Fil d'Ariane
La 28e Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP28) se tient à Dubaï jusqu’au 12 décembre 2023. Dans quelle mesure le réchauffement climatique impacte-t-il la santé psychologique et physique des femmes ? Entretien avec Mathilde Weber, médecin gynécologue, membre de l’ONG Gynécologie Sans Frontières.
La santé hormonale des femmes est la victime collatérale du réchauffement climatique, la hausse des température impacte le cycle hormonal des femmes, et peut avoir des conséquences sur les grossesses. Ici une réfugiée somalienne qui subit l'impact de la sécheresse.
Des températures qui grimpent d'année en année. Le service européen Copernicus vient de le confirmer : avec un mois de novembre record et une moyenne de 14,22 °C à la surface du globe, 2023 est l'année "la plus chaude de l’histoire". Et selon le sixième rapport d’évaluation du GIEC, cette fièvre ne devrait pas s’arrêter. Au contraire, puisque, quels que soient les projections en terme d’émissions, le réchauffement de la planète atteindra, toujours selon le GIEC, 1,5 degré dès le début des années 2030.
Expert.e.s comme ONG s'accordent pour observer les mêmes conséquences : ce sont les populations les plus fragiles et/ou précaires qui en souffrent le plus. Selon le GIEC, les femmes enceintes sont considérées comme plus vulnérables aux fortes chaleurs au même titre que les personnes âgées. L'organisme le soulignait déjà dans un rapport publié en 2020 : les femmes sont « moins aptes à faire face aux changements climatiques et que ceux-ci sont pour elles un facteur de stress supplémentaire ». Une autre étude menée en 2007 montrait qu’en moyenne les désastres naturels tuent plus de femmes que d’hommes et diminuent leur espérance de vie. « Plus le désastre climatique est violent, plus l’écart se creuse entre les genres », relevait l'an dernier la chercheuse Guillermina Girardi des Instituts américains de la santé (NIH) dans un article du Journal of Women’s Health.
(Re)lire nos articles :
Face à ce constat, en amont de la COP 28 à Dubaï, l’OMS, l’UNICEF et le FNUAP lors de son inauguration en ligne, en même temps qu’un document de plaidoyer du Partenariat pour la santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant (PMNCH) ont lancé un appel à l’action pour une protection d’urgence de la santé des mères et des nouveaux-nés, et l'inclusion spécifique de leurs besoins dans les politiques liées au climat. « Le changement climatique constitue une menace existentielle pour nous tous, mais les femmes enceintes, les bébés et les enfants sont les premiers à en subir les conséquences », estime Bruce Aylward, sous-directeur général chargé de la couverture sanitaire universelle et du parcours de vie à l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Pour Diene Keita, directrice exécutive adjointe des programmes du FNUAP, l’agence des Nations unies chargée de la santé sexuelle et reproductive, « Les solutions climatiques mondiales doivent soutenir – et non sacrifier – l’égalité des sexes ».
Tout le monde est affecté par les effets néfastes du changement climatique, mais les femmes le sont de manière disproportionnée. Mathilde Weber, gynécologue
Mathilde Weber, gynécologue, membre de l'ONG Gynécologie sans frontières.
Terriennes : Comment et pourquoi les femmes sont-elles les premières affectées par le changement climatique ?
Mathilde Weber : Comme le définit l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), « la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. C’est un état de complet bien-être physique, mental et social ». Tout le monde est affecté par les effets néfastes du changement climatique, mais les femmes le sont de manière disproportionnée. Selon l’ONU, elles représentent 70% des 1,3 milliard de personnes dans le monde vivant dans des conditions de pauvreté. Dans les pays du Sud, elles dépendent aussi davantage des ressources naturelles et de l’agriculture qui représente leur premier secteur d’emplois. Les situations extrêmes (hausse de température, sécheresse, inondations, cyclones, etc.) augmentent ces inégalités et la violence de genre. Les femmes sont aussi plus susceptibles de faire des sacrifices pour la protection des membres de leur foyer auquel elles sont souvent subordonnées. Ce qui les rend moins mobiles et plus vulnérables.
Tout cela a évidemment un impact sur leur santé mentale et physique. Il y a en effet plusieurs moments dans la vie d’une femme où on peut être en état de vulnérabilité, et notamment la grossesse. Même s’il ne s’agit pas d’une maladie, cela change la manière dont le coeur fonctionne, diminue l’immunité, et augmente les besoins physiologique (bien boire et se nourrir).
Le réchauffement climatique impacte la santé hormonale des femmes. Durant la grossesse, on constate : une augmentation de taux de mort fœtale in utero, de prématurité, ou de prééclampsie. Mathilde Weber, gynécologue
Plus précisément, quel est l'impact de la hausse des températures sur leur santé hormonale au quotidien ?
Plusieurs études scientifiques le montrent : le réchauffement climatique impacte la santé hormonale des femmes. Durant la grossesse, on constate : une augmentation de taux de mort fœtale in utero, de prématurité, ou de prééclampsie (maladie hypertensive et rénale de la grossesse). Par ailleurs, les fortes chaleurs augmentent le risque de maladies vectorielles (zika paludisme, dengue...) qui peuvent atteindre de manière plus grave les femmes enceintes, et dans le cas du zika entraîner une malformation cérébrale du foetus. Dans les situations de vulnérabilité, les menstruations peuvent causer des infections par manque d’accès à des protections propres.
De manière générale, on note partout dans le monde une augmentation des perturbateurs endocriniens (en majeure partie dérivés de l'industrie pétrolière, ndlr.). Ces substances - présentes dans de nombreux objets et produits du quotidien (produits ménagers, détergents, cosmétiques, etc.) - dérèglent le fonctionnement hormonal des organismes vivants.
Chez les femmes, ils aboutissent à des règles plus précoces et des stérilités anovulatoires. La pollution peut aussi affecter la production hormonale. Dans mon cabinet, basé en France, j’observe chez mes patientes des symptômes de ménopause plus importants ainsi que des grossesses moins bien tolérées avec quelques degrés de plus.
Que peut-on attendre de la COP 28, qui se tient à Dubaï, du 30 novembre au 12 décembre 2023, sur cette question ?
Les femmes et les droits des enfants sont insuffisamment représentés lors de ces conférences mondiales où l’on discute d’enjeux cruciaux et spécifiques. Or, pour en prendre conscience et y remédier, il faudrait en premier lieu laisser la parole aux concernées… C’est pourquoi Gynécologie Sans Frontières soutient l'appel commun à l'action lancée fin novembre par l’OMS, l’UNICEF et le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) pour une protection urgente de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants contre le changement climatique. (Cet appel à l’action souligne notamment l'omission flagrante des considérations liées à la santé maternelle et infantile dans les plans de réponse au changement climatique de nombreux pays, ce qui indique une attention insuffisante aux besoins spécifiques des femmes, des nouveau-nés et des enfants dans leur discours liés au Climat, ndlr.).
La connaissance de ces problématiques par les impactées elles-mêmes peut produire un changement global de mentalités. Mathilde Weber, gynécologue
Selon vous, quelles sont les solutions à apporter d'un point de vue médico-social ?
De manière générale, les Etats doivent réellement s’engager à réduire les gaz à effet de serre et la pollution. Ce sera bénéfique pour tout le monde, et particulièrement pour les femmes. Il est temps que les Etats se saisissent de ces problématiques spécifiquement liées aux femmes. Tout devrait être mis en place pour diminuer les inégalités et les violences de genre (sensibilisation, pénalisation, hébergements sécurisés, maternités, accords entre Etats pour les réfugiés climatiques…). Une meilleure représentation des femmes aux postes de décisions (Etats, organisations internationales, organismes de santé) permettrait de mieux faire entendre leur voix et de répondre à leurs besoins spécifiques. Informer, sensibiliser et éduquer sur ces sujets particuliers, c’est primordial. La connaissance de ces problématiques par les impactées elles-mêmes peut produire un changement global de mentalités.
A lire aussi dans Terriennes :