C'est un fait. Jamais les compétitions sportives féminines n’ont été autant diffusées. Plus de 55% des Français regardent ou écoutent au moins un type de contenu relatif au sport féminin, selon un baromètre publié par l’Arcom en janvier 2024. Cela reste loin des compétitions masculines : 73% des Français déclarent consommer des contenus sportifs, tous genres confondus. Selon une étude Ifop, en 2021, le sport pratiqué par les femmes représentait 4,8% des diffusions sportives à la télévision, contre 74,2% sur la pratique masculine et 21% pour la pratique mixte.
La faute aux journalistes ?
Une telle inégalité de diffusion explique en partie l’écart de suivi des compétitions selon le sexe, un écart visible dans la presse. Début novembre, la journaliste sportive Mélina Boetti publie avec l’association Les Dégommeuses, qui milite pour la promotion du football féminin et la lutte contre les discriminations dans le milieu sportif, une étude sur la représentation des athlètes féminines dans la presse écrite française pendant les Jeux olympiques. Elle constate que 60% des pages dédiées aux sports sont consacrés aux athlètes masculins, mais aussi que les articles sur les médaillés masculins sont plus longs que ceux consacrés aux médaillées.
D’une manière générale, on considère qu’il n’y a pas assez de contenu sportif féminin à l’antenne, que ce soit gratuit ou payant.
Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom
Les hommes occupent aussi la majeure partie des articles mixtes, c’est-à-dire consacrés à la fois aux hommes et aux femmes. Selon Mélina Boetti, cela peut s’expliquer par le fait que “seulement 30% de journalistes sportifs femmes ont couvert les Jeux.” Ainsi, elle estime que lors des Jeux olympiques, la presse a reproduit “l'état patriarcat hétéro normatif de la société”. Cependant, la supériorité numérique des journalistes masculins dans le domaine du sport ne concerne pas seulement les Jeux. “Dans la profession, il y a 85% d'hommes et 15% de femmes seulement” rappelle Mejdaline Mhiri, journaliste indépendante et cofondatrice de l’Association des Femmes Journalistes de Sport.
Quelles audiences sur les dernières grandes compétitions sportives ?
La Coupe du monde de football, en 2023, a rassemblé 31,6 millions de téléspectateurs sur France Télévisions, qui codiffusait la compétition avec M6, malgré des horaires défavorables avec des matches diffusés le matin ou en début d'après-midi dans l'Hexagone.
En Angleterre, près de 46,7 millions de téléspectateurs ont regardé le sport féminin à la télévision en 2023, un record.
Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l’Arcom, souligne que “la majorité des consommateurs d’événements sportifs sont des hommes.” Mais plutôt que de se concentrer uniquement sur des compétitions masculines, se réjouit-elle, ils sont également consommateurs de sport féminin, “cela signifie que les hommes ne se détournent pas du sport féminin.” Elle reconnaît toutefois que “d’une manière générale, on considère qu’il n’y a pas assez de contenu sportif féminin à l’antenne, que ce soit gratuit ou payant.”
Relancer l’intérêt
En 2022, le Tour de France, compétition phare du cyclisme, relance son épreuve féminine après plus de trente ans d’interruption. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint des épreuves cyclistes d’Amaury Sport Organisation (ASO), l’organisateur du Tour de France, explique qu’il a “senti que le sport féminin, en général, suscitait une appétence des télés, des radios, des suiveurs, des fans”, mais aussi que “le cyclisme féminin a beaucoup évolué et s’est professionnalisé.” Pour lui, les résultats sont là : “Certaines audiences à la télé font rougir certaines épreuves masculines, très clairement.”
On braque les projecteurs sur les athlètes femmes uniquement pendant les grosses compétitions, mais le reste du temps, on ne les suit pas.
Mejdaline Mhiri, journaliste indépendante et co-fondatrice de l’Association des Femmes Journalistes de Sport
Laurence Pécaut-Rivolier est convaincue qu'une médiatisation importante aux compétitions sportives féminines va créer “des rendez-vous et offrir au public l’occasion de découvrir des athlètes féminines." Mais pour Mejdaline Mhiri, le décalage qui perdure révèle que “le sport a été créé par les hommes et pour les hommes, et il y a encore une vraie difficulté dans l’appréhension du sport.” Pierre-Yves Thouault pense, quant à lui, que le sport féminin “devrait être davantage médiatisé.”
“Faire l’effort de décrire le geste sportif”
L’étude de l’Arcom de janvier 2024 note que les contenus sportifs féminins les plus regardés sont les compétitions internationales ponctuelles, comme le Tour de France, la Coupe du monde de rugby ou celle de football. Les compétitions récurrentes, comme la Ligue des champions, sont moins regardées. Mejdaline Mhiri estime que l’on “braque les projecteurs sur les athlètes femmes uniquement pendant les grosses compétitions, mais le reste du temps, on ne les suit pas.”
Il faut que les rédactions fassent l’effort de décrire au plus près le geste sportif et la technique.
Mélina Boetti, journaliste sportive
“Si l'on ne connaît pas les actrices, à savoir les athlètes, c’est difficile de s’y intéresser”, poursuit-elle. Ce constat est partagé par Mélina Boetti. Selon elle, il est nécessaire que les rédactions “fassent l’effort de décrire au plus près le geste sportif et la technique”, afin de “sortir de l'objectivation du corps de la sportive, de parler vraiment de sa mise en action, plutôt que de son corps et de son esthétique”.
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Pierre Yves Thouault reconnaît que les sportives sont régulièrement définies par le fait que ce sont des femmes. “Sur une course de vélo, il est clair qu'on parle de leur performance, explique-t-il. Mais il y a aussi de superbes histoires, il y a de la fraîcheur, il y a des sourires, il y a de la spontanéité.” Donc en résumé, “on parle d'abord de leur performance, mais autour de ça, on crée des histoires.”
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Pour Laurence Pécaut-Rivolier, “le spectateur peut paraitre moins intéressé par les événements féminins, mais ce n’est pas par principe. Il est simplement moins habitué à en voir, il a moins de repères puisqu'on lui présente encore trop peu d’événements de sport féminin.” Pour faire évoluer les choses, l’Arcom dispose de deux leviers d’action. D’un côté, les études, comme celles citées plus haut, et de l’autre, les conventions signées avec les éditeurs. “On a renforcé, dans les conventions que nous venons de signer avec onze éditeurs de la TNT, les engagements des chaînes en matière de représentation du sport féminin”, détaille la membre du collège de l’Arcom.
Si cela permettrait de donner plus de visibilité aux athlètes féminines, ce mode d’action risque toutefois de se heurter à des limites. “Nous ne faisons pas la programmation des chaînes, elles seules décident d'acheter des programmes d'événements sportifs féminins”, conclut-elle.
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