Fil d'Ariane
Il me fallait un entourage sec et poussiéreux pour célébrer ces femmes
Leena Yadav
Installée dans le patio verdoyant d'un hôtel tranquille au coeur de Paris où elle est venue accompagner son film, Leena Yadav explique pourquoi elle tenait tant à ce contraste, entre l'environnement et les femmes : « Je voulais tourner mon film sur une terre aride, desséchée (le titre anglais est "Parched", brûlé, ndlr), c'est pour cela que j'avais choisi le Gujarat (l'un des endroits les plus secs, mais aussi où l'hindouisme est des plus rigoristes, au Nord Est de l'Inde, ndlr) qui offre une végétation très étique ... Mais en fait je n'ai pas eu les autorisations pour le faire, c'était juste après ces terribles affaires (de filles violées et tuées par leurs proches, ndlr ). Mais le Rajasthan voisin qui possède un paysage presque aussi austère m'a donné la permission de tournage. Il me fallait un entourage sec et poussiéreux pour célébrer ces femmes. »
Leena Yadav a commencé ses recherches en vue de « La saison des femmes », à la fin de l’année 2012, alors que l’Inde était bouleversée par le viol et la mort d’une jeune fille agressée au vu et au su de tous dans un autobus de New Delhi. Une affaire dont cet immense pays mesure encore les traces. Depuis, les crimes sexuels se sont succédés avec une médiatisation importante à la clé, jusqu’à ces deux soeurs condamnées à être violées par un Conseil des anciens, comme ceux qui sévissent aussi dans le Gujarat…
"Ce sont surtout mes conversations dans le Gujarat avec Rani, le personnage principal du film, mariée à 15 ans et veuve à 20 ans, qui m'ont inspirée. Ces échanges étaient très directes, honnêtes, en particulier sur le sexe. Et moi je voulais parler de sexe. Et c'est au moment où je commençais à écrire le scénario que toute cette violence a déferlé", raconte la cinéaste (voir l'interview vidéo ci-dessous). "Les hommes, comme les femmes, poursuit-elle, sont victimes de ce système. Pour moi, dans mon film, même le plus violent des garçons est une victime. Parce que les normes conditionnent aussi bien les hommes que les femmes. Et c'est cela que nous devons changer. Ce qui se perpétue de génération en génération et qui génère les normes sexuelles entre femmes et hommes. Alors oui c'est un système qui opprime autant les hommes que les femmes."
C'est un de ces paradoxes : au pays du kamasutra, on ne peut parler de sexualité
Leena Yadav
Les verrous sont tirés dans un pays où la sensualité éclate. Dans les livres, les poèmes, la musique (magnifique dans le film), les gestes, la sonorité des divers langages. Un paradoxe qui désole la réalisatrice : "En Inde, le sexe est un sujet tabou. C'est un de ces paradoxes : au pays du kamasutra, on ne peut parler de sexualité. On ne peut en parler mais on ne peut aussi avoir des relayons sexuelles en dehors des règles sociales."
Le consumérisme avance plus vite que la libération sexuelle. Avec un semblant de refus, les anciens accèdent à deux demandes essentielles de leurs épouses : le téléphone portable et la télévision...
Rani la veuve coincée, Lajlo la femme battue, Bijli la danseuse-chanteuse-prostituée, et Janaki la petite mariée contre son gré, vont devoir apprendre ensemble à faire ce chemin vers l'autonomie et le plaisir. Il y aura des incompréhensions, des larmes, presque des ruptures entre elles, mais finalement, à force de questionnements, elles y parviendront. Des hommes leur prêteront la main sur le chemin : un amant mystique, un prétendant mystérieux, un jeune homme amoureux et un ami perdu...
Mon film est traversé par la façon de faire du cinéma en Inde, la musique, la danse
Leena Yadav
Pourtant Leena Yedav a construit "La saison des femmes" avant tout pour un public indien, même si le propos est universel et que partout ailleurs on se régalera de la musique (signée Hitesh Sonik), de la danse, des chansons et de l'énergie débordante des actrices. "Mon film est traversé par la façon de faire du cinéma en Inde, la musique, la danse. En fait en Inde que nous soyons tristes ou heureux, nous chantons. La musique est permanente dans nos vies. Mais malgré ce caractère "indien", nous n'avons toujours pas obtenu le visa de la commission de censure. Nous espérons qu'il viendra. Ceux qui l'ont vu, ont beaucoup aimé ce film. Si je n'obtiens pas l'autorisation, je le mettrai sur internet." explique la cinéaste.
Si le cinéma avait la capacité de changer les chose, cela fait longtemps que l'on vivrait dans une société idéale !
Leena Yadav
Pas de "lamento" dégoulinant de désespérance non plus dans cette histoire : ces quatre femmes feront le chemin qui leur permettront, ensemble, de s'échapper de leur condition de jeune fille forcée à un mariage-prison pour l'une, aux coups de plus en plus rudes d'un mari violent pour l'autre, aux clients insatiables et irrespectueux de son corps pour la troisième, à un veuvage desséchant pour la magnifique Rani, à la source de ce film, aux sources des femmes. En chemin surgira le plaisir et la certitude d'un avenir plus créateur, loin des images d'une Inde sclérosée sur ses démons. Un choix de cinéma : "Je voulais finir avec de l'espoir. Je voulais cet espoir. Ces femmes qui s'échappent au propre comme au figuré . Mais ce n'est pas le seul et "vrai" chemin de l'émancipation. Ce qu'il faut c'est être amenée à se poser des questions : pourquoi est ce que de générations en générations on reproduit ces normes affreuses ? Poser des questions c'est déjà se lancer vers le changement. Et ce qui va se passer après est aussi un défi . C'est le seul moyen de changer les choses. Et cela prendra du temps.
Si le cinéma avait la capacité de changer les chose, cela fait longtemps que l'on vivrait dans une société idéale ! Mais le cinéma peut amener à se poser des questions, ce qui est le préalable au changement.
Je ne suis pas une militante. Je suis une cinéaste. Le féminisme est une affaire très individuelle. Je ne pense pas qu'il y ait une seule définition du féminisme. Et il y en à certaines avec lesquelles je ne suis pas d'accord. Mais je sais que je suis très fière d'être une femme."