Précarité menstruelle : les chiffres en Europe

Prix élevés, situation de précarité... Chaque mois, des millions d'Européennes ont du mal à payer leurs protections périodiques. Cette pauvreté menstruelle constitue "une violation directe de l'égalité, de la dignité et du droit à la santé", s'insurgent des élues européennes à l'origine d'une récente enquête à ce sujet.

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Précarité menstruelle

Campagne de l'association Règles élémentaires sur les réseaux sociaux : parmi les millions de personnes en situation de précarité menstruelle en Europe, certaines sont parfois contraintes à utiliser du papier toilette comme protection faute de ressources suffisantes. 

Capture d'écrant compte Instagram @regleselementaires
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"La précarité menstruelle est une violation directe de l'égalité, de la dignité et du droit à la santé. En Belgique et dans toute l'Europe, des millions de femmes sont confrontées à des obstacles importants pour accéder à des produits sûrs, ses informations adéquates et des installations sanitaires appropriées qui respectent leurs besoins - commente Saskia Bricmont en préambule au rapport sur la précarité menstruelle en Europe publié début juin 2025.

Cette réalité, longtemps rendue invisible, n'est plus tolérable. La lutte contre la pauvreté menstruelle est un impératif démocratique. Saskia Bricmont, députée européenne belge

"Cette réalité, longtemps rendue invisible, n'est plus tolérable. La lutte contre la pauvreté menstruelle est un impératif démocratique. Cela signifie garantir que chaque femme puisse vivre son expérience corporelle sans honte, sans risques et sans barrières. Cela signifie reconnaître que les droits à la santé, à l'éducation et à la dignité doivent s'appliquer universellement et sans exception", ajoute l'eurodéputée de Belgique.

Saskia Bricmont, Mélissa Camara (députée européenne française) et Diana Riba Giner (Espagne) sont les trois élues qui ont diligenté cette large enquête inédite en Europe. "En tant que membres du Parlement européen engagées en faveur de l'égalité des sexes, de la justice sociale et des droits fondamentaux, nous sommes déterminées à porter cette question au premier plan de l'agenda politique européen", écrivent les élues en préambule du rapport réalisé par les chercheuses Maria Carmen Punzi, Nicole Spohr, et Justine Okolodkof à la coordination.

Précarité menstruelle : un sujet politique

"La pauvreté menstruelle n'est pas un problème marginal, privé ou individuel. Elle est profondément politique. C'est un symptôme visible d'inégalités systémiques qui doivent être remises en question
et démantelées", ajoutent les eurodéputées. Comme elles ont pu le constater, cette enquête met en évidence l'ampleur des inégalités dans l'accès aux produits menstruels, à l'éducation et aux installations appropriées. Le rapport montre la persistance des tabous et des discriminations qui entourent les menstruations, même au sein des politiques publiques. Les rapporteuses tiennent néanmoins à saluer l'existence d'initiatives positives, "qu'il est nécessaire et possible de développer à l'échelle de l'Europe".

Le prix à payer

Le coût des produits d’hygiène menstruelle peut représenter jusqu’à 27 000 euros au cours de la vie d’une femme. La précarité menstruelle, en grande partie due à des facteurs économiques, touche des millions de personnes à travers l’Union, en particulier les jeunes femmes. 

Si la résolution du Parlement européen du 24 juin 2021 sur la situation concernant la santé et les droits génésiques et sexuels dans l’Union a encouragé les États membres à réduire la TVA sur les produits d’hygiène menstruelle, cette action a été entravée par l’inflation générale. La hausse des prix a compensé la réduction fiscale. "Il est important de rappeler que la précarité menstruelle peut avoir de graves conséquences sur la santé physique et mentale", rappelait en mars dernier la Commission européenne, interpellée à ce sujet. 

France : la pauvreté menstruelle a doublé en deux ans

En Grèce, 20% des femmes n'ont pas les moyens d'acheter les produits menstruels, selon le ministère grec de la Santé, un chiffre qui peut monter à plus de 22%. 39,9 % des Espagnoles menstruées expliquent qu'elles sont obligées de recourir à des produits de substitution moins chers.

Une enquête belge a indiqué que 30 % des personnes interrogées, en particulier les chômeuses, les étudiantes et les personnes travaillant à temps partiel, rencontraient fréquemment des difficultés financières pour acheter des produits menstruels. En France, la pauvreté menstruelle a doublé en deux ans, touchant 31% des femmes menstruées âgées de 18 à 50 ans en 2023 - soit près de 4 millions de personnes - contre 2 millions en 2021. 

En Irlande, une enquête menée en 2017 par Plan International auprès de 1 100 filles âgées de 12 à 19 ans a révélé que 50 % d'entre elles connaissaient occasionnellement la pauvreté menstruelle.

Un risque de pauvreté menstruelle partout en Europe

Aucune statistique étayée par une étude n'était disponible pour la Bulgarie, Chypre, le Danemark, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, la Roumanie, Slovaquie, la Slovénie et la Suède. 

Dans certains cas, il s'agit d'estimations basées sur les données nationales disponibles. Par exemple, en Lituanie, les données sur la pauvreté suggèrent qu'au moins 300 000 femmes (10,7 %) ont probablement des difficultés à obtenir des produits menstruels de qualité. En Slovénie, on estime que plus de 54 000 femmes pourraient être exposées au risque de pauvreté menstruelle, sur la base d'un taux de risque de 12,1 % en 2022. En Roumanie, les estimations indiquent qu'environ un million de filles et de femmes luttent chaque jour contre la pauvreté menstruelle.

Le rapport cite des articles de presse ayant fourni leurs propres estimations. En République tchèque, environ 10,2% de la population menstruée - soit 265 200 personnes, précise le rapport - risquent de connaître la pauvreté menstruelle, d'après les données nationales sur le risque de pauvreté. Au Danemark, environ 12,1% de la population menstruée est confrontée au même risque. La Slovénie suit avec environ 13,2 %. À Chypre, on estime qu'environ 40 589 femmes (14 %) sont exposées au risque, tandis que la Slovaquie compte environ 231 770 femmes (14,3 %) touchées. 

En Suède, environ 388 000 femmes menstruées, soit 14,8 %, sont considérées comme exposées au risque. Les chiffres de Malte suggèrent qu'environ 18 229 femmes (16,6 %) sont confrontées à la pauvreté menstruelle, et au Luxembourg, malgré une population plus faible, 24 696 femmes (18,8 %) sont susceptibles d'être affectées. En Lituanie, on estime que 133 228 femmes (20 %) sont exposées à ce risque. En Bulgarie, ce nombre s'élève à 332 744 femmes (20,6 %), tandis que la Roumanie enregistre l'un des chiffres les plus élevés, avec 1 179 198 femmes (21,1 %) touchées. La Lettonie affiche le pourcentage le plus élevé, avec 113 347 femmes - 21,6 % de la population menstruée - exposées au risque de pauvreté menstruelle.

Stratégies d'adaptation

La charge financière que représente l'achat de produits menstruels reste un défi important pour de nombreuses personnes à travers l'Europe, avec des conséquences qui vont au-delà des difficultés économiques pour la santé physique et mentale. 

En France, où la pauvreté menstruelle touche environ 4 millions de femmes, certaines se retrouvent obligées de choisir entre l'achat de produits menstruels et des besoins essentiels tels que la nourriture. Des femmes sont obligées de renoncer totalement aux produits menstruels, tandis que d'autres sacrifient des repas pour pouvoir se les offrir.

"Ma pilule contraceptive est remboursée. Lorsque je n'ai pas d'argent pour acheter des serviettes hygiéniques, je prends la pilule tout au long du mois pour éviter les saignements parce que j'obtiendrai ce remboursement", rapporte un témoignage. 

Des luttes similaires existent dans toute l'Europe. En Hongrie, certaines personnes utilisent des matériaux tels que des T-shirts en coton, des survêtements usés, des couches usagées, des chaussettes ou des chiffons, souvent sans accès à des installations de lavage adéquates, ce qui augmente le risque d'infections et d'autres complications de santé. 

En Suède, 71% des jeunes (âgés de 16 à 21 ans) ont utilisé des solutions de fortune, comme du papier toilette ou du tissu, pour se protéger parce qu'elles n'avaient pas accès à des produits menstruels, tandis que 11% ont manqué l'école, l'entraînement sportif ou des activités de loisirs à un moment ou à un autre pour la même raison. En outre, 66% des personnes interrogées ont utilisé des produits menstruels pendant des périodes prolongées, entraînant des fuites parce qu'elles ne pouvaient pas se changer à temps.

Retrouvez notre dossier complet > Menstrues, règles, périodes, ménorrhée, le sang des femmes dans tous ses états

Précarité menstruelle, précarité scolaire

En Grèce, certaines élèves manquent jusqu'à trente jours d'école par an en raison d'un manque d'accès aux produits menstruels, et plus de 10 000 filles ont manqué l'école au moins une fois parce qu'elles ne pouvaient pas se permettre d'acheter ces produits. 

Au Portugal, 12% des filles déclarent manquer l'école pour la même raison, plus de la moitié d'entre elles invoquant la maladie comme excuse. Les enseignants jouent un rôle crucial, 34,5% d'entre eux fournissant personnellement des produits menstruels aux élèves dans le besoin et 18,2% déclarant que les parents leur ont confié qu'ils n'avaient pas les moyens d'acheter ces produits.

Je n'ai pas pu trouver de produits menstruels dans les toilettes de mon école. Le papier hygiénique était trop fin pour que je puisse simplement l'utiliser comme pour les remplacer. Témoignage

"Il y a eu une situation dans laquelle je n'ai pas pu trouver de produits menstruels dans les toilettes
de mon école. Le papier hygiénique était trop fin pour que je puisse simplement l'utiliser comme pour les remplacer. J'ai donc dû rentrer plus tôt à la maison", témoigne une autre.

(Re)lire Avoir ses règles à l'école, une source de stress et d'inégalités pour les filles

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Règles et tabou

A cela s'ajoute un tabou persistant dans les mentalités, en particulier dans le milieu scolaire. "Dans l'internat, les garçons cherchaient des serviettes hygiéniques usagées dans les toilettes communes pour se moquer de leurs amies : [...] les filles qui avaient leurs règles, par exemple, jetaient leurs serviettes usagées dans la poubelle, et certains garçons les ramassaient pour les déposer près de cette fille, sur la porte de la chambre, et tout l'internat se moquait d'elle, parce que c'était très drôle pour eux", raconte une jeune femme. 

En Autriche par exemple, 95 % des filles et des femmes interrogées ont déclaré que les taches de sang visibles provoquaient une détresse importante, tandis que 27 % se sentaient malpropres pendant leurs règles. Cependant, 40 % ont déclaré qu'elles ne veulent plus avoir honte de leurs menstruations. 

En Belgique, 31% des personnes interrogées ont déjà perçu les menstruations comme un tabou au sein de leur famille. De nombreuses participantes ont déclaré avoir caché des produits menstruels, avoir été ridiculisées en raison de fuites, ou avoir été discréditées pour avoir exprimé leurs émotions.

Une étude espagnole a révélé que la majorité des femmes et des personnes ayant leurs règles (83,3 %) craignaient de tacher leurs vêtements de sang menstruel en public, tandis que 58,5 % avaient caché leurs règles, 44,5 % avaient été victimes de discrimination ou de jugement en raison de leurs règles, et 19,2 % se sentaient gênées d'en parler. En Italie, plus de 40 % des personnes interrogées ne se sentent jamais ou rarement à l'aise pour prononcer les mots "menstruation" et "cycle menstruel". 

L'Allemagne fait également état d'une stigmatisation généralisée : 97 % des femmes interrogées jugeant déplaisantes les taches de sang visibles sur les vêtements, la literie ou les toilettes. En outre, une femme sur dix a déclaré être mal à l'aise à l'idée même de parler de menstruation.

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[traduction : Tout cet article prouve l'ampleur du déni total de la réalité. Ici, les règles, une expérience physique féminine tout à fait normale, sont stigmatisées, à tel point que cela ne peut même plus être nommé, qu'elles s'enferment dans une "chambre noire" et qu'elles ont honte de devoir annuler des sorties de natation. ]

Protections et gratuité ?

La plupart des initiatives observées par les chercheuses dans le cadre de cette enquête se concentrent sur la distribution gratuite de produits menstruels.

Exemple en Roumanie, où une marque de produits hygiéniques en coton biologique s'est associée à la Croix-Rouge pour distribuer gratuitement des produits menstruels aux victimes d'abus, aux mères célibataires, aux adolescentes orphelines et aux veuves. Les bénévoles de la Croix-Rouge assurent la distribution directe aux personnes les plus nécessiteuses. En Pologne, la Fondation Różowa Skrzyneczka fournit des produits menstruels depuis 2022 aux réfugiés d'Ukraine et de Biélorussie, soutenant ainsi 15 000 femmes grâce à un partenariat avec CARE Polska et 32 organisations.

L'Espagne va plus loin, notamment la Catalogne, qui a mis en œuvre une politique globale d'équité menstruelle et de (péri)ménopause. En 2023, la région a lancé un plan pionnier visant à garantir l'accès gratuit à des produits menstruels réutilisables à toutes les femmes, les personnes non binaires et les hommes trans qui ont leurs règles. 

L'UE a collaboré avec la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que les sections nationales de la Croix-Rouge, pour fournir gratuitement des produits menstruels aux populations mal desservies. Ces initiatives se concentrent sur le soutien aux réfugiés et aux demandeurs d'asile dans les États membres de l'UE. Dans des pays comme l'Espagne, les organisations de la Croix-Rouge distribuent des kits menstruels aux femmes sans domicile fixe. 

En France, l'association Règles élémentaires mène ce genre d'action déjà depuis plusieurs années. 

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