Pour les prostituées, reconfinement rime avec précarité

Lors du premier confinement en France, beaucoup de travailleuses du sexe ont dû s'endetter faute de revenu. Cette fois, elles risquent de sombrer l'extrême précarité. Alors elles n'ont d'autre choix que d'essayer de travailler malgré le coronavirus. 

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boutique prostituée vide

Chaise vide à une devanture dans le quartier des prostituées d'Anvers, en Belgique, le 3 novembre 2020, alors que de nombreux pays d'Europe appliquent un confinement plus ou moins strict face à la deuxième vague de Covid-19.

©AP Photo/Virginia Mayo
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"Elles ont peur du virus, comme tout le monde. Mais quand on ne sait pas ce qu'on va manger et où on va dormir le soir, il y a des priorités", explique June Charlot, médiateur santé à l'association Grisélidis, à Toulouse, dans le sud-ouest de la France. Il parle de "la panique" au sein de la communauté face au reconfinement. Des questions reviennent de manière récurrente : "Comment vais-je payer mon loyer ? Comment vais-je nourrir mes enfants ?"

Je travaillais essentiellement la nuit. J'essaie le jour, mais mes clients réguliers travaillent. Mes dettes s'accumulent.
Paloma, 45 ans

Paloma, qui exerce depuis 24 ans à Toulouse, n'a eu que six clients pendant le premier confinement. L'activité a ensuite repris, puis s'est à nouveau effondrée. "J'ai eu un client mardi, un habitué, à l'hôtel. Le premier depuis le couvre-feu. J'ai gagné 60 euros", raconte cette femme de 45 ans. "Je travaillais essentiellement la nuit. J'essaie le jour, mais mes clients réguliers travaillent. Mes dettes s'accumulent. Heureusement que je n'ai pas d'enfant !

Virus et précarité : une population exsangue

Comme la grande majorité des travailleuses du sexe, elle n'a pas reçu d'aide de l’État lors du premier confinement. Elle a pris un crédit à la consommation, avec un taux d'intérêt à 20%.  Elle doit donc "prendre des risques", s'exposer à une amende de 135 euros. Elle craint surtout les hommes malades du virus. "Je suis diabétique, donc il ne faut pas que j'attrape le coronavirus", explique-t-elle. 

La situation est désastreuse, y compris au niveau de la santé mentale.
Sarah-Marie Maffesoli, coordinatrice de Médecins du Monde

Les travailleuses du sexe "aimeraient pouvoir ne pas travailler, se protéger, protéger la santé publique, mais elles sont difficilement en mesure de le faire. C'est une population exsangue", déplore Sarah-Marie Maffesoli, coordinatrice de l'ONG Médecins du Monde. "La situation est désastreuse, y compris au niveau de la santé mentale", s'alarme-t-elle. Elle estime que cette grande précarité concerne 90 % des travailleuses du sexe. Soit plusieurs dizaines de milliers de personnes. 

Appels à l'Etat

Des associations, dont Médecins du Monde, Aides (qui lutte contre le sida et les hépatites) et le Strass (le Syndicat du travail sexuel), réclament des mesures de l’État, dont elles critiquent "l'indifférence". Elles demandent notamment "un fonds d'urgence pour compenser la perte de revenu durant le confinement" et "un moratoire sur les amendes, la pénalisation des clients et les arrêtés anti-prostitution".

Le Nid, un mouvement d'aide aux personnes prostituées qui lutte contre le système de la prostitution, demande des "tickets services pour de l'aide alimentaire", dans la continuité des tickets qui avaient été distribués après le premier confinement par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement. Le Nid souhaite aussi que les prostituées "qui en ont besoin aient accès aux hébergements d'urgence" mobilisés pour les femmes victimes de violences. 

Un député LREM (majorité présidentielle), Raphaël Gérard, a fait voter lundi 3 novembre à l'Assemblée une augmentation du soutien financier de 90 000 euros pour 2021 aux associations qui accompagnent les travailleuses du sexe. "Non, ça ne suffit pas. Mais cela permet de poser le sujet dans le débat public, explique-t-il. Quand on voit les difficultés des travailleuses du sexe aujourd'hui, c'est évident qu'on a besoin d'actions immédiatement. (...) Le milieu associatif est très mobilisé. Il faut que le gouvernement suive", plaide Raphaël Gérard.

Lors du premier confinement, les associations avaient lancé plusieurs opérations de soutien. Le Strass avait créé une cagnotte et 80 000 euros avaient été récoltés grâce à des dons de clients ou de travailleuses du sexe ayant davantage de moyens. Près de 500 personnes et des associations en avaient bénéficié. "On va probablement devoir recommencer", explique Thierry Schaffauser, du Strass.