Plus de visibilité des femmes dans les médias francophones, Michèle Léridon en figure de proue

Dans le sillage des débats autour du harcèlement sexuel, certains médias se sont engagés à rendre plus visibles les femmes dans leurs contenus. C’est le cas à l’AFP, dont les journalistes sont appelé-e-s à appliquer quelques changements bien précis. Une initiative signée Michèle Léridon, première femme directrice de l’Information de la troisième agence de presse du monde, qui vient de nous quitter à l'âge de 62 ans. Nous l'avions rencontrée. 
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michèle
©CSA
Michèle Léridon, première femme à diriger l'Agence France Presse de 2014 à 2019, fut aussi membre du CSA. Figure du journalisme, elle disparait à l'âge de 62 ans. Terriennes l'avait rencontrée lors de la mise en place d'un audit au sein de l'AFP sur la situation des femmes. 
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desk intérieur AFP
Crédit AFP/Eric Feferberg
L'AFP accentue son choix de féminiser les titres et les fonctions en se basant sur le guide
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C'est avec une immense tristesse que nous apprenons la mort de Michèle Léridon, à 62 ans. Nous l'avions rencontrée à l'occasion de cet article. Femme journaliste, reporter de guerre, toujours engagée du côté des femmes, première femme à prendre la tête d'une agence de presse internationale, elle a ouvert la voie et fut l'une des marraines de Terriennes, qui tient aujourd'hui à lui dire merci pour tous ses engagements et à lui rendre un hommage des plus sincères.
 
Libération de la parole, écriture inclusive, le mot féminisme sacré mot de l’année aux Etats-Unis … et maintenant ? A l’aube de 2018, nombreuses sont les leçons à tirer d’une année riche en événements où les débats féministes ont fait la Une. En première ligne, souvent, les médias, accusés à juste titre de ne pas rendre assez visibles les femmes. De quoi provoquer chez quelques-un.e.s une prise de conscience, voire un questionnement sur leur manière de parler des femmes, de pratiquer plus d’égalité au sein de leurs contenus.

Plusieurs grands titres mettent en place des chartes pour féminiser leurs publications et inciter leurs journalistes à s’intéresser plus à ces problématiques via un prisme égalitaire. Exemple au quotidien Le Monde, le site BuzzfeedNews nous apprend que son directeur Jérome Fenoglio a transmis à ses équipes dans une note datée du 6 janvier 2018 "des directives pour commencer à mettre en place une grammaire plus égalitaire. Le journal va expérimenter l'accord de proximité dans un supplément et le point médian dans ses appels à témoignages".
 
feminisation des fonctions dans le monde
Document publié par le site Buzzfeednews, liste établie par la direction du Monde, de noms de métiers et de fonctions au féminin. Exemple: chercheuse, défenseuse, docteure, inventrice, ou encore une maire.
Capture d'écran internet

Le quotidien suisse Le Temps, lui, s’est illustré en décembre 2017 en faisant son autocritique : « Moins il y a de femmes en illustration, moins elles sont légitimées», déclarait une lectrice assidue qui pendant plusieurs mois a twitté un décompte quotidien du nombre de femmes et d'hommes apparaissant dans le journal.
 En Belgique, il existe depuis 2009 un Conseil national de déontologie journalistique. Après dépôt de plainte, le CDJ, organe d'autorégulation des médias francophones et germanophones belges, composé de représentants d'éditeurs, de journalistes, de rédacteurs/rédactrices en chef et de membres de la société civile, émet un avis, il peut contraindre le média concerné à publier cet avis sous forme d'encadré, ou de message radio ou audiovisuel.

Benoît Grevisse, professeur à l'Université catholique de Louvain, dirige l'École de journalisme de Louvain (EjL). Il est membre de l'ORM (Observatoire de Recherche sur les Médias et le journalisme). Selon lui, la question des femmes est devenue naturellement un sujet récurrent au cours de ces dernières années dans la formation des étudiant.e.s. Des cours de déontologie journalistique sont enseignés,"La non-discrimination des femmes est un principe international, mais on met aussi le doigt sur la pratique courante, et sur les défaillances qui persistent dans ce domaine. Cela pose aussi la question du traitement des informations, que ce soit sur le registre de la vérité ou sur le registre de l'engagement et de la propagande. Il est donc important d'expliquer qu'il ne faut pas confondre opinion et engagement. On observe aussi que la question des femmes figure de plus en plus parmi les sujets de recherches proposés par nos étudiants, et pas seulement des jeunes femmes. Quand à l'écriture journalistique, cela entre dans le cadre de notre enseignement de la méthodologie, on y avantage les termes épicènes, la féminisation des fonctions est déjà appliquée".

Enquête interne à l'AFP

Au sein de l’Agence France Presse, troisième agence de presse mondiale, une enquête a été menée en interne par deux journalistes de l’agence, Aurélia End et Pauline Talagrand, pendant cinq mois. Le rapport de mission "représentation des femmes dans la production AFP", long de 16 pages, vient d’être rendu. Même s'il estime en préalable que l'agence n'a pas à rougir de son travail sur ces questions, il pointe certaines défaillances, et prône un certain nombre d’ajustements.
 

Nous avons rencontré Michèle Léridon, première femme à la tête de la Direction de l'Information de l'AFP, de 2014 à 2019 (Michèle Léridon va désormais siéger au CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel français), pour évoquer les enseignements de cette investigation interne et les recommandations inscrites depuis le mois de janvier 2018 au Manuel de l'Agencier, petite bible des 1513 journalistes de l’agence.
 
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L'AFP n'a pas à rougir de sa production, mais on peut toujours mieux faire !
Michèle Léridon, directrice de l'Information de l'AFP

Terriennes : Comme l'a fait le journal Le Temps, est-ce que l’AFP a cherché à faire son autocritique ?

Michèle Léridon : On a l’habitude à l’Agence de réfléchir, aux mots qu’on emploie, au contenu, car on a une responsabilité très importante, nos dépêches sont reprises par nos clients, et sont susceptibles d’être publiées des dizaines de milliers de fois. Donc, sur tous les grands sujets de société, qu’il s’agisse de terrorisme, ou autre, on s’est interrogé sur les termes qu’on utilise, la façon de traiter les événements. Sur les femmes, c’est donc une initiative de deux journalistes de l’Agence qui se doutaient sans doute qu’en me proposant cette enquête interne, j’y adhèrerai. Plutôt qu’autocritique, c’est plus une auto-analyse. Concernant les femmes, on s’est rendu compte que nous avions parfois des expressions maladroites, des manquements. Leur constat, c’est que malgré tout l’AFP n’a pas à rougir de sa production, en revanche, on peut toujours mieux faire. Des questions à se poser, des termes qui interrogent, et puis il y a la féminisation des titres. Il y avait certaines réticences, cette fois, on saura quelle est la doctrine de l’Agence. On a donc décidé d’appliquer les recommandations du guide qui existe .

L’écriture inclusive, je n’y suis pas favorable, surtout pour des raisons techniques propres à l’Agence

Concernant l’écriture inclusive, danger mortel pour la langue française selon l’Académie française, quel est le choix de l’AFP ?

Michèle Léridon : Pour l’heure, nous avons décidé de ne pas retenir cette forme d’écriture, ne serait-ce que pour des raisons techniques. On a des titres de dépêches, ce qu’on appelle aussi des alertes, qui comportent une information très brève et donc contenant un texte très court, qui partent immédiatement chez nombre de clients, pour être en ligne sur leur site web, et pour moi  l’important c’est la lisibilité. Je ne crois pas que l’écriture inclusive permette plus de visibilité des femmes. Je pense qu’il faut plus travailler sur le fond, sur la place des femmes, les experts. Pour les termes épicènes, évidemment, on les privilégie, car ils sont bien pratiques !

Désormais, on écrira accusatrice plutôt que victime présumée

Un travail particulier est annoncé sur les faits divers, et notamment des formations sont envisagées pour vos journalistes, pourquoi ?

Michèle Léridon : Tout simplement pour que soient bannies définitivement certaines formulations, comme « drame passionnel », ou « drame de l’amour », quand il s’agit de crime conjugal, de violence conjugale, et puis il faut rappeller qu’un fait divers a un interêt s’il est replacé dans un contexte, si on donne d’autres éléments, des  statistiques. Autre terme désormais écarté, celui de victime présumée, parce que quelque part on induit un doute, sans pour autant remettre la présomption d’innocence,  on écrira accusatrice.

Les deux journalistes qui ont réalisé cette enquête ont pointé aussi la manière dont les femmes  sont présentées, par leur vêtement, leur apparence, et pas du tout pour les hommes, qu’en pensez-vous ? 
 
Michèle Léridon : Moi, je vais un petit peu moins loin que les deux auteures, même si j’ai repris 95% de leurs préconisations. Je pense qu’il faut garder ce qu’on appelle dans le jargon journalistique de la couleur dans les articles, et qu’on continue à raconter des  histoires. La tenue vestimentaire d’un tel ou d’une telle peut avoir un interêt parfois ! Préciser que le tailleur rouge ou bleu de Mme Merkel tranche sur les costumes gris de ses collègues, ça ne me semble pas aberrant. Après ce qu’il faut peut-être rappeller, c’est que ces informations soient descriptives et non des jugements de valeur, telle que par exemple « la resplendissante Mme X » parce qu’on ne dit pas « le sublime Mr X », en revanche que l’on parle de la chevelure du Président des Etats-Unis, ou de la tenue de telle première Dame ou cheffe d’Etat, ça ne me choque pas en soi, mais il faut avoir le même traitement pour tout le monde.

Quand on cherche la femme, on la trouve ! L’AFP est aussi une banque d’images, et sur ce plan il y a des efforts à faire ?

Michèle Léridon : Oui, ça fait partie des nouvelles mesures, en même temps c’est aussi le résultat du manque de femmes aux postes de dirigeants. Si à un sommet mondial, il n’y a que quelques femmes, on ne peut pas en montrer plus, mais il y a un effort à faire surtout sur les experts qu’on sollicite.  Il y a plusieurs guides qui recensent les femmes expertes, il faut sans cesse en trouver de nouvelles, souvent quand on leur demande de s’exprimer, je pense aux universitaires, ou aux chercheures, jusqu’à présent certaines ne s’estiment pas suffisamment spécialistes pour parler du sujet traité, c’est à nous journalistes de le mettre en confiance aussi. Toutes ces mesures destinées à améliorer la place des femmes dans les contenus de l’Agence, elles visent aussi à améliorer nos contenus dans leur ensemble, c’est-à-dire diversifier ses sources, aller chercher de nouvelles spécialistes, et ne pas aller chercher toujours le même expert dont on sait d’avance ce qu’il va nous répondre, de toute façon, c’est une bonne chose.  

(A l'AFP, le Comité exécutif est composé de deux hommes et une femme, 6 directeurs et 5 directrices de service, 5 directeurs régionaux et 2 directrices régionales. ndlr)

Et à Tv5monde ? A l'heure des autocritiques, à la rédaction aussi, la question de la visibilité des femmes se pose. Pour donner le ton, dès l'automne dernier, le Directeur général Yves Bigot annonçait lors de notre débat sur l'écriture inclusive organisé en Facebooklive, que notre chaîne était le premier média francophone à signer la Charte du HCE, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a publié un guide de bonnes pratiques pour une communication sans stéréotype de sexe.

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