Fil d'Ariane
Mariée et mère à 18 ans, veuve aussitôt après, Marie Gouze décide de vivre sa vie librement en plein siècle des Lumières. Elle veut nourrir comme elle l'entend sa curiosité intellectuelle, cultiver son indépendance d'esprit, et pouvoir exister sans préjugés d'aucune sorte. Sous le nom d'Olympe de Gouges, elle côtoie les grands hommes qui ont laissé leur nom dans les livres d'histoire au chapitre de la Révolution, de Mirabeau à Robespierre, en passant par Desmoulins, Marat, La Fayette et bien d'autres encore. Elle mourra sur l'échafaud de n'avoir pas voulu renoncer à sa liberté d'expression, à l’issue d’un procès arbitraire mené par l’accusateur public Fouquier-Tinville, le 3 novembre 1793.
En 1791, dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges demande l'égalité entre les sexes et le droit de vote pour les femmes – des propositions qui resteront révolutionnaires jusqu'au XXe siècle. En 2023, alors qu'il arrive encore que des féministes soient fustigées, harcelées ou menacées, il est plus que jamais essentiel que la république reconnaisse les valeurs et l'envergure d'Olympe de Gouges. C'est l'intime conviction du collectif d’historien-ne-s, d’écrivain-e-s, d’élu-e-s, universitaires et personnalités qui demandent la panthéonisation de cette pionnière des droits des femmes dans une tribune et une pétition rédigée par l’historienne Catherine Marand-Fouquet et la journaliste Sylvia Duverger.
Olympe de Gouges au Panthéon ? La militante et journaliste Sylvia Duverger nous dit pourquoi il faut que l'autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne rejoigne le temple des "grands hommes et grandes femmes" https://t.co/zZljus2gFh pic.twitter.com/uSwcxeNWon
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Parce qu'elle symbolise d'une façon exemplaire les combats pour les droits des femmes. C'est elle l'autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791, précisément au moment où la République se constitue en excluant les femmes de toute représentation politique, et même de la possibilité de donner leur vote. C’est quelque chose de symboliquement extrêmement fort, car cela nous fait aussi remonter aux racines d’un sexisme qui demeure actuel, fâcheusement actuel. Du moins à la Révolution française, qui a entériné ce sexisme ancré la République dans l'exclusion des femmes.
C'était une femme politique à part entière, qui a eu cette audace incroyable de prendre le droit de faire de la politique précisément au moment où il était refusé à toutes les femmes. Elle a eu l’audace, aussi, de se camper en représentante des femmes. Elle le dit très clairement et à plusieurs reprises dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Au-delà de ce texte, la question féministe et celle du genre sont présentes dans toute son oeuvre. Elle y évoque les violences sexuelles à plusieurs reprises, notamment dans L'Homme généreux, en 1785, et dans sa pièce sur l'esclavage Zamore et Mirza ou L'Heureux naufrage, qui comporte plusieurs versions entre 1785 et 1792.
Dans la seconde partie du Prince philosophe, composé entre 1788 et 1792, son féminisme est encore extrêmement présent.
Elle y développe un discours résolument féministe où elle prône une éducation pleinement égalitaire et l'accès des femmes à tous les emplois, toutes les responsabilités, toutes les fonctions. Si le roi ne l'applique pas, c'est, explique-t-elle, parce qu'il craint que les femmes ne deviennent supérieures aux hommes. Voilà, après la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, la seconde partie de sa réponse à la Constitution de 1791, qui exclut du politique ce sexe dont elle se pose en représentante.
Olympe de Gouges manque d'ailleurs rarement l'occasion de souligner la valeur des femmes, dès lors que leur intelligence, leur force et leur courage ne sont pas bridés par des hommes injustes, qui s'accaparent le champ des possibles. Par exemple, en décembre 1792, au moment où elle s'offre à assurer la défense de Louis XVI, elle en profite pour rappeler que "l’héroïsme et la générosité sont aussi le partage des femmes, et la Révolution en offre plus d’un exemple".
Olympe de Gouges dit et redit qu'elle est à la fois une femme et un homme.
Sylvia Duverger
Enfin, Olympe de Gouges développe une conception fluide du genre ; elle dit et redit qu'elle est à la fois une femme et un homme ; ainsi, dans une brochure d'avril ou mai 1793, elle répond à ses détracteurs qu'elle a autant de valeur que les plus honorés des hommes : "Je suis femme et j'ai servi ma patrie en grand homme". Cette résistance au modèle de soumission inculqué aux femmes, c'est l'une des sources de son génie.
Olympe de Gouges n'est pas seulement féministe, elle est aussi humaniste...
Elle s'est souciée de la misère du peuple, elle s'est souciée du sort des chômeurs. Elle s'est souciée du sort des femmes les plus démunies, abandonnées par des serviteurs. Elle s'est souciée du sort des enfants adultérins, écartés de toute possibilité d'héritage. Ces projets de réforme sont multiples, nombreux, extrêmement intéressants. Jusqu'à proposer un impôt sur le luxe.
Pourquoi est-ce important qu’Olympe de Gouges entre maintenant au Panthéon ?
Parce que jusqu'à présent, il n'y a pas eu de féministe au sens plein et entier du terme qui ait été panthéonisée. Simone Veil est une merveilleuse panthéonisée, Joséphine Baker aussi, les résistantes aussi, Mais cela ne suffit pas. Nous voulons qu'il y ait des féministes, des femmes qui aient combattu pour leurs droits qui soient panthéonisées et particulièrement en ce moment où nous nous soucions beaucoup du sort des Iraniennes et des Afghanes. Dans notre pays aussi, la France, le sexisme demeure endémique et les jeunes, dont on pensait qu'ils étaient davantage acquis aux idées féministes, demeurent malheureusement sexistes. Il est important, aujourd’hui, de symboliser ce combat pour les droits des femmes, le caractère essentiel du féminisme.
A ce jour, elles ne sont que 6 "Immortelles" à reposer au Panthéon parmi 75 hommes, mais Olympe de Gouges serait la première féministe à les rejoindre, explique @SylviaDuverger https://t.co/zZljus2gFh pic.twitter.com/5dWVyhHFh0
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Pourquoi Olympe de Gouges n'est-elle pas déjà au Panthéon, alors ?
Pour plusieurs raisons. En 2013, nous avons sincèrement pensé qu’elle y serait à l'issue de cette de la consultation du Centre des monuments nationaux, qui avait un caractère assez officiel, même si elle était organisée sur Internet. A l'époque, on lui a préféré des résistantes, car la recommandation était clairement que des femmes soient panthéonisées, mais plutôt des contemporaines. Voilà qui excluait Olympe de Gouges, alors qu'il faudrait justement remonter dans le temps, ouvrir une conversation sur l'histoire afin de comprendre pour quelles raisons le sexisme demeure aussi prégnant en France.
Selon certains historiens et historiennes, c'est aussi parce qu’elle s'est opposée frontalement à Robespierre ou Marat, donc à toute une tendance de la Révolution qui demeure chère à certains et certaines.
Olympe de Gouges n'aurait pas paru suffisamment sérieuse pour être panthéonisée ? Les femmes ne paraissent jamais suffisamment sérieuses pour être panthéonisables !
Sylvia Duverger
Ensuite, des historiens, en particulier au XIXᵉ, siècle lui ont fait une réputation de courtisane : elle n'aurait pas paru suffisamment sérieuse pour être panthéonisée ? Les femmes ne paraissent jamais, ou presque jamais suffisamment sérieuses pour être panthéonisables ! Ce qu’on leur reproche n’aurait jamais été opposé à des hommes, et on ne va pas fouiller dans leur vie privée. Par ailleurs, Olympe de Gouges n'était pas une courtisane, en tous cas pas une prostituée au sens plein et entier du terme.
La méconnaissance aussi joue. Nous devons beaucoup au travail d'Olivier Blanc qui a permis de restaurer la véritable Olympe de Gouges dans toutes ses dimensions, du moins dans un certain nombre de ses dimensions. Il a par exemple montré que, oui, elle était bien l'autrice de ses œuvres. Car longtemps, il y a eu des contemporains, puis des historiens, pour dire qu’elle n'était même pas l'autrice de ses œuvres.
Olympes de Gouges est l’une des pionnières du féminisme et l'autrice de la "Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne". Au début de la Révolution française, les femmes ont été entendues, et puis le vent à tourné, comme l'explique l'historien Olivier Blanc. pic.twitter.com/H7cwqVkN1M
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Il y a aussi, c'est vrai, la question débattue de son monarchisme prétendu, qu’il faut toujours clarifier. Alors reprenons l'histoire de la Révolution. À l'époque où elle était royaliste, elle était royaliste constitutionnelle, ce qui était le cas de la majorité, à quelques exceptions près, comme Brissot ou Condorcet, qui étaient républicains. Par ailleurs, son monarchisme constitutionnel s'alliait à un franc républicanisme, absolument avéré, du début jusqu'à la fin, dans ses textes.
Certains et certaines dénigrent aussi son style. Olympe de Gouges elle-même disait qu'elle n'avait pas disposé d'une éducation entièrement satisfaisante, qu'elle était autodidacte et qu'il fallait excuser ses fautes. C'est vrai qu’elle en fait, quelquefois, mais c’est aussi parce qu'elle écrit à toute vitesse, dans le feu de l'action et des événements. Elle a aussi des formules absolument saisissantes, absolument dignes d'une écrivaine, d’une autrice à part entière. Et quelle autrice, avec quelle force ! Ça, c'est aussi le dénigrement ordinaire auxquelles les femmes sont malheureusement sujettes.
Cette fois, vous y croyez ?
Oui, nous y croyons. D'une part parce que nous avons reçu une réponse que nous estimons plutôt positive de l'Elysée ce 1ᵉʳ février. Nous y croyons parce que la cause et les droits des femmes ont été déclarés grande cause nationale pour la deuxième fois par Emmanuel Macron. Il serait absolument cohérent et logique que le président décide qu’Olympe de Gouges entre au Panthéon. Ce serait symboliser ce combat et cet engagement.
Il faudrait ensuite choisir une date qui ait une importance mémoriale. Cela pourrait, par exemple, être la date de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Non pas la date de la publication, mais celle de l'adresse à la reine de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, c'est-à-dire en septembre 1791. Ce pourrait aussi être un 8 mars…
Soulignons aussi qu'il devient urgent, je crois, de panthéoniser Olympe de Gouges, avant qu'elle ne soit récupérée fâcheusement, comme l’a été Jeanne d’Arc. Nous sommes préoccupés par cette éventualité et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de relancer la demande de panthéonisation d’Olympe de Gouges.
(Re)lire aussi dans Terriennes :
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►Olympe de Gouges, une femme du XXIème siècle
►Olympe de Gouges, femme libre et fascinante de la Révolution française
►Joséphine Baker : une femme pionnière et inspirante entre au Panthéon
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