Jacline Mouraud
Plusieurs semaines ont passé. Comme il fallait sans doute s'y attendre, en marge des soutiens, lorsqu'elle se propose d'aller discuter à Paris avec le Premier ministre, Jacline Mouraud fait face à un déluge de commentaires violents, allant même jusqu'aux menaces de mort, la poussant à supprimer sa page Facebook baptisée "Porte-Voix de la France qui souffre", le 3 décembre 2018.
Autre visage féminin des gilets jaunes, celui de Priscillia Ludosky, 32 ans, qui vit en banlieue parisienne à Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne). Le 29 mai 2018, elle a lancé en ligne la pétition dénonçant la hausse des tarifs du carburant, qui a recueilli aujourd'hui un million de signatures. Mi-novembre, elle publie sur sa page Facebook une foire aux questions expliquant l’origine du mouvement, ses motivations et ses demandes. De nombreux articles la mentionnent dans la presse française, et elle est apparue aussi sur certains plateaux télé. Reçue par François de Rugy, le ministre de la Transition écologique, et déçue par cette entretien, elle avait appelé à manifester le 1er décembre.
Prêtes pour un Noël en jaune
Au delà de ces visages médiatisés, sur le terrain, sur les barrages ou au sein des cortèges de manifestants, en marge des casseurs, et bagarres avec les forces de l'ordre, impossible de ne pas les voir, ces femmes en gilet jaune. Les nombreux témoignages recueillis par les médias, sont ceux de femmes le plus souvent issues de la classe moyenne, avec ou sans emploi, avec enfant ou pas, et parfois à la tête de famille monoparentale.Un reportage de nos confrères de France 3 nous emmène à la rencontre d'une dizaine d'entre-elles, unies par les mêmes revendications. Elles se relayent chaque soir sur un rond-point près de Rouen (Seine-Maritime, nord-ouest de Paris). Sabrina Vandeville et Christelle Bouchard sont parmi les plus assidues, elles sont présentes depuis près de trois semaines. Même les interventions de la police ne les découragent pas.
Une manifestante gilet jaune
Une visibilité des femmes inédite
"C'est assez inédit de voir les femmes aussi présentes sur des lieux, types barrages routiers et blocages, qui jusqu'à présent, dans d'autres mouvements sociaux étaient des types d'actions masculins. D'ailleurs, elles y apportent leur propre touche et leur propre style, on en a vu certaines danser et faire danser dans les ronds-points, le madison ou la country, je ne crois pas avoir vu cela auparavant !", nous explique Magali Della Sudda, chargée de recherches au CNRS et à Sciences-Po Bordeaux. Avec plusieurs dizaines de consoeurs et confrères chercheurs, 70 environ au total à travers la France, elle coordonne une enquête sur cette visibilité forte des femmes au sein des gilets jaunes.
"Nous avons diffusé des questionnaires au sein des manifestant.es, parfois de manière isolée ou bien comme avec le laboratoire de l'Université de Montpellier, avec des étudiant.es en master ou en doctorat. Selon nos premiers résultats, il n'y a pas plus de femmes que d'hommes, les hommes semblent même être un peu plus nombreux, mais c'est presque moitié-moitié. La différence, c'est qu'on voit plus les femmes cette fois-ci. Il y a sans doute un effet réseaux sociaux, qui n'existait pas lors des précédents mouvements de contestation, cela nous rend plus attentif à leur présence. Et puis il y a eu des visages féminins qui se sont démarqués aussi au tout début du mouvement, comme Jacline Mouraud ou encore Priscillia Ludosky", ajoute la chercheure, spécialiste en question de genre.
Même si le mouvement est très disparate, les femmes ont pour la plupart les mêmes revendications, il s'agit pour elle d'arriver à boucler leurs fins de mois, à nourrir leur famille
Magali Della Sudda, CNRS
Selon elle, "Même si le mouvement est très disparate, les femmes qui s'expriment sur les réseaux sociaux ont pour la plupart les mêmes revendications, il s'agit pour elle d'arriver à boucler leurs fins de mois, à nourrir leur famille, d'ailleurs, cela demande encore à être totalement vérifié, mais il semblerait que les mères mono-parentales soient très nombreuses voire majoritaires parmi ces femmes gilets jaunes."
« Ils nous donnent des miettes. C’est il y a 3 semaines qu’il fallait nous jeter un bout de pain. » Pour Amandine, qui campe sur un rond-point à #Senlis au nord de #Paris, les concessions du gouvernement aux #GiletsJaunes sont trop peu, trop tard. Ce soir au #tj22h @CGalipeauTJ pic.twitter.com/PwHBgCdaJK
— J-Francois Belanger (@belangerjf) December 6, 2018
Autre image vue sur les barrages, des femmes venant ravitailler les troupes, notamment l'une d'elle, qui vient nourrir les manifestants d'un couscous : "ça nous dit plusieurs choses. Une fois de plus la femme se retrouve dans son rôle classique de nourricière, mais en plus le couscous, cela a une valeur symbolique, de solidarité et ça montre aussi l'extrême diversité de ce mouvement. Avec des personnes de sensibilité très différentes", poursuit l'universitaire.
#giletjaune #GiletsJaunes #couscous #Toulouse #balma #MacronDemission pic.twitter.com/kVcF5suDxA
— Rachid Ou (@rachidfathi13) November 25, 2018
"L'attente maintenant, c'est de voir si les femmes vont suivre ou non encore le mouvement. Justement par rapport aux débordements et aux actes de violence, là aussi, elles sont visiblement un peu plus nombreuses à se déclarer contre ces violences ne se reconnaissant pas dans ces actes.", nous dit encore la chercheure du CNRS. "Et aussi peut-être qu'il pourrait y avoir une jonction entre les gilets jaunes et les militants écologistes, en tout cas, nous avons pu beaucoup de militantes écolo plaider en ce sens, à l'occasion de la marche pour le climat du 8 décembre". "Il y a aussi des militantes féministes, qui avaient défilé pour la marche contre les violences le 24 novembre, et qui sont aussi des gilets jaunes. On a pu entendre l'hymne des femmes chanté dans un cortège parisien samedi dernier !", conclut Magali Della Sudda.
#stopviolences #giletsjaunes Bravo à toutes ces femmes intelligentes, courageuses et respectueuses comme @oliviagregoire
— Josette Guéniau (@josettegueniau) December 7, 2018
Multiplez la parole publique des femmes malgré les commentaires méprisants, condescendants voire haineux que j’élis trop souvent sur Twitter https://t.co/m7wL6Hq1Ho
En jaune et/ou en violet
Le 24 novembre, certain.e.s avaient craint que la manifestation des gilets jaunes prévue à Paris ne vienne perturber la grande marche violette organisée par le collectif NousToutes contre les violences faites aux femmes. Cela n'est pas arrivé. Un confrère journaliste nous a même raconté avoir assisté à une rencontre amicale entre militantes féministes et femmes en gilet jaune en fin de journée place de la République, la cause de certaines trouvant écho dans celle des autres.> #NousToutes: les marches contre les violences faites aux femmes, grandes oubliées des médias
> #NousToutes : raz-de-marée féministe contre les violences sexistes et sexuelles
Et que dire de cette femme noire On lui crie :" rentre dans ton pays " la jeune femme voilée obligée d'enlever son foulard et l'autre sortie violemment de son véhicule pour arborer le gilet jaune ( toutes ces vidéos sont des vidéos amateurs)
— MelanieDepreval (@DeprevalMelanie) November 20, 2018
Seine-et-Marne. Mis en examen pour le viol présumé de sa collègue, en marge de la manif de Gilets jaunes https://t.co/QPCYOagK7l
— Marysieńka (@MarieMarysienka) December 5, 2018
Une mobilisation légitime ? Regards d'Italie et de Belgique
Pour la journaliste italienne Eva Morletto, co-fondatrice du site Davincipost.info, qui suit de près pour les médias italiens le mouvement des gilets jaunes, cette mobilisation des femmes peut rappeller celle des Italiennes au tout début du mouvement 5 étoiles, les revendications étaient les mêmes, en revanche, "Ce qui est 'drôle' c'est qu'elles, elles manifestaient surtout pour défendre l'écologie, ce qui n'est pas vraiment le cas en France, où elles se battent pour faire baisser le prix du carburant"."Le problème c'est que le mouvement citoyen qu'était à l'origine le mouvement 5 étoiles était tellement dispersé qu'il est ensuite devenu politique et récupéré par les mouvements extrêmistes, ce qui risque aussi d'arriver en France, et cela peut ouvrir les portes vers le pouvoir comme c'est le cas aujourd'hui en Italie", ajoute la journaliste. Pourtant, au cours de ses reportages chez les gilets jaunes, beaucoup se revendiquent d'aucun parti, "En tout cas moi, c'est ce que j'ai pu constaté. Je pense notamment à cette Parisienne, retraitée, de 75 ans, m'expliquant qu'elle manifestait en gilet jaune, sans étiquette politique, mais pour toutes ces femmes qui n'arrivent pas à boucler les fins de mois, dont elle-même en raison de sa minuscule retraite, pour toute cette classe populaire qui se fait écraser, et par peur de l'avenir pour ses petits-enfants."
"les citoyens qui se focalisent uniquement sur ce qu'ils vont pouvoir acheter"/"la vie ne se résume pas au pouvoir d'achat" @enmarchefr la députée @célinecalvez, ou quand le mépris de classe t'aveugle.
— LolaLafon (@LafonLola) 4 décembre 2018
Depuis la Belgique, la forte mobilisation de femmes au sein de gilets jaunes ne surprend pas la militante féministe Hafida Bachir Mrabet de "Vie Féminine". "En Belgique plusieurs femmes qui ont pris la parole dans les médias parlent de leurs difficultés à joindre les deux bouts, parlent de leurs enfants, de ne pas pouvoir payer les factures... discours dans lequel je me retrouve en tant que membre d'un mouvement travaillant avec les femmes des milieux populaires, dont des femmes seules avec enfants. On le sait, et les statistiques le confirment, ce sont les familles monoparentales (dont plus de 80 % ont des femmes à leur tête) qui sont dans les catégories des plus pauvres. A un moment donné elles n'en peuvent plus et ça ne m'étonne pas qu'elles finissent par rejoindre des mouvements comme les gilets jaunes. La question de l'autonomie économique est incontournable dans le combat féministe", nous confie-t-elle.
Hafida Bachir Mrabet, Vie Féminine
Les violences économiques envers les femmes : une des causes profondes du Mouvement des Gilets Jaunes.https://t.co/88ZVMUCumA
— Annick Boisset (@annick_boisset) December 7, 2018
"L’Insee... https://t.co/88ZVMUCumA
Emma Lan se dit un peu décue du peu d'écho à son appel pour l'instant. Le mouvement Attack qui lutte contre l'évasion fiscale a dit vouloir s'associer à cet appel. "J'ai juste envie de réclamer plus de justice sociale. Ce sont les femmes qui se retrouvent toujours dans les situations les plus précaires. Et pour moi, c'est logique de manifester contre la politique actuelle du gouvernement ", ajoute-t-elle. Comme signe de ralliement, elle a choisi le gilet violet, muni d'un brassard jaune.
Oui @JLMelenchon , c est vrai que jusque là les femmes faisaient du tricot. @Nous_Toutes . https://t.co/gUDf3GI9ty
— LolaLafon (@LafonLola) 3 décembre 2018
19/ Jugée nouvelle ou surprenante, la présence des femmes chez les #GIletsJaunes renvoie en réalité à une constante de l’histoire longue des révoltes populaires et non seulement à la Révolution française, caractérisée par la « marche des femmes » du 5 octobre 89 pic.twitter.com/ZGpqdeTKAC
— Guillaume Mazeau (@Guill_Mazeau) 5 décembre 2018
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