Célibataire, lesbienne solo ou en couple... Toutes les femmes pourront bientôt, en France, faire des bébés toutes seules, ou presque, par procréation médicalement assistée (PMA). C'est ce que prévoit la nouvelle loi de bioéthique.
Rien n'est gagné au vu du vote du 4 février dernier. Si le Sénat -à majorité de droite- a dit oui au projet de loi, il l'a amputé de sa mesure emblématique, l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Une décision qui a provoqué la déception du président de la chambre haute, Gérard Larcher, ainsi que la colère des élu-e-s de gauche et des associations LGBT et représentant les mères seules : "Lamentable", "ignoble", "superbe leçon de patriarcat", ont-elles déclaré.
Une dernière chance cependant ... Entre les mains des député-e-s qui pourraient décider de rétablir cette disposition. Le texte, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale à la mi-octobre 2020, reviendra devant l'Assemblée nationale qui aura pour mission de valider ce projet de loi, troisième du genre, dans le prolongement des lois de 2004 et 2011.
Agnès Buzyn, ministre de la santé
" Cela fait deux ans que nous travaillons à ce texte de loi. (...) C'est un choix de société, nous l'assumons", a déclaré Agnès Buzyn sur Europe 1, tout en assurant respecter "les positions contraires". Pour la ministre de la Santé et des Solidarités, "il y a dans cette loi des mesures beaucoup plus transformantes que la PMA pour la société". Elle insiste notamment sur les analyses génétiques et les tests récréatifs, dont elle souhaite voir maintenue l'interdiction.
La procréation médicalement assistée (PMA), qui permet d'avoir un enfant au moyen de différentes techniques médicales (insémination artificielle, fécondation in vitro...) reste à ce jour réservée aux couples hétérosexuels en France. A l'heure actuelle, la Sécurité sociale les prend en charge les PMA jusqu'au 43e anniversaire de la femme pour au maximum 6 inséminations artificielles et 4 fécondations in vitro.
Depuis son passage à l'Assemblée, des modifications significatives ont été apportées au texte, plusieurs amendements venant de la droite de l’hémicycle sont venus conditionner cette ouverture de la PMA à toutes les femmes. Les sénateurs ont notamment décidé de limiter le remboursement de la PMA par l’Assurance Maladie. Ils ont introduit dans le texte un "critère d’infertilité médicalement diagnostiqué ou la non transmission d’une maladie d’une particulière gravité". Les couples hétérosexuels seront contraints de prouver ce critère médical. Ce qui exclut de fait les femmes seules et les couples de femmes, qui, elles, ne pourront pas être systématiquement remboursées. Le gouvernement s'était pourtant clairement engagé en faveur d'un remboursement à 100% pour tous.tes, sans critère médical.
Dans l'hémicycle, la bataille s'annonce rude, et le résultat serré.
— Agence France-Presse (@afpfr) January 21, 2020
Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, l'ouverture de la procréation médicalement assistée (#PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, divise la droite sénatoriale pic.twitter.com/MnOLsZFb9h
La question de la filiation : "mère et mère" ?
Cette loi constitue une "novation importante" pour "sécuriser un lien de filiation sur la base du consentement de deux personnes, là où la vraisemblance biologique ne peut pas jouer" (la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée, ndlr), avait expliqué la ministre de la Justice, Nicole Belloubet lors d'une première audition lundi 9 septembre- aux côtés des ministres de la Santé et de la Recherche.
Nicole Belloubet
Deuxième changement par rapport au texte initial : la filiation des enfants de couples de lesbiennes nés par PMA fera partie du même article du code civil que celle des enfants d'hétérosexuels nés par PMA, alors que le projet antérieur prévoyait la création d'un article spécifique au code civil. Cela "a pu laisser craindre que nous entendions enfermer les couples lesbiens dans un cadre juridique à part. Telle n'est pas l'intention du gouvernement", a martelé la ministre. Les deux femmes du couple pourront être mères "toutes les deux sans distinction et sans hiérarchie", a-t-elle promis.
En août, la ministre avait indiqué que "sur l'acte de naissance apparaîtra "mère' et 'mère' [pour] des enfants qui sont issus d'une PMA pour un couple de femmes", au lieu de la dénomination "parent 1" et "parent 2" , évoquée antérieurement.
Dans l'acte intégral de naissance, "il sera mentionné que les deux mères ont reconnu l'enfant à telle date, devant notaire, rien de plus (...), il n'y aura aucune mention de la PMA", a assuré Nicole Belloubet, rejetant les termes de "stigmatisation" et de "discrimination", et n'y voyant qu'une simple "distinction juridique".
Les couples hétéros qui veulent avoir recours à une PMA doivent au préalable signer un consentement devant le notaire. Si le couple est marié, l'homme est automatiquement considéré comme le père, s'il ne l'est pas, le père doit reconnaître l'enfant avant la naissance.
"Ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées (...) c'est ouvrir les yeux sur ce qu'est la famille aujourd'hui en France. Une famille qui a de nombreux visages", a déclaré de son côté la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.

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Un désir de grossesse légitime
Aujourd’hui, on estime à environ 2500 par an le nombre de femmes ayant recours à une PMA à l'étranger faute de pouvoir le faire en France.
"Je n'ai jamais posé de questions à ma mère sur le donneur, parce que ça ne m'a jamais intéressée. Les hommes qui donnent du sperme sont des géniteurs, mais ça ne fait pas d'eux des papas", déclare Chloé sur FrancetvInfo.fr, qui a recueilli les témoignages d'enfants de mères lesbiennes conçus par PMA. Une autre raconte avoir regardé "des albums photos montrant les voyages de ses mères en Belgique".
Olivia Knittel raconte dans son livre PMA pour mon amour (Editions Le Cherche Midi) son parcours en tant que maman célibataire de deux filles concues par PMA. "N'ayant pas d'amoureux à l'époque, je ne voulais pas d'un papa d'un soir, j'ai décidé de procéder à une PMA à l'étranger et j'ai choisi le Danemark, car je voulais des donneurs ouverts, c'est à dire qui acceptent d'être contactés. C'était très important pour moi que mon enfant puisse connaître plus tard ses origines", explique la journaliste sur le plateau de TV5monde.
Olivia Knittel, autrice de PMA pour mon amour
"Aujourd'hui, ouvrir la PMA aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes, c'est tout simplement donner les mêmes droits à toutes les femmes !", réagit-elle. Elle explique aussi le sentiment de rejet qu'elle a pu éprouver en France : "J'étais dans un pays dans lequel mon désir de grossesse en tant que femme seule était illégitime, alors qu'il l'est ailleurs, comme en Belgique ou aux Pays-Bas, où j'ai été accueillie à bras ouverts !"
Pour Jean-François Delfraissy, Président du Conseil consultatif national d'éthique français, également invité dans le journal 64', cette loi est "une loi de confiance et d'ouverture... Dans les lois précédentes, c'était plutôt 'On interdit, on interdit, on interdit !' Il faut bien interdire certaines choses, il y a des lignes rouges à respecter (comme la GPA, la gestation par autrui et les modifications de génome sur embryon) mais pour les faire respecter il faut aussi s'ouvrir, et qu'on tienne compte des avancées scientifiques et des modifications sociétales", ajoute-t-il.
Le cas belge
En Belgique, la PMA est légalement ouverte à toutes les femmes depuis 2007. Refusant de "privilégier un modèle familial plutôt qu’un autre", le législateur avait alors autorisé l’accès à cette technique à tout "auteur de projet parental", ce qui incluait les femmes lesbiennes et célibataires. Seules contraintes imposées : l'âge . Les femmes doivent avoir entre 18 et 45 ans inclus pour un prélèvement de gamètes ; moins de 47 ans pour faire une demande d’implantation d’embryons ou d’insémination de gamètes.Depuis douze ans, la demande n’a cessé d’augmenter, contraignant les banques de sperme belges à recourir à des gamètes venus d'autres pays.
PMA autorisée pour les couples lesbiens et les femmes seules : Espagne, Portugal, Irlande, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Suède, Finlande, Luxembourg.
PMA autorisée pour les couples lesbiens mais pas les femmes seules : Autriche.
PMA autorisée pour les femmes seules mais pas les couples lesbiens : Estonie, Lettonie, Pologne, Hongrie, Slovénie, Croatie, Bulgarie, Grèce, Chypre.
PMA interdite aux couples lesbiens et aux femmes seules : Lituanie, Allemagne, République Tchèque, Roumanie, Italie, Malte, France, Slovaquie, Slovénie.

Des parents sous surveillance
Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif d'associatifs et de médecins s'inquiètent de certaine dispositions figurant dans le projet initial. "L’article 6-1 du code civil, créé pour l’occasion, prive de fait les couples de même sexe d’une filiation dans ou hors mariage, à l’exception de l’adoption, les obligeant à se marier pour adopter, y compris l’enfant né dans le couple. Soumis au droit de l’adoption, les parents homosexuels sont mis sous surveillance : la procédure implique l’intervention de policiers et de magistrats et la création d’un dossier de moralité", souligne le collectif.Collectif d'associatifs et de médecins, tribune parue dans Le Monde
Le texte conclut sur cet appel adressé aux député.e.s : "La loi doit permettre à chaque parent de se sentir pleinement reconnu, indépendamment de son orientation sexuelle et à chaque enfant de se sentir pleinement accueilli dans notre maison commune, la France", en rappelant l’engagement d’égalité du président Emmanuel Macron.
Anti-PMA et anti-GPA, même combat ?
Dans le camp opposé, après avoir concentré leurs forces pour s'opposer à la loi autorisant le mariage gay en 2013, la Manif pour tous a organisé plusieurs rassemblements, en octobre, et ce dimanche 20 janvier 2020, deux jours avant l'examen du texte au Sénat. Pour mobiliser les troupes, les anti-PMA montent aussi la fronde contre la GPA (gestation pour autrui) et sur la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger.Les opposants à l'ouverture de la PMA porteront aussi le combat sur la réforme de la filiation qui y est associée #AFP pic.twitter.com/GG1Vty1DHV
— Agence France-Presse (@afpfr) January 21, 2020
La gestation pour autrui (GPA), est aujourd’hui toujours interdite en France.
Actuellement, seul l’homme est considéré comme le père d'un enfant né d’une GPA car donneur du sperme. La mère ou l’autre père doit l'adopter.
Deux décisions récentes ont pourtant fait exception. En septembre 2019, la Cour de cassation a validé la transcription entière des actes de naissance des jumelles Mennesson, adolescentes nées par PMA en Californie, un cas emblématique de GPA à l’étranger. En décembre, elle a validé le principe de la transcription de l’état civil d’un enfant né par GPA à l’étranger dans un couple d’hommes, reconnaissant le père biologique et le père d’intention.
Un amendement visant à reconnaître en France la filiation d’enfants conçus par GPA dans un pays étranger où la pratique est autorisée avait finalement été rejeté à l’Assemblée. Le gouvernement a clairement placé la GPA comme ligne rouge à ne pas franchir.
Le projet de loi de bioéthique remanié en commission sera débattu en séance publique au Sénat jusqu’au vote prévu le 4 février, puis retour à l'Assemblée. Le gouvernement souhaite son application dès l’été 2020.