Fil d'Ariane
Les deux affaires au sujet desquelles la justice européenne avait à trancher remontent à plusieurs années. Dans le cas belge, une jeune femme de confession musulmane, Samira Achbita, ne portait pas le foulard au moment de son embauche comme réceptionniste en 2003 par le groupe G4S, qui fournit des services de surveillance et de sécurité.
Cependant, trois ans plus tard, Samira Achbita fait part à son employeur de sa décision de porter le foulard, malgré la politique de neutralité affichée d'abord oralement, puis par écrit, par l'entreprise qui interdit le port de signes politiques, philosophiques ou religieux. C'est, du reste après cette décision de la jeune femme que la société modifie son règlement intérieur : « il est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle ».
Pas de voile la prochaine fois
un client de Micropole
La seconde affaire, en France, est relative au licenciement d'une femme musulmane, employée comme ingénieure d'étude par la société française Micropole (entreprise de conseil et services du numérique, implantée en France, en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Chine), qui portait un bandeau au moment de son embauche en 2008. Mais lors d'un rendez-vous avec un client, ce dernier s'était plaint et avait exigé qu'il n'y ait "pas de voile la prochaine fois".
Micropole avait transmis cette requête à son employée qui a refusé. Elle a été licenciée en juin 2009.
Concernant le cas belge, dans son communiqué, résumant son arrêt du 14 mars 2017, " la Cour de justice rappelle tout d’abord que la directive entend par «principe d’égalité de traitement» l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée, entre autres, sur la religion. Bien que la directive ne contienne pas de définition de la notion de «religion», le législateur de l’Union s’est référé à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) ainsi qu’aux traditions constitutionnelles communes aux États membres, réaffirmées dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union.Dès lors, la notion de religion doit être interprétée comme couvrant tant le fait d’avoir des convictions religieuses que la liberté des personnes de manifester celles-ci en public. La Cour constate que la règle interne de G4S se réfère au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses et vise donc indifféremment toute manifestation de telles convictions. Cette règle traite, dès lors, de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise, en leur imposant notamment, de manière générale et indifférenciée, une neutralité vestimentaire."
Mais la Cour se garde bien de conclure définitivement : elle estime qu'il est possible que les juridictions nationales décident qu'un tel renvoi instaure une "différence de traitement indirect fondé sur la religion ou les convictions". Une façon de renvoyer la balle à l'envoyeur.
S"agissant du cas français, le juge européen note que Asma Bougnaoui ne portait qu'un bandana pour son stage (avant embauche) dans l'entreprise Micropole, et que l'un des dirigeants de la société l'avait prévenue du problème que pourrait poser le port d'un foulard "plus voyant". Et c'est la plainte d'un client face à son "foulard" qui a entraîné son licenciement. La Cour de cassation française a sollicité la justice européenne pour savoir si les désiratas d'un client pouvaient constituer une "exigence professionnelle essentielle et déterminante". A cette question la Cour européenne a répondu "peut-être que oui, peut-être que non". Renvoyant ainsi la décision à la juridiction nationale.
En France, nous avons autour de la laïcité, une sorte de cristallisation. Ce qui serait raisonnable c'est la négociation. La laïcité devient pour certains une sorte de religion
Esther Benbassa, sénatrice EELV
A peine l'arrêt rendu, les un-es et les autres se réjouissent ou se désolent déjà. La sénatrice écologiste française, et historienne du judaïsme, Esther Benbassa, invitée sur le plateau du 64' de TV5MONDE, adepte d'une laïcité ouverte réagit aux décisions de la Justice européenne. Comme Marwan Muhammad, du collectif contre l'islamophobie, elle se demande si la question n'est pas d'interdire aux femmes voilées de travailler, en Europe contrairement aux usages au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis par exemple. Elle regrette que l'on se focalise tant sur le foulard en France.
Sur les réseaux sociaux aussi les avis sont affirmés, parfois avec force. Le port du foulard est décidément, en France ou en Belgique, un sujet de clivage toujours plus prégnant.
9 - La seule question importante: les femmes (musulmanes (qui choisissent de porter un foulard)) peuvent-elles étudier/travailler librement?
— Marwan Muhammad (@Marwan_FX) 14 mars 2017
Ravie de la décision de la Cour de Justice Euro:Interdire port du voile islamique en entreprise ne constitue pas une discrimination #laïcité pic.twitter.com/lZnYYX4TfY
— Lydia Guirous (@LydiaGuirous) 14 mars 2017
La fondation de George Soros, Open Society Justice Initiative, a jugé dans un communiqué ces décisions de "décevantes", car elles affaiblissent "la garantie de l'égalité qui est au coeur de la directive antidiscrimination de l'UE".
A l'inverse, le chef du PPE au Parlement européen (droite, majoritaire) Manfred Weber, a salué sur Twitter des arrêts qui défendent "l'application dans la sphère publique des valeurs européennes".
Wichtiges Urteil des EuGH: Arbeitgeber dürfen #Kopftuch am Arbeitsplatz verbieten. Europäische Werte müssen im öffentlichen Leben gelten.
— Manfred Weber (@ManfredWeber) 14 mars 2017