Fil d'Ariane
La nouvelle loi française sur la bioéthique, définitivement adoptée le 29 juin 2021, entre en vigueur. Les député-e-s ont dit oui à l'une des mesures emblématiques de ce texte, qui avait été rejetée par les sénateurs : celle d'autoriser la PMA à toutes les femmes. La question de la filiation est au coeur du débat.
Célibataire, lesbienne solo ou en couple... Toutes les femmes peuvent désormais, en France, faire des bébés toutes seules, ou presque, par procréation médicalement assistée (PMA). C'est ce que prévoit la nouvelle loi de bioéthique adoptée à l'Assemblée nationale le 29 juin 2021 et dont le décret a été publié au Journal Officiel le 29 septembre 2021.
Rien n'était pourtant gagné au vu du vote du 4 février dernier. Si le Sénat -à majorité de droite- a dit oui au projet de loi, il l'a amputé de sa mesure emblématique, l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Une décision qui a provoqué la déception du président de la chambre haute, Gérard Larcher, ainsi que la colère des élu-e-s de gauche et des associations LGBT et représentant les mères seules : "Lamentable", "ignoble", "superbe leçon de patriarcat", ont-elles déclaré.
Mais ce sont les député-e-s qui ont eu le dernier mot en décidant de rétablir cette disposition. Le texte, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale à la mi-octobre 2020, est passé en troisième lecture devant l'Assemblée nationale avec pour mission de valider ce projet de loi, troisième du genre, dans le prolongement des lois de 2004 et 2011.
" Cela fait deux ans que nous travaillons à ce texte de loi. (...) C'est un choix de société, nous l'assumons", a déclaré Agnès Buzyn sur Europe 1, tout en assurant respecter "les positions contraires". Pour la ministre de la Santé et des Solidarités, "il y a dans cette loi des mesures beaucoup plus transformantes que la PMA pour la société". Elle insiste notamment sur les analyses génétiques et les tests récréatifs, dont elle souhaite voir maintenue l'interdiction.
La procréation médicalement assistée (PMA), qui permet d'avoir un enfant au moyen de différentes techniques médicales (insémination artificielle, fécondation in vitro...) reste à ce jour réservée aux couples hétérosexuels en France. A l'heure actuelle, la Sécurité sociale les prend en charge les PMA jusqu'au 43e anniversaire de la femme pour au maximum 6 inséminations artificielles et 4 fécondations in vitro.
Depuis son passage à l'Assemblée, des modifications significatives ont été apportées au texte, plusieurs amendements venant de la droite de l’hémicycle sont venus conditionner cette ouverture de la PMA à toutes les femmes. Les sénateurs ont notamment décidé de limiter le remboursement de la PMA par l’Assurance Maladie. Ils ont introduit dans le texte un "critère d’infertilité médicalement diagnostiqué ou la non transmission d’une maladie d’une particulière gravité". Les couples hétérosexuels seront contraints de prouver ce critère médical. Ce qui exclut de fait les femmes seules et les couples de femmes, qui, elles, ne pourront pas être systématiquement remboursées. Le gouvernement s'était pourtant clairement engagé en faveur d'un remboursement à 100% pour tous.tes, sans critère médical.
Dans l'hémicycle, la bataille s'annonce rude, et le résultat serré.
— Agence France-Presse (@afpfr) January 21, 2020
Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, l'ouverture de la procréation médicalement assistée (#PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, divise la droite sénatoriale pic.twitter.com/MnOLsZFb9h
Cette loi constitue une "novation importante" pour "sécuriser un lien de filiation sur la base du consentement de deux personnes, là où la vraisemblance biologique ne peut pas jouer" (la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée, ndlr), avait expliqué la ministre de la Justice, Nicole Belloubet lors d'une première audition lundi 9 septembre- aux côtés des ministres de la Santé et de la Recherche.
En août, la ministre avait indiqué que "sur l'acte de naissance apparaîtra "mère' et 'mère' [pour] des enfants qui sont issus d'une PMA pour un couple de femmes", au lieu de la dénomination "parent 1" et "parent 2" , évoquée antérieurement.
Dans l'acte intégral de naissance, "il sera mentionné que les deux mères ont reconnu l'enfant à telle date, devant notaire, rien de plus (...), il n'y aura aucune mention de la PMA", a assuré Nicole Belloubet, rejetant les termes de "stigmatisation" et de "discrimination", et n'y voyant qu'une simple "distinction juridique".
Les couples hétéros qui veulent avoir recours à une PMA doivent au préalable signer un consentement devant le notaire. Si le couple est marié, l'homme est automatiquement considéré comme le père, s'il ne l'est pas, le père doit reconnaître l'enfant avant la naissance.
"Ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées (...) c'est ouvrir les yeux sur ce qu'est la famille aujourd'hui en France. Une famille qui a de nombreux visages", a déclaré de son côté la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.
Lire notre article ► PMA pour toutes : le projet de loi sur la bioéthique passe en Conseil des ministres
Aujourd’hui, on estime à environ 2500 par an le nombre de femmes ayant recours à une PMA à l'étranger faute de pouvoir le faire en France.
"Je n'ai jamais posé de questions à ma mère sur le donneur, parce que ça ne m'a jamais intéressée. Les hommes qui donnent du sperme sont des géniteurs, mais ça ne fait pas d'eux des papas", déclare Chloé sur FrancetvInfo.fr, qui a recueilli les témoignages d'enfants de mères lesbiennes conçus par PMA. Une autre raconte avoir regardé "des albums photos montrant les voyages de ses mères en Belgique".
Olivia Knittel raconte dans son livre PMA pour mon amour (Editions Le Cherche Midi) son parcours en tant que maman célibataire de deux filles concues par PMA. "N'ayant pas d'amoureux à l'époque, je ne voulais pas d'un papa d'un soir, j'ai décidé de procéder à une PMA à l'étranger et j'ai choisi le Danemark, car je voulais des donneurs ouverts, c'est à dire qui acceptent d'être contactés. C'était très important pour moi que mon enfant puisse connaître plus tard ses origines", explique la journaliste sur le plateau de TV5monde.
"Aujourd'hui, ouvrir la PMA aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes, c'est tout simplement donner les mêmes droits à toutes les femmes !", réagit-elle. Elle explique aussi le sentiment de rejet qu'elle a pu éprouver en France : "J'étais dans un pays dans lequel mon désir de grossesse en tant que femme seule était illégitime, alors qu'il l'est ailleurs, comme en Belgique ou aux Pays-Bas, où j'ai été accueillie à bras ouverts !"
Pour Jean-François Delfraissy, Président du Conseil consultatif national d'éthique français, également invité dans le journal 64', cette loi est "une loi de confiance et d'ouverture... Dans les lois précédentes, c'était plutôt 'On interdit, on interdit, on interdit !' Il faut bien interdire certaines choses, il y a des lignes rouges à respecter (comme la GPA, la gestation par autrui et les modifications de génome sur embryon) mais pour les faire respecter il faut aussi s'ouvrir, et qu'on tienne compte des avancées scientifiques et des modifications sociétales", ajoute-t-il.
Les opposants à l'ouverture de la PMA porteront aussi le combat sur la réforme de la filiation qui y est associée #AFP pic.twitter.com/GG1Vty1DHV
— Agence France-Presse (@afpfr) January 21, 2020