Pour la féministe centrafricaine Rosalie Kobo-Beth : "Une paix sans femmes est vouée à l’échec"

Ce dimanche 27 décembre 2020, les Centrafricains se rendent aux urnes pour élire leur nouveau président ainsi que leurs députés. Une seule femme est candidate, Catherine Samba Panza. Rosalie Kobo-Beth milite pour que les femmes intègrent davantage le processus de paix en cours, ainsi que la vie politique et citoyenne. Entretien.

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Kobo-Beth en action
©I Londo Awe
Conférence de presse du collectif "I Londo Awé", à Bangui, début octobre 2020, sur le thème "Pour une CVJRR paritaire. La participation des femmes au processus de paix est un droit fondamental." Rosalie Kobo-Beth est au micro.
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oxfam 10 femmes
©Oxfam

Ces dix jeunes femmes sont issues de six organisations de la société civile centrafricaine : l’Association des Femmes Juristes Centrafricaines (AFJC), l’Association des Femmes Professionnelles de la Communication (AFPC), l’Organisation Musulmane de l’Innovation en Centrafrique (OMICA), le Réseau des Journalistes pour les Droits de l’Homme (RJDH), URU et Zo kwe Zo.

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Face au favori, le président sortant Touadéra, Catherine Samba-Panza est la seule femme candidate lors de cette présidentielle du 27 décembre en Centrafrique, pays marqué par des décennies de guerre civile. Elle tire un cuisant constat d'échec des récents accords de paix, qui ne sont pas parvenus à entériner les violences : "la République Centrafricaine n'a pas su se défaire du cycle infernal des conflits qui l'ont affectée sur tous les plans". L'ancienne présidente de transition dit vouloir "sortir le pays de l'ornière" et continuer ce qu'elle avait entamé durant son mandat, entre 2014 et 2016.

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Rosalie Kobo-Beth est porte-parole du collectif I Londo Awe ("Nous sommes debout !") qui lutte pour l'intégration des femmes au processus de paix en cours, ainsi qu'à la vie politique et citoyenne. Elle est aussi Secrétaire générale de l’association des Femmes juristes de Centrafrique (AFJC). Pour Rosalie Kobo-Beth, sans les femmes, il ne peut pas y avoir de paix durable.

Entretien avec Rosalie Kobo-Beth

Terriennes : Depuis la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine, signé le 6 février 2019 entre le gouvernement et 14 groupes armés, où en est la situation en Centrafrique ?
 
Rosalie Kobo-Beth : De manière générale, il n’y pas vraiment d’avancées depuis la signature de l’accord de paix de Khartoum, où seules 8 % des signataires étaient des femmes. En RCA, les femmes jouent toujours un rôle d’arrière-plan dans tout le processus de paix… Les autorités ont même avancé l’argument selon lequel il n’y a pas assez de femmes intellectuelles. Par conséquent, les femmes ne peuvent être associées à la gestion de la vie publique, surtout dans des grandes négociations comme le processus de paix.  

L'accord de Khartoum devait se solder par la cessation des hostilités. Seulement, quelques mois après la signature, les violences ont repris dans les zones comme Nana-Mabéré, vers Nième, initiées par les rebelles de 3R de Sidiki ou encore vers Ouaka dans la région de Gbokolobo, occupée par Ali Darassa. Jusqu’à aujourd’hui, ces chefs rebelles continuent de terroriser la population. Le 6 octobre 2020, deux policiers ont même été pris en otage dans la ville de Koui, à l’extrême nord-ouest, par des groupes armés.

Pourquoi cette reprise des violences ?

De mon point de vue, il n’y a pas de réelle volonté des partis signataires. Sinon, la paix serait palpable dans la vie quotidienne des Centrafricains. Or, cet effort n’a pas été fait. D’anciens miliciens ont même intégré le gouvernement. Puis ils ont fait sécession quelques mois après. Dans certaines zones, où l’Etat ne parvient pas à faire respecter son autorité, les communautés sont à bout. Elles ne sentent pas prises en compte. Les hommes n’arrivent même plus à comprendre pourquoi ils se battent. Les causes des conflits sont généralement liées aux richesses naturelles de la RCA : en dehors de l’or, des diamants et de l’uranium, le bois de nos forêts est exploité et envoyé vers le Cameroun. Nos frontières ne sont pas du tout surveillées.

Le 31 octobre 2020 marquait les 20 ans de l’adoption de la résolution 1325 "Femmes, Paix et Sécurité" du Conseil de sécurité de l’ONU - première résolution à reconnaître et vouloir renforcer le  rôle des femmes comme agents de paix. A cette occasion, le collectif "I Londo Awe", dont vous êtes la porte-parole, s'est engagé dans la campagne mondiale #jecompte (#Imatter). Quelle était le but de cette campagne ?

pancarte londo
Campagne "I Londo Awe"
©I Londo Awe

Son but était de militer pour la prise en compte des femmes dans le processus de paix à travers la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR). L’objectif stratégique de cette commission est de parvenir à une refondation de la mémoire collective par l’établissement de la Vérité des faits entre "bourreaux et victimes", de rendre une Justice globale et équitable, de prendre en compte les dommages subis par les victimes et de les réparer, et enfin de réconcilier tous les Centrafricains.

Or, une paix sans femmes, est une paix vouée à l’échec. Cela a été démontré scientifiquement : les processus de paix auxquels les femmes ne participent pas ont plus de risque d’échouer. Lors de cette campagne, nous avons défendu plusieurs arguments d’ordre moral, juridique, scientifique et réputationnel pour assurer la prise en compte du genre et de la parité dans la composition des membres de la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR).

En RCA, un incident de violence basée sur le genre est reporté toutes les heures, et 92% des victimes sont des femmes. Moins d’un quart des survivantes ont reçu une assistance juridique, et moins d’1% ont bénéficié de la protection des forces de sécurité. Elles sont les plus touchées par la crise. Pourtant leur participation dans le processus de paix est limitée. Leur expérience unique nécessite une représentation équitable au sein de la CVJRR. C’est aussi une excellente opportunité pour démontrer la volonté de la RCA à participer pleinement aux agendas internationaux des femmes, de la paix et de la sécurité. 

Quel impact de la campagne #jecompte (#Imatter) avez-vous observé ?

L’impact de notre campagne sur la population s’est concrétisé par l’engagement de nombreuses femmes leaders. Nous avons rédigé une lettre pour proposer aux femmes et aux jeunes femmes d’appuyer notre objectif. Beaucoup l’ont signée. Lors du dépôt des dossiers de candidatures pour la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation, elles étaient nombreuses à se présenter. Les hautes personnalités politiques - dont la Ministre de l’action Humanitaire et de la Réconciliation Nationale, Virginie Baïkoua - que nous avons rencontrées ont aussi montré leur bonne volonté de s’impliquer et de prendre en compte notre objectif.

Aujourd’hui, le taux de participation des femmes dans la CVJRR s’améliore : beaucoup ont déposé des dossiers pour cette commission. Et parmi les 11 commissaires qui seront retenus, nous pensons que des femmes seront nommées à ces postes.

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©I Londo Awe

Comment est né le collectif I Londo Awé ("Nous sommes debout !") ? Quelles sont ses missions ?
 
I Londo Awé a été créé par dix femmes centrafricaines. Parmi elles, Grâce Gbaleo, journaliste au journal Djoni Sango et membre de la plateforme des Femmes Professionnel de média, Eva Ndonegue, membre de l’ONG URU qui évalue l'implication des jeunes dans la mise en œuvre de l'accord de paix, ainsi que Diane Adoum, membre de l’ONG Zo Kwé Zo (All people are people). Chacune de nous travaille pour des organisations de la société civile œuvrant dans différents domaines tels que le genre, les droits des Hommes et des Femmes, la sécurité, et la paix.

Nous représentons la diversité politique, professionnelle, et religieuse de la République Centrafricaine. Nous avons décidé d’œuvrer ensemble, à travers des ateliers avec les partis politiques, les organisations féminines de la société civile, des actions de plaidoyer pour le suivi de la mise en place de la CVJRR, etc., au bénéfice des femmes centrafricaines. Notre but ultime ? Nous constituer en réseau de talents pour développer le leadership féminin et faire émerger une société civile active, performante et capable d’amener des solutions aux causes profondes de la crise en Centrafrique.

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©I Londo Awe


Quel est le bilan du président Faustin-Archange Touadéra en matière d’égalité entre les hommes et les femmes ?
 
Il y a d’abord eu la loi sur la parité, ainsi que la mise en place de la stratégie nationale sur la réforme du secteur de sécurité. La mise en place des points focaux "genre" dans les Ministères. La nomination des membres de la Cour constitutionnelle. Le suivi du comité de la Résolution 1325...

À quelques jours des élections, les femmes marquent le coup 

Pour conjurer la peur et pour dire aux forces rebelles, au gouvernement et à la force onusienne MINUSCA, que les Centrafricains ne veulent qu’une chose : voter en paix. La situation sécuritaire du pays préoccupe aussi les observateurs électoraux qui tentent d’alerter. 

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La Centrafrique dispose en effet d’une loi sur la parité, qui stipule que les femmes doivent représenter au moins 35% dans les différentes instances de la vie politique du pays. Malheureusement, nous sommes loin d’arriver à ce niveau…
 
Dans la vie politique et citoyenne, les femmes sont encore sous-représentées… Aujourd’hui 5 ministres de RCA sur 39 sont des femmes. Elles sont moins de 10% élues à l’Assemblée nationale. L'argument du manque de candidatures féminines est faux. C’est surtout qu’il n’y a pas assez de volonté de la part du gouvernement et des responsables du secteur public et privé de les intégrer. Par exemple, il n’y a eu aucune nomination de femmes au sein de la magistrature par décret présidentiel. Ce qui aurait permis de les encourager.

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Il faut aussi susciter l’engagement des femmes elles-mêmes dans la vie citoyenne et politique. Elles seules connaissent et maîtrisent leurs problèmes. Elles peuvent proposer des solutions adéquates et réelles. Par conséquent, elles doivent pouvoir faire elles-mêmes leur plaidoyer pour l’amélioration de leur situation. Car les conditions de vie des Centrafricaines restent difficiles tant sur le plan sécuritaire que sur le plan sanitaire et les mesures d’accompagnement.

Par exemple, il faudrait améliorer le système éducatif pour favoriser l’accès des filles à l’école, mettre en place un centre de formation professionnelle des jeune filles/femmes. Un roman de l’auteure Yvonne Mété-Nguemeu s’intitule Femmes de Centrafrique, Ames vaillantes au cœur brisé. Ce titre cadre avec la réalité de la femme centrafricaine.

Une femme, Catherine Samba Panza, a été présidente de transition en Centrafrique entre 2014 et 2016. C'est la seule femme candidate à l’élection présidentielle en RCA de 2020. Pensez-vous qu’elle a des chances d’être réélue ? 

Seul Faustin-Archange Touadéra bat campagne. Et plusieurs candidats se sont désistés. Dans plusieurs zones, la distribution de cartes électorales n’a même pas eu lieu. Je pense que Catherine Samba Panza ne sera pas réélue présidente. Cependant, elle a beaucoup de chance d’être élue députée dans sa circonscription.

Nous attendons, bien sûr, à l’issue de ces élections présidentielles et législatives un renouveau pour la Centrafrique. Ce renouveau pourrait venir des femmes, seulement si les conditions leur sont favorables. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas, mais on y travaille.

Rosalie Kobo-Beth et Catherine Samba-Panza.
Rosalie Kobo-Beth et Catherine Samba-Panza, le 5 octobre 2020 à la Maison de la société civile à Bangui.
©Facebook Rosalie Kobo-Beth