Fil d'Ariane
En février 2020, ils étaient 365 députés polonais à voter contre le passage immédiat au vote de cette proposition présentée par "Stop Avortement", un lobby proche de l'extrême droite dirigé par Kaja Godek, militante pro-vie et ancienne candidate aux élections européennes. La proposition avait recueilli l'appui de quelque 830 000 signataires, ce qui, pour la loi polonaise, autorisait sa présentation au Parlement, le quota des 100 000 signatures nécessaires étant largement dépassé.
Je signerai la loi interdisant l'avortement eugénique, avant tout pour supprimer le droit de tuer des enfants atteints du syndrome de Down.
Andrzej Duda, chef de l'État polonais
Le président Andrzej Duda briguait alors son deuxième mandat - il sera réélu à la tête du pays à l'issue du scrutin du 28 juin 2020. Et si ce projet était adopté par le Parlement, déclarait-il, il le signerait certainement : "Je signerai la loi interdisant l'avortement eugénique, avant tout pour supprimer le droit de tuer des enfants atteints du syndrome de Down (trisomie 21, ndlr)."
Ce n'est pas une première pour ces Polonaises déterminées : en 2016, déjà, elles avaient occupé la rue pour faire valoir leur droit à disposer de leur corps et à choisir le moment de leur maternité.
Selon des associations, le nombre d'IVG pratiquées clandestinement en Pologne ou dans des cliniques étrangères atteindrait près de 200 000 par an, avec tous les risques qu'ils comportent pour la santé et la vie des femmes. Selon les données officielles, la Pologne, un pays de 38 millions d'habitants, n'a enregistré en 2019 qu'environ 1100 cas d'IVG, dont l'écrasante majorité était autorisée à cause de la malformation irréversible du foetus.
Cette loi, si elle est adoptée, aboutira à interdire virtuellement l'avortement.
Dunja Mijatovic, commissaire du Conseil de l'Europe pour les droits humains
Le 14 avril, la commissaire du Conseil de l'Europe pour les droits humains, la Bosnienne Dunja Mijatovic, critiquait les deux textes à l'étude. "Comme presque toutes les interruptions légales de grossesse pratiquées aujourd'hui en Pologne tombent dans cette catégorie (malformations congénitales), cette loi, si elle est adoptée, aboutira à interdire virtuellement l'avortement, affectant sérieusement les droits et la sécurité des femmes dans ce pays", déclarait-elle.
Après une visite en Pologne en mars 2019, Dunja Mijatovic rédigeait un rapport alarmiste. Elle écrivait : "Les autorités polonaises doivent en urgence adopter la législation nécessaire pour assurer l'accessibilité en pratique aux services légaux d'avortement". Un an plus tard, les plus radicaux de la très catholique Pologne reviennent à la charge.
Ce 22 octobre, la Cour constitutionnelle polonaise a ouvert la voie au durcissement de la loi sur l'avortement en invalidant l'article autorisant l'IVG en cas de malformation grave du fœtus. La présidente de la Cour, Julia Przylebska, déclare la législation existante autorisant l'avortement de fœtus mal formés "incompatible" avec la Constitution du pays.
Cette décision a provoqué une réaction critique immédiate de la Commissaire aux droits humains du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic, qui l'écrit dans un communiqué : "Eliminer les motifs de quasiment tous les avortements légaux en Pologne équivaut à les interdire et à violer les droits humains". Cette décision "se traduit en avortements clandestins ou (pratiqués) à l'étranger pour ceux qui en ont les moyens et davantage de souffrances chez les autres".
"Removing the basis for almost all legal abortions in Poland amounts to a ban and violates human rights. Today's ruling of the Constitutional Court means underground/abroad abortions for those who can afford and even greater ordeal for all others. https://t.co/fTp7VMyXhU
— Dunja Mijatovic (@Dunja_Mijatovic) October 22, 2020
Le chef du Parti populaire européen (PPL) et ex-président du Conseil européen Donald Tusk s'est joint aux réactions d'indignation suscitées par ce verdict. Pour l'ancien Premier ministre polonais, "Soulever la question de l'avortement et la décision de cette pseudo-cour (réformé par le gouvernement du Droit et Justice, la Cour constitutionnelle est souvent accusée de compter dans ses rangs nombre de juges loyaux à ce parti, ndlr) en plein milieu de la tempête pandémique, c'est plus que du cynisme. C'est de la crapulerie politique".
Face à la mobilisation des Polonaises, descendues en masse dans les rues pour protester contre cette atteinte à leurs droits dès l'annonce de la décision de la Cour constitutionnelle, face à la mobilisation mondiale sur les réseaux sociaux pour soutenir les femmes polonaises et dans un contexte de pandémie mondiale, l'interdiction de l'avortement est provisoirement suspendue, mais jusqu'à quand ?
IVG POUR TOUTES !
— #Belarus (@propeertys) November 1, 2020
Tout mon soutien aux militantes polonaises !
Postez vos photos ! #Pologne #IVG #Avortement #supportpolishwomen #strajkobiet #tojestwojna #jebacpis #Wypieradalać pic.twitter.com/J1DhoV6Byk
Le droit à l'avortement reste fragile ailleurs aussi dans le monde. Fin octobre 2019, l'Irlande du Nord après des années d'opposition, a fini par voter pour. Membre de l'Union européenne, Malte continue de l'interdire totalement, à comme une quinzaine de pays à travers la planète, souvent sous la pression des Eglises et/ou des conservateurs et des mouvements citoyens pro-vie : Congo, Egypte, Gabon, Guinée-Bissau, Madagascar, Mauritanie, République démocratique du Congo, Sénégal en Afrique ; Honduras, Nicaragua, Surinam, Haïti et République dominicaine en Amérique ; Philippines et Laos en Asie ; Palaos en Océanie.
Notre dossier sur l'IVG dans le monde ► LE DROIT À L'AVORTEMENT DANS LA TOURMENTE
Aux Etats-Unis, où l'avortement a été légalisé en 1973, certains Etats font pression pour rayer l'IVG des droits acquis. Et le lobbying pro-choice a gagné du terrain depuis l'élection de Donald Trump, en 2016...
Le droit à l'avortement reste un combat. Selon les chiffres du planning familial français datant de 2018, une femme meurt toutes les 9 minutes d'un avortement clandestin quelque part dans le monde. 225 millions d'entre elles sont dépourvues d'accès à la contraception et 300 000 meurent de complications liées à la grossesse et à l'accouchement.
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