Pourquoi l'artiste et féministe russe Ioulia Tsvetkova risque-t-elle la prison ?

Ioulia Tsvetkova comparaît devant les tribunaux pour "fabrication et diffusion illégale de pornographie" sur Internet. Le crime de cette jeune artiste et militante russe ? Avoir partagé sur les réseaux sociaux des dessins représentant des nues et des organes génitaux féminins. De quoi heurter les valeurs familiales traditionnelles prônées par le gouvernement.
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Ioulia Tsvetkova quitte le tribunal après une audience à Komsomolsk-sur-l'Amour, en Russie, lundi 12 avril 2021. 
©AP Photo/Alexander Permyakov
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Le procès s'est ouvert à Komsomolsk-sur-Amour, dans l'Extrême-Orient russe, le 12 avril 2021. Il se déroule à huis clos car, officiellement, des images pornographiques y seront présentées. Pour cette même raison, la jeune artiste Ioulia Tsvetkova n'a pas le droit de communiquer sur le contenu de l'accusation. Assignée à résidence pendant quatre mois, la jeune artiste de 27 ans risque maintenant jusqu'à 6 ans de prison.

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Exposition des oeuvres de Ioulia Tsvetkova à Saint-Pétersbourg, en Russie, le 10 avril 2021. 
©AP Photo/Dmitri Lovetsky
Ioulia Tsvetkova est dans le viseur des autorités russes depuis 2019, depuis qu'elle a publié ses dessins de femmes nues ou dénudées sur le réseau social russe VKontakte. "Les femmes vivantes ont des poils sur le corps, et c'est normal !", revendiquait la légende de l'une de ces images, qui montrait une femme nue avec des poils sur les jambes et le pubis. D'autres dessins, dans le cadre de ce projet intitulé "La femme n'est pas une poupée", montraient une femme "avec du ventre, et c'est normal !" ou encore une autre avec des rides. 
Son affaire a été renvoyée à trois reprises par le procureur aux enquêteurs pour réexamen, avant d'être finalement confirmée en février 2020 et transmise aux tribunaux. La jeune femme explique que la justice russe n'hésite pas à recourir aux accusations de pornographie pour harceler la communauté LGBT. Un prétexte facile à invoquer et sanctionné par de longues peines de prison.

Propagande homosexuelle

Ioulia Tsvetkova a déjà été condamnée à deux reprises pour des oeuvres jugées contraires à la loi. Ce que la justice lui reprochait ? La publication sur les réseaux sociaux de dessins violant la loi contre "la propagande de relations sexuelles non-traditionnelles auprès des mineurs", une loi controversée ratifiée par le président russe Vladimir Poutine en 2013.

En décembre 2019, une première condamnation lui imposait une amende de 50 000 roubles, soit 621 euros ; puis en juillet 2020, un deuxième jugement sanctionnait la diffusion de son travail d'une amende de 75 000 roubles, cette fois, soit 930 euros.

L'une des publications représentait deux "matriochkas" russes amoureuses, se tenant la main en dessous d'un arc-en-ciel, une autre la célèbre cathédrale Saint-Basile de Moscou surmontée du mot "LGBT". L'un de ses dessins montre également deux familles homosexuelles souriantes avec des enfants, avec le message: "La famille, c'est là où est l'amour" :

En juillet 2020, une enquête visant Ioulia Tsvetkova a été ouverte pour le même motif, "propagande homosexuelle", après la publication d'un message hostile à la révision constitutionnelle voulue par le président Vladimir Poutine : l'un des amendements, approuvés lors d'un vote national, définit le mariage comme "l'union d'un homme et d'une femme" uniquement.

Indignation, mobilisation

La mère de Ioulia Tsvetkova, Anna Khodyreva dénonce la tenue du procès à huis clos. Elle-même n'est pas autorisée à assister au procès de sa propre fille. "Tout est fait pour nous ayons le moins d'informations possible".

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Ioulia Tsvetkova, au centre, sa mère Anna Khodireva, à droite, et son avocate Irina Ruchko, à gauche, quittent le tribunal le 12 avril 2021. 
©AP Photo/Alexander Permyakov

Le harcèlement juridique dont fait l'objet la jeune artiste et militante suscite l'indignation en Russie et à l'étranger, et les internautes appellent à partager les dessins de Ioulia en signe de protestation :


Les organisations de défense des droits humains, elles, exhortent les autorités à abandonner toutes les charges contre la jeune femme. 

Dans un communiqué, Amnesty International dénonce des "accusations ridicules et infondées" et  appelle la Russie à cesser "de viser les féministes, et d'autres militants LGBTI". Cela fait plus d'un an que l'ONG suit les persécutions dont Ioulia Tsvetkova est victime. La pétition appelant à sa libération a recueilli plus de 250 000 signatures.