, pas la peine de se faire une manucure, « parce qu’à la fin de la journée, elle est foutue », témoigne Aude en gesticulant des doigts aux ongles blanchis de calcaire. Côté vestiaire, pas facile de trouver des habits de travail adaptés à une morphologie féminine. Mona a trouvé la parade : « Je m’habille au rayon ado, là où vont les étudiants en BEP. Mais ce sont des coupes de mecs. Je ne demande pas un pantalon moulant, mais un truc pratique avec des poches. C’est encore à développer. »

Malgré ça, aujourd’hui grâce au bouche-à-oreille et la qualité des services rendus, les plombières de Paris ont gagné la confiance de nombreux fournisseurs et clients. Nicole, la cinquantaine, a fait appel à elles pour installer la plomberie de sa cuisine : « Elles sont à l’écoute, on a plus facilement envie de leur faire confiance, et surtout elles ne vous prennent pas de haut contrairement à certains qui pensent que le bâtiment n’est pas une affaire de femme. »

Plombière, ce féminin semble encore écorcher les oreilles de certains puristes. Et pourtant, il leur faudra s'y habituer. L'autrice française de roman policier Fred  Vargas, dont le dernier opus "Quand sort la recluse" semble promis à un beau succès, a fait de Camille Forestier, plombière-musicienne, l'un de ses personnages principaux.