La journaliste Michèle Léridon, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) depuis deux ans après une longue carrière à l'Agence France-Presse, dont elle fut directrice de l'information, est décédée hier à l'âge de 62 ans, a annoncé l'autorité de régulation #AFP pic.twitter.com/hY1B5Swc2y
— Agence France-Presse (@afpfr) May 4, 2021
Plusieurs grands titres mettent en place des chartes pour féminiser leurs publications et inciter leurs journalistes à s’intéresser plus à ces problématiques via un prisme égalitaire. Exemple au quotidien Le Monde, le site BuzzfeedNews nous apprend que son directeur Jérome Fenoglio a transmis à ses équipes dans une note datée du 6 janvier 2018 "des directives pour commencer à mettre en place une grammaire plus égalitaire. Le journal va expérimenter l'accord de proximité dans un supplément et le point médian dans ses appels à témoignages".

Le quotidien suisse Le Temps, lui, s’est illustré en décembre 2017 en faisant son autocritique : « Moins il y a de femmes en illustration, moins elles sont légitimées», déclarait une lectrice assidue qui pendant plusieurs mois a twitté un décompte quotidien du nombre de femmes et d'hommes apparaissant dans le journal.
> Parité des représentations dans la presse française ? Invisibles femmes
Benoît Grevisse, professeur à l'Université catholique de Louvain, dirige l'École de journalisme de Louvain (EjL). Il est membre de l'ORM (Observatoire de Recherche sur les Médias et le journalisme). Selon lui, la question des femmes est devenue naturellement un sujet récurrent au cours de ces dernières années dans la formation des étudiant.e.s. Des cours de déontologie journalistique sont enseignés,"La non-discrimination des femmes est un principe international, mais on met aussi le doigt sur la pratique courante, et sur les défaillances qui persistent dans ce domaine. Cela pose aussi la question du traitement des informations, que ce soit sur le registre de la vérité ou sur le registre de l'engagement et de la propagande. Il est donc important d'expliquer qu'il ne faut pas confondre opinion et engagement. On observe aussi que la question des femmes figure de plus en plus parmi les sujets de recherches proposés par nos étudiants, et pas seulement des jeunes femmes. Quand à l'écriture journalistique, cela entre dans le cadre de notre enseignement de la méthodologie, on y avantage les termes épicènes, la féminisation des fonctions est déjà appliquée".
Enquête interne à l'AFP
Au sein de l’Agence France Presse, troisième agence de presse mondiale, une enquête a été menée en interne par deux journalistes de l’agence, Aurélia End et Pauline Talagrand, pendant cinq mois. Le rapport de mission "représentation des femmes dans la production AFP", long de 16 pages, vient d’être rendu. Même s'il estime en préalable que l'agence n'a pas à rougir de son travail sur ces questions, il pointe certaines défaillances, et prône un certain nombre d’ajustements.Très contente et fière de travailler dans une agence qui réfléchit véritablement au traitement médiatique des femmes et s'engage pour plus d'égalité Extrait d'injonctions qui vont être rajoutées au Manuel de l'Agencier (mail de la direction de l'information) #AFP pic.twitter.com/L7v66PMmXd
— Charlotte Durand (@ChashimiD) 26 décembre 2017
Nous avons rencontré Michèle Léridon, première femme à la tête de la Direction de l'Information de l'AFP, de 2014 à 2019 (Michèle Léridon va désormais siéger au CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel français), pour évoquer les enseignements de cette investigation interne et les recommandations inscrites depuis le mois de janvier 2018 au Manuel de l'Agencier, petite bible des 1513 journalistes de l’agence.
Michèle Léridon, directrice de l'Information de l'AFP
Terriennes : Comme l'a fait le journal Le Temps, est-ce que l’AFP a cherché à faire son autocritique ?
Michèle Léridon : On a l’habitude à l’Agence de réfléchir, aux mots qu’on emploie, au contenu, car on a une responsabilité très importante, nos dépêches sont reprises par nos clients, et sont susceptibles d’être publiées des dizaines de milliers de fois. Donc, sur tous les grands sujets de société, qu’il s’agisse de terrorisme, ou autre, on s’est interrogé sur les termes qu’on utilise, la façon de traiter les événements. Sur les femmes, c’est donc une initiative de deux journalistes de l’Agence qui se doutaient sans doute qu’en me proposant cette enquête interne, j’y adhèrerai. Plutôt qu’autocritique, c’est plus une auto-analyse. Concernant les femmes, on s’est rendu compte que nous avions parfois des expressions maladroites, des manquements. Leur constat, c’est que malgré tout l’AFP n’a pas à rougir de sa production, en revanche, on peut toujours mieux faire. Des questions à se poser, des termes qui interrogent, et puis il y a la féminisation des titres. Il y avait certaines réticences, cette fois, on saura quelle est la doctrine de l’Agence. On a donc décidé d’appliquer les recommandations du guide qui existe .
L’écriture inclusive, je n’y suis pas favorable, surtout pour des raisons techniques propres à l’Agence
Concernant l’écriture inclusive, danger mortel pour la langue française selon l’Académie française, quel est le choix de l’AFP ?
Michèle Léridon : Pour l’heure, nous avons décidé de ne pas retenir cette forme d’écriture, ne serait-ce que pour des raisons techniques. On a des titres de dépêches, ce qu’on appelle aussi des alertes, qui comportent une information très brève et donc contenant un texte très court, qui partent immédiatement chez nombre de clients, pour être en ligne sur leur site web, et pour moi l’important c’est la lisibilité. Je ne crois pas que l’écriture inclusive permette plus de visibilité des femmes. Je pense qu’il faut plus travailler sur le fond, sur la place des femmes, les experts. Pour les termes épicènes, évidemment, on les privilégie, car ils sont bien pratiques !
Désormais, on écrira accusatrice plutôt que victime présumée
Un travail particulier est annoncé sur les faits divers, et notamment des formations sont envisagées pour vos journalistes, pourquoi ?
Michèle Léridon : Tout simplement pour que soient bannies définitivement certaines formulations, comme « drame passionnel », ou « drame de l’amour », quand il s’agit de crime conjugal, de violence conjugale, et puis il faut rappeller qu’un fait divers a un interêt s’il est replacé dans un contexte, si on donne d’autres éléments, des statistiques. Autre terme désormais écarté, celui de victime présumée, parce que quelque part on induit un doute, sans pour autant remettre la présomption d’innocence, on écrira accusatrice.
Les deux journalistes qui ont réalisé cette enquête ont pointé aussi la manière dont les femmes sont présentées, par leur vêtement, leur apparence, et pas du tout pour les hommes, qu’en pensez-vous ?
Michèle Léridon : Moi, je vais un petit peu moins loin que les deux auteures, même si j’ai repris 95% de leurs préconisations. Je pense qu’il faut garder ce qu’on appelle dans le jargon journalistique de la couleur dans les articles, et qu’on continue à raconter des histoires. La tenue vestimentaire d’un tel ou d’une telle peut avoir un interêt parfois ! Préciser que le tailleur rouge ou bleu de Mme Merkel tranche sur les costumes gris de ses collègues, ça ne me semble pas aberrant. Après ce qu’il faut peut-être rappeller, c’est que ces informations soient descriptives et non des jugements de valeur, telle que par exemple « la resplendissante Mme X » parce qu’on ne dit pas « le sublime Mr X », en revanche que l’on parle de la chevelure du Président des Etats-Unis, ou de la tenue de telle première Dame ou cheffe d’Etat, ça ne me choque pas en soi, mais il faut avoir le même traitement pour tout le monde.
Quand on cherche la femme, on la trouve ! L’AFP est aussi une banque d’images, et sur ce plan il y a des efforts à faire ?
Michèle Léridon : Oui, ça fait partie des nouvelles mesures, en même temps c’est aussi le résultat du manque de femmes aux postes de dirigeants. Si à un sommet mondial, il n’y a que quelques femmes, on ne peut pas en montrer plus, mais il y a un effort à faire surtout sur les experts qu’on sollicite. Il y a plusieurs guides qui recensent les femmes expertes, il faut sans cesse en trouver de nouvelles, souvent quand on leur demande de s’exprimer, je pense aux universitaires, ou aux chercheures, jusqu’à présent certaines ne s’estiment pas suffisamment spécialistes pour parler du sujet traité, c’est à nous journalistes de le mettre en confiance aussi. Toutes ces mesures destinées à améliorer la place des femmes dans les contenus de l’Agence, elles visent aussi à améliorer nos contenus dans leur ensemble, c’est-à-dire diversifier ses sources, aller chercher de nouvelles spécialistes, et ne pas aller chercher toujours le même expert dont on sait d’avance ce qu’il va nous répondre, de toute façon, c’est une bonne chose.
(A l'AFP, le Comité exécutif est composé de deux hommes et une femme, 6 directeurs et 5 directrices de service, 5 directeurs régionaux et 2 directrices régionales. ndlr)
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