De Christophe Colomb à Armel le Cléac’h en passant par Jacques Cartier, l’histoire retient les noms des grands navigateurs.
Il faut dire que les stéréotypes de genre sont tenaces : à bord des navires, il faut tenir des exigences physiques, et les femmes sont jugées moins aptes. Et puis passer plusieurs mois en mer, loin de sa famille, peut être perçu comme incompatible avec la maternité et la vie familiale, surtout dans une société où les femmes assument majoritairement les tâches domestiques.
Autant de facteurs qui font que les femmes sont moins encouragées à s’orienter vers les formations maritimes ou les filières techniques. Celles-ci peuvent également intérioriser des biais inconscients qui peuvent les freiner dans leur accès à l’emploi et à la progression de leurs carrières.
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Industrie maritime : la minorité (in)visible
Malgré certains progrès, le secteur maritime reste loin d’une parité hommes-femmes, selon une nouvelle enquête d'une agence onusienne en 2024. L’Organisation maritime internationale (OMI) et l’Association internationale des femmes dans le transport maritime et le commerce (WISTA) ont publié les conclusions de la deuxième enquête mondiale sur les femmes dans le secteur maritime. Malgré une légère augmentation du nombre de femmes dans l’industrie – 176 820 en 2024 contre 151 979 en 2021 – la progression reste trop lente.
Pour nombre d’experts, il est temps que le secteur maritime passe des intentions à l’action. Si la participation des États Membres et des entreprises privées a augmenté depuis 2021, les femmes ne représentent que 19 % de la main-d'œuvre maritime nationale et 16 % dans le secteur privé. "Nous devons redoubler d'efforts pour favoriser une industrie maritime véritablement diversifiée et inclusive", a déclaré le Secrétaire général de l’Organisation maritime international (OMI), Arsenio Dominguez, à l’occasion de la publication de l'enquête.
Les nouvelles données montrent également que les opportunités dans l’ensemble du secteur restent limitées pour les femmes en raison d’obstacles tels que les stéréotypes liés au genre, les préoccupations en matière de sécurité sur le lieu de travail, l’absence de politiques favorables à la famille et l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes. Elpi Petraki, présidente de WISTA International
Les femmes sont davantage représentées dans les secteurs émergents tels que les services environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), et les services de décarbonation, tandis que d’autres, tels que les services de soutage et les services juridiques, ont enregistré une baisse, nous apprend l'enquête.
Pour Elpi Petraki, présidente de WISTA International, "Attirer, conserver et promouvoir les femmes – sur terre comme en mer – reste une priorité pour l’avenir. Toutefois, les nouvelles données montrent également que les opportunités dans l’ensemble du secteur restent limitées pour les femmes en raison d’obstacles tels que les stéréotypes liés au genre, les préoccupations en matière de sécurité sur le lieu de travail, l’absence de politiques favorables à la famille et l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes".
Une précédente enquête menée en France en 2018 par l'Institut supérieur d'économie maritime Nantes-St Nazaire, mettait en lumière une forte progression de l’emploi féminin majoritairement dans des postes d’exécution (+4 points entre 2009 et 2014); mais l’accès à des fonctions d’encadrement est plus lent (+2 points) et limité par le caractère court des carrières de femmes marins. L'âge moyen des femmes est de 32,8 ans contre 39,6 ans pour les hommes, signe de la dynamique de ce nouveau groupe professionnel. La mixité est relativement faible dans les Lycées Professionnels Maritimes et Aquacoles (entre 0,8% et 9,4% selon les établissements).
Le secteur des pêches et de l’aquaculture compte 21% de femmes. Les effectifs féminins ne sont que de 6% dans la pêche maritime, mais ils représentent près de 38% du personnel travaillant en aquaculture. A noter que les activités de production (mareyage, poissonnerie, transformation) sont largement féminisées, avec un taux de présence compris entre 40% et 60%. Enfin cette enquête souligne que les ports de plaisance comptabilisent 30% d'effectifs féminins, constatant que ces métiers tournés vers le service et le tourisme semblent attirer d'avantage les femmes.
L'Océan, l'autre plafond de verre
Dans une tribune publiée par Vert et intitulée "L’Océan, l’autre plafond de verre : pour une gouvernance de l’océan paritaire et inclusive", Women for Sea, Les Impactrices et SHE Changes Climate France plaident pour plus d'égalité dans les prises de décision concernant l’océan, en marge du sommet mondial (Unoc3) sur le sujet à Nice.
"L’océan est le bien commun de l’humanité : il régule notre climat, nourrit des milliards de personnes, abrite la majeure partie de la biodiversité sur Terre. Et pourtant, il est au bord de l’asphyxie, frappé de plein fouet par une triple crise planétaire : pollution, surpêche, changement climatique. Face à cette situation, protéger l’océan exige des réponses fortes, coordonnées, durables, et une gouvernance à la hauteur des enjeux. Mais cette gouvernance est aujourd’hui fragmentée, opaque, et profondément incomplète car les femmes y sont largement sous-représentées.", lit-on dans cette tribune.
À l’échelle mondiale, moins de 12,5% des ministères en charge de l’océan sont dirigés par des femmes. Et selon l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature), au rythme actuel, il faudrait 162 ans pour atteindre la parité dans les postes de gouvernance environnementale, interpellent les militantes signataires de cette tribune. Leurs revendications feront l’objet d’une table ronde, jeudi 12 juin, au palais des expositions de la cité azuréenne. À lire Conférence des Nations Unies sur l'Océan : "On ne peut pas se passer de la voix des femmes"
Navigatrices au long cours, "role models"
Des femmes en minorité dans l'industrie maritime et dans la gouvernance, mais aussi sur les lignes d'arrivée des grandes compétitions maritimes. Au fil des années, néanmoins, des figures féminines s'imposent. Les navigatrices sont de plus en plus médiatisées, donnant ainsi des “role models” auxquelles les femmes peuvent s’identifier.
Parmi celles qui ont écrit l'histoire de la navigation au féminin, on retiendra évidemment la légende Florence Arthaud. Rebaptisée "La petite Fiancée de l'Atlantique", la Française participe à la première Route du Rhum, à l’âge de 21 ans, en 1978 et finit 11ème. 1990, est l’année de la consécration pour la navigatrice qui bat le record de Loïc Peyron, en traversant l’Atlantique en 2 jours de moins. Puis en novembre, elle remporte la Route du Rhum, devenant ainsi la première femme à gagner cette course. En octobre 2011, tombée en pleine mer sans gilet de sauvetage, elle doit sa survie à sa mère à qui elle téléphone et qui prévient les secours. Elle trouve la mort le 9 mars 2015 à 57 ans dans un crash d’hélicoptère en Argentine lors du tournage d'une émission de téléréalité.
Autre personnalité marquante, Isabelle Autissier. En 1991, elle termine 7e du BOC Challenge, et devient la première femme à avoir accompli un tour du monde en solitaire lors d'une compétition. Ecrivaine et militante écologiste, elle est aujourd'hui présidente d'honneur du WWF-France.
Dans leur sillage, d'autres aventurières prennent la barre au départ des grandes courses. La Britannique Ellen MacArthur devient populaire en terminant deuxième du Vendée Globe 2000-2001, puis en battant le record du tour du monde à la voile en solitaire en 2005. En 2003, la Française Maud Fontenoy entreprend à l'âge de 25 ans la traversée de l'Atlantique Nord dans le sens ouest-est. Le 9 octobre 2003, après 117 jours de mer, 3 700 km parcourus et une vingtaine de chavirages, elle est la première femme à avoir réalisé cette traversée.
Plus récemment, en 2021, Clarisse Crémer termine le Vendée Globe en 87 jours, battant le record féminin de l’épreuve. Enfin, en 2025, Violette Dorange, 23 ans, est devenue la plus jeune navigatrice à terminer la course. Faisant vivre au jour le jour son aventure via les réseaux sociaux, la jeune navigatrice affiche plus de 650 000 fans sur son compte instagram. Pour l'un de ses nombreux abonnés, cela ne fait pas de doute : "Violette c’est toi qui a gagné le Vendée Globe, par ton sourire, ta joie de vivre tellement communicative, ta bonne humeur, et ta positivité tout au long de la course. Encore bravo et MERCI ".
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