Précarité menstruelle : le défi d'une influenceuse sur Instagram, de la polémique à la bonne action

Louise est ce qu'on appelle communément aujourd'hui une influenceuse sur les réseaux sociaux. Connue sous le nom de "MyBetterSelf", elle a posté fin décembre une photo d'elle, posant telle une miss France coiffée d'une couronne faite d'applicateurs de tampon et, à la main un éventail formé de faux billets de 100 dollars. Une démarche destinée à lutter contre la précarité menstruelle dont souffrent tant de femmes en France, et ailleurs. 

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serviettes distrib
L'influenceuse Louise, ici à droite, a créé un élan de solidarité, tout comme la polémique, en lançant un défi sur Instagram lui permettant de recueillir des protections hygiéniques pour l'association ADSF, Agir pour la santé des femmes, afin de lutter contre la précarité menstruelle. 
©Association ADSF/Instagram
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"1,7 million. C’est le nombre de femmes en situation de précarité menstruelle en France. Des femmes qui doivent choisir chaque mois entre acheter une boîte de tampons ou avoir assez à manger à la fin de la journée". Avec ce post, "MyBetterSelf", Louise dans la vraie vie, veut interpeller chacune et chacun d'entre nous à lutter contre une réalité pas assez connue et qui, sans doute, dérange un peu : la précarité menstruelle. 
 

Pour chaque partage de sa publication en story, l’influenceuse explique que la mutuelle pour les 18-28 ans Nutuus, soutenue par la marque de protections périodiques Nana, s’engage à reverser bénévolement une boîte de protections menstruelles à l’association "Agir pour la Santé des Femmes". 

Le succès est au rendez-vous. Depuis le 21 décembre, date de la publication de cette photo, des milliers d'internautes répondent à l'appel et partagent le cliché sur leur compte ou profil.

"Féminisme washing" ?

Si l'initiative est saluée par un grand nombre, elle est aussi critiquée par d'autres, qui l'accusent de se faire de la pub sur le "bon" dos de la précarité menstruelle, quand d'autres soupçonnent les marques de protections hygiéniques de se réapproprier la "bonne" cause à des fins commerciales. Une mode connue sous le nom de "feminism washing", très tendance depuis quelques années, dénoncée par de nombreuses militantes féministes.
 

"La précarité menstruelle. Un terme dont on parle enfin depuis quelques jours", écrit Louise dans un post plus récent, intitulé "la vérité sur cette photo". Elle tient à expliquer clairement sa démarche, cherchant ainsi à répondre à la polémique. "Ce post n’est pas une campagne. C’est une collecte", insiste-t-elle, "Pour pouvoir reverser des protections menstruelles, il faut bien que des marques puissent en fournir. Nous en avons donc contacté, et nous en contacterons également d’autres, afin de pouvoir assurer notre engagement". Dans une vidéo publiée sur Youtube, elle précise qu'elle n'a pas été rémunérée pour cette action, et qu'il s'agit de bénévolat. Elle se dit même "choquée" qu'on lui reproche que son post ait pour but de redorer l'image de la marque "Nana" alors qu'à la base, "celle-ci n'était pas au courant de l'opération". 
 

De la taxe rose à la gratuité ? 

A la rentrée 2015, la mobilisation de féministes, notamment du collectif Georgette Sand, pour revendiquer une taxe réduite sur les protections périodiques a payé.​ Depuis le 1er janvier 2016, en France, la TVA sur les protections hygiéniques est passée de 20 % à 5,5%. Fin 2019, un amendement au projet de loi de finances a consacré un budget d’un million d’euros à la lutte contre la précarité menstruelle.

A la mi-décembre 2020, le ministre de la Santé, Olivier Véran, et la ministre chargée de l’Egalité, Elisabeth Moreno, ont annoncé le déblocage de 4 millions supplémentaires : le budget de lutte contre la précarité menstruelle pour 2021.

L'Ecosse est devenu à l'automne 2020 le premier pays du monde à rendre les protections périodiques gratuites. Elles seront disponibles dans les bâtiments publics, y compris les écoles, lycées et universités.

Relire notre article >Des tampons gratuits contre la précarité financière liée aux règles : l’Ecosse à l'avant-garde. Et ailleurs ?

Gratuité, santé et précarité 

Autre point soulevé par des internautes critiquant cette initiative. Le non-respect de l'environnement en encourageant l'achat de protections menstruelles jetables. L'influenceuse s'est pourtant fait connaître par ses engagements écoresponsables.  Or la marque partenaire, Nana, est depuis longtemps pointée du doigt parce qu'elle refuse de communiquer "en toute transparence" sur la composition de ses produits.

"Tandis que les fabricants refusent encore de donner la composition de leurs tampons malgré une pétition signée par plus de 300 000 personnes ("Rendre visible la composition des tampons", pétition en ligne aujourd’hui fermée, ndlr), alors qu’on y a trouvé de la dioxine, du glyphosate et autres résidus toxiques susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens, cette industrie n’a pas jugé bon de mener des études approfondies et transparentes sur l’impact de leurs produits pour la santé des femmes.", nous confiait l'écrivaine et militante Elise Thiebaut, autrice de Ceci est mon sang, dans un article consacré au syndrome du choc toxique (ou SCT, déclenché par le port d'un tampon hygiénique) en janvier 2020. 

Notre article >Tampons, coupes menstruelles et choc toxique : la mort d'une adolescente en Belgique relance le débat
 

Malgré les critiques, la campagne lancée par Louise continue de fédérer. Son post a recueilli près d'un million de "J'aime". "Je suis tellement fière de vous, je ne m’attendais pas à ça. Ça me touche vraiment", réagit la jeune femme, qui ajoute qu'elle ira elle-même collecter les protections hygiéniques en fonction du nombre de partages pour ensuite les reverser à l’association. "C'était Nana comme ç'aurait pu être d'autres marques", précise encore la jeune militante dans sa vidéo, "l'objectif était de récolter et de distribuer le plus de protections possibles. (...) J'aimerais que des marques bio puissent reverser autant de protections, mais dans les faits, ce n'est pas le cas".
 

"Mais pourquoi Nana ne distribuerait-elle pas sans ces repartages ? Je ne comprends pas... Les bonnes actions peuvent se faire sans publicité non ?" réagit une instagrammeuse sur le compte de "MySelfBetter". D'autres lui viennent aussi en soutien, dénonçant les réactions de haine qu'elle a reçues sur les réseaux sociaux.

Une aide plus que nécessaire sur le terrain

Pour Nadège Passereau, déléguée générale de l'association Agir pour la santé des femmes, jointe par Terriennes, "Depuis 2014, nos équipes mobiles ont toujours distribué des serviettes hygiéniques, parce que c'est un produit que les femmes ont très vite demandé. Cette mobilisation (de "MySelfBetter", ndlr), finalement, elle permet de dire que ce produit d'hygiène est un produit de première nécessité. C'est le fruit de cette prise de conscience".
 

kit
Un kit d'hygiène d'ADSF comprend des serviettes hygiéniques, des rasoirs, du produit pour la toilette intime, une brosse à dent, du dentifrice, du déodorant et des masques anti-Covid. 
©ADSF
 
La précarité menstruelle a un impact direct sur la santé des femmes. Une mauvaise hygiène intime des femmes qui ne peuvent accéder à ces produits peut entraîner une dégradation de leur santé physique, et il y a forcément des conséquences.
Nadège Passereau, association ADSF
"Hormis les critiques, nous, nous tenons à souligner qu'il s'agit d'une urgence. Nous saluons le fait que ce problème-là fasse partie des sujets dont on parle", ajoute Nadège Passereau, "La précarité menstruelle a un impact direct sur la santé des femmes. Une mauvaise hygiène intime des femmes qui ne peuvent accéder à ces produits peut entraîner une dégradation de leur santé physique, et il y a forcément des conséquences". L'association travaille avec l'aide de deux partenaires, "Nana" et "Marguerite et Compagnie"(marque qui propose des protections bio, ndlr), qui lui fournissent des protections tout au long de l'année.

"Nous sommes des humanitaires ; je me garderais bien de donner un avis quelconque, le mieux qu'on puisse faire, c'est de le faire le mieux possible, nous sommes dans une urgence humanitaire", lance-t-elle. Par an, ADSF distribue près de 28 000 paquets de serviettes en Ile-de-France et sur la région de Lille. Et la militante de conclure : "Ce produit devrait être accessible au même titre que le papier toilette !"