Les Sixties sont synonymes de libération sexuelle. Mais allez donc y chercher les femmes dans le milieu artistique. Le Musée Maillol à Paris, pour son exposition issue des collections du Whitney Museum de New York, a fait sortir trois femmes des ténèbres. Au-delà, évidemment, des nus, puissamment érotiques, qui habitent les toiles des maîtres reconnus du mouvement.
Aucun nom de femme artiste ne s’est affiché sur les murs de mai 1968, en France, nous disent certains experts qui préparent le cinquantième anniversaire de l’événement en France.
Et si on allait voir du côté des Etats-Unis à cette même époque ?
L’heure, ici et là, est à la libération des moeurs, à la contraception, à la consommation tout azimut et aux bienfaits des technologies ménagères. Aux revendications féministes et aux marches contre le harcèlement. Déjà.
The American Way of Life est dans tous les esprits. « Optimiste, généreux et naïf » comme le qualifiera le peintre Robert Indiana ? A voir…
Les artistes du Pop Art, un courant né en Grande Bretagne, mais qui s’est vraiment épanoui à New York au début des années 60, se font les chantres amusés ou ironiques du monde tel qu’il va. La culture savante fait rire. Le trop plein provoque toutefois des sentiments partagés. Et le puritanisme avec sa « clause de décence » aux USA rôde toujours.
Leur mouvement est particulièrement contrasté, qui conjugue des tempéraments fascinés par l’explosion de la société d’abondance, la starisation des personnalités, le succès des médias de masse, l’utilisation à tous crins et l’érotisation débridée du nu féminin dans la publicité, et d’autres, obsédés par la guerre du Vietnam, les essais nucléaires, les tensions raciales et les assassinats politiques.
Mais où sont donc les femmes dans le grand chambardement du Pop Art ?
L’exposition « Pop Art–Icons that matter » que le Musée Maillol présente jusqu’au 21 janvier 2018, rappelle au public combien l’effervescence du moment a pu déboucher sur une créativité jubilatoire, comme celle illustrée par l’affiche de l’exposition, montrant le visage d’une jeune femme rousse aux yeux de lynx à sa fenêtre, signée Roy Lichtenstein.
Si les artistes, des hommes, qui bénéficient d’une notoriété planétaire sont bien présents ici grâce aux collections du Whitney Museum of American Art de New York, on pense à Andy Warhol, à Robert Rauschenberg, à Jasper Jones, à Claes Oldenburg, à James Rosenquist, à Allan Jones, notamment, la belle surprise vient des trois femmes exposées, dont on découvre qu’elles ont participé pleinement au mouvement. Merci à la co-commissaire de l’exposition, Carrie Springer, conservatrice adjointe du musée new yorkais, sans doute pas étrangère à cette initiative.
May Stevens et l'obscénité du mâle blanc
May Stevens, née à Boston en 1924, aurait mérité d’être une figure centrale, pleinement reconnue, du Pop Art. Sa série Big Daddy, créée entre 1967 et 1976 et dont l’exposition montre un « spécimen », procède de cette peinture militante dont beaucoup se réclament sans être nécessairement à la hauteur de l’ambition. La figure du père – son père ! – affublé de son chien dogue aux traits éminemment similaires à ceux de son maître, y est déclinée telle une « paper doll », souriante et auto-satisfaite, incarnant - dans sa nudité, entourée le cas échéant des attributs de métiers disciplinaires ou enveloppée du drapeau américain - l’obscénité d’un « homme blanc ordinaire » face au racisme, à la lâcheté, au machisme, à l’autorité patriarcale.
Martin Luther King encensa May Stevens à l’occasion d’une de ses expositions, reconnaissant en elle une activiste engagée dans les luttes antiségrégationnistes.
Rosalyn Drexler, du catch à l’art et l’écriture
Tout aussi méconnue est Rosalyn Drexler née en 1926 dans le Bronx. Au lendemain d’une courte carrière de catcheuse… qui inspira une série de portraits à Andy Warhol, on trouve notamment sa trace en 1965 dans une exposition sur l’influence du motif de la pin-up dans le travail de l’art contemporain, grâce à Marjorie Strider. Parmi ses thèmes de prédilection, ceux de la folie inquiétante née de la starisation planétaire. Mais faute de succès commercial, elle se tournera vers l’écriture de romans et de pièces de théâtre. Le Musée Maillol propose à voir sa gouache sur photo « Marilyn pursued by Death » réalisée alors que la star s’est suicidée un an auparavant, le 5 août 1962. Rosalyn Drexler en restitue la silhouette dans une atmosphère de série noire, tentant d’échapper probablement à un paparazzi. Un concentré du drame hollywoodien, de ses proies, de l’ambivalence de la représentation de la femme dans le cinéma d’alors. King Kong, qui inspira aussi l’artiste, n’est pas loin…
Christina Ramberg, interprète des fantasmes masculins
Quant à Christina Ramberg, originaire de Chicago, et à son « Istrian River Lady » peinte en 1974, elle donne à voir, sous les tons sombres de ses pinceaux, combien le corps de la femme reste enfermé par le poids du fantasme masculin et l’obsession des mensurations « idéales », à force de corsets, baleines et autres accessoires. Dans les interviews qu’elle a données avant sa disparition prématurée à l’âge de 49 ans, l’artiste dit sa fascination terrifiée face à l’image de sa mère se préparant pour une soirée, le corps engoncé sous une lingerie quasi « guerrière » qui ne pouvait que freiner ses mouvements, sa liberté.
L’inscription, ici, de ces trois femmes n’est pas sans rappeler la motivation de la Tate Modern à Londres, en 2015, qui avait souhaité accrocher aux cimaises de son exposition internationale The World Goes Pop des œuvres de l‘Allemande Ruth Francken, de l’Espagnole Joan Rabascall et de la Française Dorothée Selz.
Pop art : la femme, un autre objet de consommation
La revue Beaux-Arts Editions intitule ainsi un des chapitres du numéro spécial qu’elle a publié à l’occasion de l’exposition du Musée Maillol.
Force est de constater, dans le cas des trois peintres américaines présentées ici, que leurs créations dénotent d’un engagement critique plus assumé que la majorité de leurs homologues masculins du Pop Art. D’une certaine difficulté, comme disait Godard dans Masculin féminin en 1966, à « être les enfants de Marx et de Coca Cola ».
Considérés, de leur temps, comme membres d’un « boys club », les peintres, sculpteurs et performeurs du mouvement sont « de parfaits metteurs en page de mythes », pour reprendre l’expression de Pierre Nahon dans son Dictionnaire amoureux de l’art moderne et contemporain.
Comment chasser de son esprit toute l‘ambiguïté qui devait présider à la motivation des galeristes et de leur clientèle venant admirer les toiles de Tom Wesselmann ou de Mel Ramos, jouant sur l’image des femmes objets, « singées » de la publicité, détournant fantasmes et sujets triviaux, ou magnifiant le fétichisme puissant, hyper coloré et sanglé d’un Richard Lindner ?
Et que penser de la démarche d’un Andy Warhol, friand de démultiplication sérigraphique d’icônes comme Jackie Kennedy encensée par les médias pour sa dignité au lendemain de l’assassinat de son Président de mari, quand il déclare que « faire de bonnes affaires est le meilleur art qui soit » et que, s’il ne croit pas vraiment au rêve américain, il pense qu’on peut en tirer profit ?
Sans parler, dans un tout autre ordre d’idées, du trouble que fait naître le texte de Dominique de la Tour dans Beaux-Arts, qui rappelle la colère de la délégation française à la 32ème Biennale de Venise, en 1964, devant le triomphe de Robert Rauschenberg, mais surtout le jeu trouble de la CIA encourageant, en pleine « guerre froide », l’agent de l’artiste, le très influent galeriste new yorkais Castelli, à y contrer par tous les moyens le pôle constitué notamment de Picasso et Léger, trop proche du Parti communiste au goût des services américains !
Gertrude Vanderbilt Whitney, mécène, du Musée Withney, là où se niche le pop art
Vingt ans après le triomphe du Pop Art, les « Guerrilla Girls », mouvement d’artistes féminines né en 1985 se faisaient largement connaître grâce à leur affiche choc montrant, de dos et alanguie sur un sofa, une femme nue, au visage de gorille, les dents serrées, avec ce slogan « Do women have to be naked to get into the Met Museum ? ». Le fameux lieu new yorkais n’hébergeait alors que 5% d’artistes femmes.
L’exposition est aussi à regarder à l’aune de l’histoire du Whitney Museum de New York, partenaire et contributeur de l’événement parisien grâce à ses impressionnantes collections d’art américain. C’est à Gertrude Vanderbilt, épouse Whitney, qu’on doit en effet la naissance de ce musée particulièrement passionnant de la scène outre-atlantique. Cette mécène et aussi sculptrice de renom au début du 20ème siècle avait déjà mis la main à la pâte, y compris jusqu’en France. Elle occupa un temps un atelier à Passy. Rodin lui prodigua des conseils. Elle réalisa des œuvres monumentales parmi lesquelles un Mémorial aux femmes du Titanic (dont le Musée du Luxembourg acheta une copie) et un Buffalo Bill à cheval ébouriffant.
Dans le même temps, elle décidait de consacrer sa fortune au service de la création de l’Hôpital américain de Paris. Mais sa « grande action » visa à aider les jeunes artistes de son temps, parmi lesquels on retrouve les noms de Hopper et de Calder ainsi que d’Isabel Bishop ou Agnès Pelton. Après avoir créé un lieu d’accueil et organisé des expositions notamment au Colony Club, un club new-yorkais exclusivement réservé aux femmes, elle décida d’ouvrir son musée en 1931, après avoir essuyé le refus cinglant du Metropolitan Museum auquel elle voulait léguer sa collection.
Aujourd’hui, le Whitney continue à monter en puissance. Il occupe quelque 2 hectares répartis sur 8 étages dans son quatrième lieu d’implantation inauguré en 2014, imaginé par l'architecte Renzo Piano au bord de la baie d’Hudson. Ses collections permanentes, riches de 23 000 œuvres dont de nombreux legs (des tableaux majeurs d’Edward Hopper en font partie), et ses expositions ou performances temporaires font courir le tout New York et les touristes avec une farouche volonté, léguée par son initiatrice puis par sa fille et sa petite-fille, de jouer la carte de la découverte et de tout centrer sur les créateurs et surtout les créatrices d’aujourd’hui.
Pop Art - Icons that Matter – Collection du Withney Museum of American Art, au Musée Maillol (www.museemaillol.com ) à Paris.
Jusqu’au 21 janvier 2018