Pour ou contre l’écriture inclusive à l’école ? Deux enseignantes témoignent

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Profs croisés
Isabelle Cabat-Houssais (à gauche), professeure des écoles à Paris pratique l'écriture inclusive avec ses éléves depuis 15 ans et Emmanuelle de Riberolles (à droite), professeur au collège en Picardie y est fermement opposée. 
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En publiant, en mars 2017, le premier manuel scolaire en écriture inclusive, les éditions Hatier ont ravivé le débat sur la féminisation de la langue française. Faut-il l'employer à l’école ? Deux enseignantes, Emmanuelle de Riberolles fermement opposée à son application et Isabelle Cabat-Houssais qui la pratique depuis 15 ans avec ses élèves nous livrent leurs arguments. Entretiens croisés avant le grand débat que TV5MONDE vous propose mardi 17 octobre 2017, en direct sur Facebook, à 18h30

Colère de l'une, enthousiasme de l'autre, deux enseignantes jugent l'écriture inclusive

Isabelle Cabat-Houssais, est professeure des écoles en primaire, à Paris. Elle pratique depuis 15 ans auprès de ses élèves l'écriture inclusive, une graphie visant à l'égalité des sexe dans la langue française. Elle l'emploie également dans toutes ses communications avec les parents, ses collègues et sa hiérarchie. 
Emmanuelle de Riberolles, est professeur de Lettres modernes, dans un collège en Picardie. Elle est opposée à la pratique de l'écriture inclusive à l'école mais aussi au collège et au lycée. Elle a co-créé une page Facebook à la suite de la réforme du collège axée sur les contenus des manuels scolaires. Entretiens croisés.

J’étais consternée et en colère parce qu’à l’origine, il s’agit non pas d’une écriture mais d’une graphie militante
Emmanuelle de Riberolles, professeur de collège

Comment avez-vous réagi à la découverte du manuel scolaire rédigé en écriture inclusive par les Editions Hatier et que pensez-vous du contenu ?   
 
Emmanuelle de Riberolles - J’étais consternée et en colère parce qu’à
l’origine, il s’agit non pas d’une écriture mais d’une graphie militante. Je n’ai pas eu accès au manuel d’Histoire publié par les éditions Hatier, par conséquent je ne connais pas encore son contenu. Mais l’irruption en tant que telle, de ce français saccadé et enlaidi, dans un ouvrage scolaire m’interpelle. Fort heureusement, les manuels ne sont pas prescriptifs.

Isabelle Cabat-Houssais -  Je l’ai accueilli avec beaucoup d’enthousiasme et de surprise. Je ne pensais pas qu’une initiative aussi forte viendrait d’une maison d’édition. C’est une porte ouverte évidemment. L’écriture inclusive, avant cela, était cantonnée aux milieux féministes, syndicaux et employée par quelques personnalités politiques essentiellement de gauche. Cette entrée dans l’école donne une légitimité. Je n’ai pas eu la chance de découvrir le contenu, mais je suis curieuse de savoir si cet acte s’inscrit dans une démarche plus globale qui, au delà de l’écriture inclusive, tient compte également de représentations non stéréotypées des femmes et des hommes ainsi que des filles et des garçons dans les textes et les iconographies.

La langue reflète notre société comme la société reflète notre langue. Elle s'inscrit dans un système patriarcalIsabelle Cabat-Houssais, professeure des écoles en primaire

Doit-on pratiquer l’écriture inclusive à l’école ?
 
Emmanuelle de Riberolles - Elle n’a rien à faire à l’école, ni dans le primaire, ni dans le second degré ou même après. Dès lors que cette graphie a été choisie pour lutter contre l’invisibilité des femmes, comme le rapporte le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, elle est, de fait, militante.
Or, les enfants ne doivent pas être entraînés dans des luttes qui ne les concernent pas. Et l’école laïque et républicaine ne doit pas accueillir en son sein un discours prosélyte véhiculé à travers cette écriture. Neutralité et discrétion sont indispensables. Les professeurs eux-mêmes s’y astreignent.
Un établissement scolaire doit donc être comme un sanctuaire. Comme le disait  Jean Zay, ancien ministre de l’Education nationale (1936 à 1939) « les écoles doivent rester un asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».
 
Isabelle Cabat-Houssais - Il faut l’enseigner. La langue reflète notre société comme la société reflète notre langue. Elle s’inscrit dans un système patriarcal. Il est donc important à travers elle de s’adresser aux deux genres dans une classe.
Cependant, il ne suffit pas d’enseigner l’écriture inclusive. Elle doit faire partie d’un ensemble pédagogique non sexiste pour s’émanciper des stéréotypes. En classe, je change tous les exemples stéréotypés qu’on peut trouver dans des textes ou manuels. Si il est question d’une maman qui aide sa fille ou son fils à faire ses devoirs, je remplace « maman », par « papa ».
Et pour ma part, les règles de l’Etat civil « Madame », « Monsieur » et « Mademoiselle », avant qu’on me les explique, je ne savais pas du tout ce qu'elles pouvaient symboliser dans un formulaire, mais quand on y réfléchit c’est lourd de symbolique. Le fait de discuter de l’écriture inclusive, nous pousse aussi à nous interroger et à tendre vers  une forme de communication moins stéréotypée.

Je pratique l'écriture inclusive avec les élèves très facilement depuis 15 ans mais je ne l’enseigne pas
Isabelle Cabat-Houssais

Justement vous pratiquez cette écriture avec vos élèves depuis 15 ans, rencontrez-vous des difficultés ? 
 
Isabelle Cabat-Houssais - Je la pratique avec les élèves très facilement depuis 15 ans mais je ne l’enseigne pas. Elle n’est pas au programme et le ministre de l’Education s’est dit « très réservé » sur cette question. D’où mon enthousiasme avec l’arrivée de ce manuel scolaire chez Hatier.
Il est très intéressant d’enseigner l’Histoire de la langue aux élèves, de montrer qu’elle évolue, que les mots y rentrent et en sortent. Je veille, à l’oral comme à l’écrit à m’adresser toujours aux garçons et aux filles. Pour y parvenir, il suffit de chercher des génériques, d’employer le langage épicène c'est à dire qui à la même forme selon les deux genres, la double flexion (formateurs et formatrices) et d’éviter des expressions telle que « droits de l’Homme » qui m’écorche les oreilles.
En revanche, je n’ai jamais employé « les points milieux » avec mes élèves de primaire. Je les utilise dans mes communications avec les parents, mes collègues et ma hiérarchie et cela ne m’a jamais valu de remarques, sinon positives. Puis, si les points choquent certaines personnes ou qu’elles jugent que c’est lourd, au lieu d’écrire « les professeur.e.s », il suffit d’écrire « le corps enseignant ».

Cette graphie est source de confusions, elle bat en brèche les règles grammaticales
Emmanuelle de Riberolles

Et vous, Emmanuelle de Riberolles, pensez-vous que l’écriture inclusive puisse poser des difficultés sur un plan pédagogique ?
 
Emmanuelle de Riberolles - Cette graphie est source de confusions, elle bat en brèche les règles grammaticales. Tout le concept de cette écriture peut amener à la négation d’une partie de la grammaire. A l’image de la règle d’accord qui veut que « le masculin l’emporte sur le féminin au pluriel ». Je vois d’ici l’idée qu’on va la changer, pour procéder aux accords de proximité qui aboutiraient à dire « les hommes et les femmes sont belles».
 Je ne doute pas que certains parviendront à enseigner cette graphie, comme on fait des « twictées » sur Twitter et non des dictées en disant que cette pédagogie fonctionne bien. Cependant, je demande à voir les résultats dans 10 ans pour ces élèves.
A l’heure où on enregistre un taux d’illettrisme important et persistant dans certains territoires notamment, faire usage de cette graphie inclusive qui présente de nombreux défauts, c’est mettre la charrue avant les bœufs. D’autant que pour expliquer les fondements de cette graphie aux enfants, on entrerait dans des considérations sociales, sociologiques, et idéologiques à l’école, où elles n’ont rien à faire.
L’écriture inclusive au vu de tous ces défauts est, selon moi, un luxe qu’on peut se permettre quand on est adulte, qu’on maîtrise déjà les codes de la langue. On peut dans ces conditions s’amuser à la pratiquer, si on considère qu’elle fait avancer la cause des femmes.

Je peux être amenée à leur expliquer que les grammairiens ont estimé que le masculin avait plus de valeur que le féminin.
Isabelle Cabat-Houssais, professeure des écoles

La règle qui veut que « le masculin l’emporte sur le féminin » soulève souvent des interrogations de la part des élèves, comment y répondez-vous ?

Isabelle Cabat-Houssais : C’est intéressant de montrer aux élèves quand on travaille les accords au CE1 et CE2 (des élèves de 7 et 8 ans) que cette règle de grammaire n’est pas immuable, d’expliquer qu’elle n’a pas toujours existé et, qu’avant, le masculin ne l’emportait pas sur le féminin. On pouvait dire et écrire, « des jours et des nuits heureuses » au regard de la règle de proximité ou de contiguité, qui veut que l’adjectif s’accorde avec le terme le plus proche.
S’ils me demandent pourquoi cette règle a changé, en fonction de l’âge de mes élèves, je m’adapte et réponds aux questions en n'allant jamais au-delà de leurs propres interrogations.  Ainsi, je peux être amenée à leur expliquer que les grammairiens ont estimé que le masculin avait plus de valeur que le féminin.

Je refuse d’y voir l’intrusion de la main de l’homme contre la femme ou un quelconque machisme
Emmanuelle de Riberolles

Emmanuelle de Riberolles : Au collège, les élèves ne m’ont jamais posé de questions sur cette règle. Mais si on m’interrogeait, je leur répondrais que ce n’est pas la première fois qu’on apprend une règle, et qu’elle doit être étudiée comme on étudie la fonction du complément d’objet direct.
S’il le faut, je préciserais également aux élèves qu’au stade de leur scolarité, l’enseignement de l’Histoire de cette règle est complexe. Sinon, on perd de vue notre efficacité, surtout dans des classes de 6ème et 5ème.
Par ailleurs, je refuse d’y voir l’intrusion de la main de l’homme contre la femme ou un quelconque machisme pour une règle qui, à mon sens, relève davantage de l’arbitraire de genre contenu dans notre langue, comme on peut l’observer à travers des dénominations telles que  « le soleil », « la lune ».
 
Cette écriture inclusive a-t-elle un sens à l’oral ?
 
Isabelle Cabat-Houssais :
Elle a autant d’importance qu’à l’écrit. L’oralité est très présente dans une classe. Je m’adresse toujours aux garçons et aux filles, et je n’utilise jamais le masculin censé « être neutre ».  Je dis « bonjour à toutes et tous » par exemple. Et cela n’aurait aucun sens de l’utiliser à l’écrit sans l’employer à l’oral.
L’idée, c’est d’avoir une pédagogie qui soit la même pour les éléves. Beaucoup d’études ont démontré que le corps enseignant ne se comporte pas de la même façon avec les garçons et les filles. Exemple : on va être plus exigeant avec les filles sur la façon d’écrire et on sera plus souple avec un garçon si l’écriture n’est pas soignée.
 
Emmanuelle de Riberolles : A l’oral, il suffit de dire les agricultrices et agriculteurs. Je peux être amenée à bien inscrire ces distinctions, mais ça m’arrive assez peu. Et si je dis ou écris « les professeurs », je ne pense pas invisibiliser les femmes.
A titre personnel, je me sens agressée sur le fond et sur la forme par cette écriture et par tout ce qui peut abîmer les mots. Exemple : écrire « colonelle », ça m’agresse et on ne s’honore pas en tant que femmes à travers ces revendications.
De même à l’oral, cette graphie n’a pas de sens. On dispose de tous les outils dans notre langue, qui est suffisamment riche, pour se faire comprendre par les élèves, quand on s’adresse aux deux genres, sans recourir à des subterfuges.

Je suis arrivée à la triste conclusion que lorsqu’on écrit « professeur.e.s », on aboutit à un effacement du métier et de l’individu.
Emmanuelle de Riberolles 

Comme l’avancent des linguistes, la langue a un impact sur les constructions mentales et les représentations sociales... L’écriture inclusive ne contribuerait-elle pas à plus d’égalité entre les femmes et les hommes ?
 
Emmanuelle de Riberolles : J’avais des idées très arrêtées sur le sujet, j’ai donc écrit quelques mots en écriture inclusive, qui concerne aussi la féminisation des noms de métiers. Et je suis arrivée à la triste conclusion que lorsqu’on écrit « professeur.e.s », on aboutit à un effacement du métier et de l’individu.
Je vois juste que je suis une femme, qu’on ne s’adresse à moi qu’à travers ce statut, et non en tant que personne. Or, si je suis professeur agrégé, je le dois à mes compétences, mes études et mon travail, mais ici on me renvoie en pleine figure ma féminité. Je le prends comme une insulte.
L’universalité contenue dans les mots comme « professeur » s’efface et surgit dans la graphie une lutte qui, pour moi, ne sera pas résolue par l’écriture inclusive. Linguistiquement le français n’a pas de neutre, la grammaire française est faite d’arbitraire mais je ne vois pas en quoi ça porte atteinte aux femmes.
En revanche, je pense que c’est insulter les vrais combats, les vraies discriminations et violences faites aux femmes. Elles existent et doivent être combattues mais avec l ‘écriture inclusive, on devient des « Précieuses ridicules » à militer comme ça. On maltraite notre langue, qui n’est plus jolie à regarder, on ralentit la lecture, sa fluidité, au profit d’une lutte qui ne fera pas avancer le combat des femmes. Pour moi, c’est quasiment une escroquerie.

Inclusif signifie inclure les deux genres et ne pas en exclure un, en considérant que le masculin représente les deux.Isabelle Cabat-Houssais 
Isabelle Cabat-Houssais : Absolument, l'écriture inclusive peut contribuer à l'égalité des sexes. Prenons la féminisation des noms de métiers, il subsiste encore de nombreuses résistances, à l’idée de dire « madame la Maire » ou « madame la ministre » au lieu de « madame le ministre ». Pourquoi dit-on aussi facilement infirmier et pas chirurgienne ? C’est la preuve que la langue assigne des places de pouvoirs. On observe que c’est précisément là, où persiste le plafond de verre, que les résistances se font plus tenaces.
Néanmoins, ce n’est pas parce qu’on va utiliser l’écriture inclusive qu’on aura autant de chirurgiens que de chirurgiennes, de maîtres que de maitresses mais ça y participe dans le système patriarcal qui est le nôtre.
Je pense aussi qu’à terme une écriture générique serait plus simple. Inclusif signifie, inclure les deux genres et ne pas en exclure un, en considérant que le masculin représente les deux. L’idée serait d’enlever le masculin et le féminin qui assignent, au profit de termes génériques comme artiste, journaliste, car la langue française est très genrée contrairement à l’anglais plus « neutre ».
 
Comment expliquez-vous tant d'oppositions en France, n’y a-t-il pas des raisons politiques ?
  
Emmanuelle de Riberolles -
 Il est vrai qu’il se dégage des tendances politiques si on observe les obédiences des personnes qui s’y opposent ou y adhèrent. Pourtant, le débat devrait se placer au-dessus des clivages politiques.  
J’essaie autant que possible de m’exprimer en tant qu’enseignante, en livrant mes arguments sans me poser la question de savoir s’ils sont raccord avec le parti auquel j’appartiens éventuellement.
Pour ma part, je suis syndiquée dans l’Education nationale et, en effet, mon syndicat ne pratique pas l’écriture inclusive, à la différence de nombreux autres organisations syndicales d’enseignants qui le font. Il doit donc y avoir forcément des convictions d’ordre politique au-delà des considérations personnelles.
Cependant, la politique n’a rien à voir avec la langue qui évolue d’elle même. Le français arrive du latin et que d’évolution à travers les siècles ! Toute une série de mots se sont féminisés alors qu’ils ne l’étaient pas au départ, et c’est devenu un réflexe de les employer. Aujourd’hui, on en fait beaucoup à coup de marche forcée, c’est aussi pour cette raison que le sujet devient source de dissensions et de clivages.
 
Isabelle Cabat-Houssais - La langue évolue au fil des courants idéologiques. Aujourd’hui, les membres de l’Académie française, la classe politique résistent énormément.

Il y a une frange de la population qui conserve une vison très spécifique de ce que doivent être le féminin et le masculin au sens large. La place des femmes et celle des hommes, seraient axées pour les premières autour de la maternité, la beauté…etc., et pour les seconds autour des postes de pouvoir.
Je ne comprends par pourquoi on s’y oppose, de la même façon que je ne comprends pas qu’on s’oppose au mariage pour tous. Qu’est-ce que cela enlève ou coûte à ces personnes ? Une partie d’entre eux ne veut pas que la société change et pour rejeter cette écriture inclusive, on invoque souvent qu’elle est féministe et donc militante. Mais la langue évolue avec les mouvements. Etre féministe, c’est comme être antiraciste, c’est être pour l’égalité.

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Après la publication d'un manuel scolaire chez Hatier rédigé avec l'écriture inclusive, le débat sur la féminisation de la langue française s'invite à l'école.
(c) Dragan Lekic

L'écriture inclusive, une polémique qui s'en va et revient 

Déjà employée par de nombreuses féministes, universitaires, syndicalistes et quelques personnalités politiques, l’écriture inclusive a fait irruption dans un manuel scolaire à la rentrée 2017/2018. Les éditions Hatier ont en effet créé la surprise en publiant le livre d’histoire, Magellan et Galilée « Questionner le monde », destiné aux élèves de CE2, qui utilise une graphie dont le but est de respecter l’égalité des sexes. On peut y lire par exemple que « grâce aux agriculteur.rice.s, aux artisan.e.s et aux commerçant.e.s, la Gaule était un pays riche ». Mais attention, l'écriture inclusive peut tout à fait se pratiquer sans avoir recours comme ici au point médian ( lire encadré ci-dessous).

L’éditeur a donc suivi ici les recommandations du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes qui a largement encouragé ce type d’écriture dès 2015 en publiant un guide pratique « pour une communication publique sans stéréotype de sexe. » Hatier s’est alors félicité d’être le premier à faire usage de la féminisation de langue dans un manuel, mais l’initiative a déchaîné des foules d’opposants sur Twitter. Comme l'un d'eux qui écrit « si mes enfants reçoivent un tel manuel, la solution sera simple, je le brûle».
Le Figaro revenait à la charge, le 6 octobre 2017 avec sa Une au titre  provocateur « Féminisme : les délires de l’écriture inclusive » Suscitant la réaction immédiate de la députée PS et ex- ministre du droits des Femmes, Laurence Rossignol, qui signe cette réplique sur Twitter : « Le patriarcat terrifié par les féministes armées d'un stylo et d'une nouvelle règle d'accord grammatical, ça donne ça. »
Quelques jours plus tôt, le philosophe Raphaël Enthoven s’enflammait au micro d’Europe 1. Selon lui, « l’écriture inclusive est une agression de la syntaxe par l’égalitarisme ». « Qu’on supprime les mots ou qu’on les découpe pour les rendre illisibles, que le but soit de contrôler les gens comme dans "1984", ou d’extirper à la racine du mot toute trace d’inégalité comme dans l’écriture inclusive, dans les deux cas, partant du principe qu’on pense comme on parle, c’est le cerveau qu’on vous lave quand on purge la langue. » « (…) Car toute langue est une mémoire dont les mots sont les cicatrices. », défend-il.

La langue française est-elle sexiste ?

Du côté des spécialistes, Eliane Viennot, historienne, professeure émérite de littérature à l’université de Saint-Etienne et autrice de « Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! » a, à plusieurs reprises, expliqué que la langue française n’est pas inégalitaire par essence. Ce sont « les grammairiens masculinistes » qui ont conduit au fil de siècles à l’invisibilisation des femmes dans la langue.

« La formule le masculin l’emporte sur le féminin, répétée semaine après semaine durant toutes les premières années de nos apprentissages, nous met dans la tête un ordre politique bien plus qu’une règle linguistique – dont, le français peut se passer, explique-t-elle. Toutes les langues romanes laissent le choix de l’accord, et pratiquent bien souvent, comme cela s’est fait en français jusqu’au XIXe siècle, « l’accord de proximité », c’est avec le mot le plus proche. Parce que c’est la première chose qui se propose à l’esprit : les conducteurs et conductrices sont arrivées. »  En respectant cette règle de proximité, cela reviendrait à dire et écrire, par exemple, les « des jours et les nuits heureuses ».
C’est bien parce que le langage est politique que la langue française a été infléchie délibérément vers le masculin.Raphaël Haddad, fondateur de l’agence de communication Mots-clé   
De même pour Raphaël Haddad, fondateur de l’agence de communication Mots-clé et enseignant en communication à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne : « Une langue qui rend les femmes invisibles est la marque d’une société où elles jouent un rôle second. C’est bien parce que le langage est politique que la langue française a été infléchie délibérément vers le masculin durant plusieurs siècles par les groupes qui s’opposaient à l’égalité des sexes. »

Au micro de la RTBF, le linguiste belge Michel Francard, enseignant à l'UCL (université catholique de Louvain) abonde dans ce sens. Il souligne que « si les femmes veulent une place dans la société, il faut aussi qu’elles aient une place dans la langue ».
 
Comment pratiquer l’écriture inclusive ?« L'écriture inclusive désigne l'ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d'assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes, explique l’agence de communication Mots-Clé, qui a édité un manuel d’écriture inclusive, disponible gratuitement en ligne

Dans un entretien accordé à Terriennes, Raphaël Haddad, le fondateur de cette agence explique qu’on peut l’employer, selon trois conventions :
 
 1 - Accord des fonctions et des grades
Accorder systématiquement en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres.
Exemples : professeure, docteure, chercheuse, etc.
 

2- La double flexion, langage épicène, points milieux 
On peut y recourir lorsqu’on s’adresse à un groupe :
 
> Les points milieux : il s’agit d’inclure ici le féminin dans les noms . Exemple : candidat·e·s, ami·e·s ou encore agriculteur·rice·s. Cette graphie suscite néanmoins de vives critiques, au motif qu’elle rendrait les textes illisibles. Or, le linguiste belge Michel Francard, interrogé par la RTBF, considère que « l’accoutumance fait que la complexité est réduite. Si on en fait usage, elle perdra sa pénibilité. » Notons toutefois que l'on peut pratiquer l'écriture inclusive sans jamais avoir recours au point médian.
 
Notons que l’Afnor, l'Association française de normalisation, est en train de réformer le clavier Azerty pour inclure ce point central qui s’obtient aujourd'hui sur Mac à l’aide des touches Maj+alt+f et sur PC : Alt250 ou Alt0183.

 
> Le langage épicène : Il permet d’employer des mots qui ne sont pas marqués du point de vue du genre grammatical. Exemples : journaliste, adulte, artiste, élève etc.
On peut également recourir à des formulations inclusives, comme « le corps enseignant », « les personnalités candidates ». 
 
> La double flexion : on appliquera ici les deux termes pour marquer le féminin et le masculin. Exemple : les formateurs et formatrices. Il faut cependant respecter l’ordre alphabétique pour le placement des mots. Ainsi on dira, « les maires et les mairesses », et en appliquant la règle de proximité, on écrira : « les maires et les mairesses étaient enchantées ».


3 – Privilégier les termes universels
 On préfèrera, comme le recommande le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, l’expression « droits humains » à « droits de l’Homme ».

Cette intolérable laideur...
Michaël Edwards, académicien

Du côté de l’Académie française même si elle n’a pas réagi officiellement, l’académicien Michaël Edwards, interrogé dans les colonnes du Figaro, nous apprend qu’officieusement des immortels sont « scandalisés» et lui-même qualifie l’usage de l’écriture inclusive « de français défiguré », invitant à « commettre des erreurs ». « C'est aux partisans de la féminisation de la langue, poursuit-il de proposer un moyen d'y arriver qui évite cette intolérable laideur. Qui ne produise pas une langue que l'on n'aurait plus envie de parler ni d'écrire (…) »

L'Académie française est finalement sortie de son silence. Par communiqué publié le 26 octobre, l'institution "élève à l’unanimité une solennelle mise en garde" contre l'écriture inclusive. Selon les Académiciens et Académiciennes, "la démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité". L'Académie française ajoute : "la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures."


Au micro de LCI, le ministre de l’Education français, Jean-Michel Blanquer, s’est dit lui « très réservé » pour son usage à l’école. 

Moins de crispations dans les autres pays 

Ce débat n’est pas nouveau, comme le rappelle France culture. Il y a une trentaine d’années, il était déjà question de remettre du neutre mais « la langue française étant très genrée », contrairement à l’anglais par exemple qui l’est beaucoup moins, l’instauration de la parité, est apparue plus pertinente.
 
Aujourd’hui, l’écriture inclusive ne fait pas seulement débat en France, mais à travers le monde. « En Afrique, le français est plus souple », explique Ousmane Ndiaye, rédacteur en chef à TV5Monde qui rappelle, par exemple, que l’écrivain et homme d’Etat « Leopold Sedar Senghor avait beau être académicien, il s'est battu néanmoins pour faire entrer dans le dictionnaire des « sénégalaiseries » comme primature ou essencerie... » Le débat suscite également moins de crispations en Belgique, en Suisse et au Quebec, là où se pratique aussi le français avec enthousiasme. 

Suivre Lynda Zerouk sur Twitter @lylyzerouk