A l'heure où gronde la colère des sage-femmes en France, voici le récit de l'une de ces soignantes émérites. En trente années d'activité, Sylvie Coché a donné naissance à plus de 10 000 enfants. Elle raconte dans un ouvrage ces moments uniques empreints d'émotion, où rien, jamais, ne se passe comme prévu.
Alors que dans la rue, les sage-femmes manifestent pour plus de reconnaissance et de meilleurs salaires,en France, l'actualité des maternités de proximité est plutôt morose : 40 % d'entre elles ont fermé en 20 ans. . Sylvie Coché, elle, veut rester confiante :
"Il y a un sursaut avec l'expérience des "maisons de naissance" tenues par des sages-femmes, où l'accouchement se fait le plus naturellement possible. Ces maisons sont accolées à une maternité classique pour une prise en charge plus médicalisée en cas de problème".Sylvie Coché sait de quoi elle parle.
Durant une trentaine d'années, cette ex-sage-femme a participé à des milliers d'accouchements. Si elle ne pratique plus aujourd'hui, préférant assurer des tâches d'encadrement médical, l'envie lui est venue de parler.
Avec
Poussez, Madame ! (Les Editions de l'Opportun), Sylvie Coché passe à table.
Elle raconte son travail.
Beaucoup estiment que la maman, une fois qu'elle a accouché, c'est bon, on n'en parle plus.
Sylvie Coché
Patiente submergée par le stress
A peine 3% des hommes exercent cette profession de sage-femme, comment l'explique-elle ? "Cela fait à peine une trentaine d'années que les hommes ont le droit de faire ces études-là. Avant, cela faisait partie d'un matriarcat et les choses étaient ainsi depuis l'histoire de l'humanité. Ce sont toujours des femmes qui ont aidé d'autres femmes à accoucher. Mais je travaille avec des hommes sages-femmes et je trouve qu'ils sont exceptionnels. Les femmes sont d'abord surprises de voir un homme en face, mais elles oublient très vite et sont rapidement conquises".
Sauf quand il n'est plus temps d'administrer la péridurale, cette anesthésie qui soulage les contractions. Il arrive que la patiente, en proie à de très violentes douleurs et submergée par le stress, perde les pédales et bombarde la sage-femme d'insultes diverses. Dans son livre, Sylvie Coché raconte la fois où une future maman se dresse toutà coup sur la table de travail et lui assène, droit dans les yeux :
"Je te maudis jusqu'à la dixième génération !" Une phrase que la patiente regrettera quelques instants plus tard, une fois le bébé auprès d'elle.
"Tout d'abord, il faut savoir s'adapter aux personnes qui sont en face, être très "caméléon", et toujours, toujours, dans la bienveillance," précise Sylvie Coché
. Un petit bonhomme de Noël est sorti par les seules poussées dues aux éclats de rire de sa maman !
Sylvie Coché
Au fil des pages, le lecteur rebondit de suprises en suspenses. Comment oublier ce 25 décembre en bloc opératoire ? La patiente va accoucher. Sylvie lui explique l'immuable technique : "Inspirez à fond, bloquez la respiration et poussez le plus fort et le plus longtemps possible".
Mais rien ne se passe comme prévu.
La patiente, d'un élan formidable, projette tout à coup ses postillons au visage de l'accoucheur puis, se rendant compte de la situation, éclate de rire et déclenche un fou-rire général. Dans le bloc, voici toute l'équipe pliée en quatre ! L'hilarité est telle que Syvie remarque "qu'à chaque nouvel éclat de rire, on pouvait voir avancer la tête du bébé de quelques millimètres (...) Ce petit bonhomme de Noël est sorti par les seules poussées dues aux éclats de rire de sa maman ; elle n'a jamais eu besoin de se concentrer pour l'aider à sortir".
Autre "classique" dans son quotidien rarement morose : le rapport à la nourriture. Beaucoup de ces mamans nouvelles angoissent sur le poids de leur enfant. Sylvie Coché se souvient de cette maman qui pesait non pas son bébé, mais son sein ! "Elle m'explique alors qu'elle ne faisait qu'appliquer les consignes données par le pédiatre, peser avant et après la tétée !" écrit-elle.
Devine qui va sortir ?
On pourrait relever tant et tant d'anecdotes, le plus souvent légères, parfois tragiques, mais l'ouvrage offre aussi un constat saisissant de la réalité de ce métier où il n'est pas rare de vivre de vraies passes d'armes avec des chirurgiens caractériels, égoïstes ou mal lunés. Pour se venger du comportement grossier de l'un d'eux, elle n'hésite pas, un jour, à faire avaler à l'indélicat une fausse truffe en chocolat. La truffe en question était un suppositoire laxatif habillé de cacao !
On reste ému par cette patiente rongée par l'angoisse et qui avait réussi à "contaminer" tout le bloc opératoire avec ses tourments. La raison ? La future maman avait eu un amant de couleur noire.
"Or son mari et elle étaient blancs. Et elle ignorait qui était le père ! Bien entendu, son mari n'était pas au courant de son infidélité. La pauvre femme vivait un enfer. Elle imaginait déjà le drame si son bébé naissait métis (...) Lorsque le bébé est né, tout le monde dans la salle retenait son souffle. Sa petite frimousse ne nous a pas laissés longtemps dans le doute. C'était le portrait craché de son mari. "Hitchcoquien.
Sylvie Coché tient à préciser que son métier
"est d'abord celui d'une équipe avec les parents et tout le personnel du bloc opératoire". Avant de nous quitter, elle remarque la solitude des mamans, une fois le bébé arrivé. "
La mère, pendant neuf mois, est le centre du monde. Dès que l'enfant paraît, il lui vole la vedette. C'est très net. Beaucoup estiment que la maman, une fois qu'elle a accouché, c'est bon, on n'en parle plus. Alors qu'elle a besoin d'être entourée, de réconfort..."