Précarité menstruelle : un fléau au Brésil, mais pas une priorité pour le président Bolsonaro

Au Brésil, des millions de femmes n'ont pas les moyens de s'acheter des protections menstruelles. Longtemps restée tabou, la précarité menstruelle s'invite aujourd'hui dans le débat public, depuis que la  loi prévoyant la distribution de serviettes gratuites aux plus démunies n'a pu aboutir. En cause : le président Jair Bolsonaro qui a imposé son veto, provoquant un tollé dans le pays.  

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Illustration du collectif féministe Coletivo aBertha contre la précarité menstruelle
Illustration publiée sur Instagram par le collectif féministe Coletivo aBertha contre la précarité menstruelle.
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Comme des millions de Brésiliennes, Vanessa Moraes, 39 ans, ne peut pas s'acheter de produits d'hygiène intime, par manque de moyens. "Les serviettes hygiéniques sont trop chères, alors je finis par utiliser des couches ou des chutes de tissus", confie cette habitante du Complexo do Alemao, une des plus grandes favelas de Rio de Janeiro. Avec deux enfants de 11 et 12 ans à charge, cette femme noire aux longs cheveux châtains peine à joindre les deux bouts, même en cumulant son emploi de serveuse avec celui de conductrice de transport scolaire.

Quand une couche de mon fils se déchire, je la transforme en serviette hygiénique.

Vanessa Moraes, 39 ans

Son aîné, Hugo, est atteint de paralysie cérébrale et doit porter des couches culottes. Mais dès que l'attache d'une couche se rompt, pas de gâchis, Vanessa la transforme en serviette hygiénique de fortune, la rembourrant parfois avec un morceau de tissu. "Quand une couche de mon fils se déchire, je la transforme en serviette hygiénique​. Il faut bien se débrouiller", soupire-t-elle.

28% des Brésiliennes en précarité menstruelle

Une étude publiée en septembre par la marque de produits hygiéniques "Sempre Livre" indique que 28% des femmes brésiliennes aux faibles revenus, plus d'une sur quatre, souffrent de "précarité menstruelle", à savoir des difficultés pour se procurer des serviettes ou tampons pendant leurs règles. 

Selon l'antenne brésilienne de Girl Up, ONG fondée par l'ONU en 2010, une adolescente sur quatre dans le pays doit s'absenter de l'école plusieurs jours par mois, n'étant "pas en mesure d'avoir ses règles avec dignité". D’après un rapport de l’Unicef sur la pauvreté menstruelle au Brésil, 713 000 jeunes filles n’ont pas de toilettes ou de douches chez elles et plus de quatre millions n’ont pas accès à l’hygiène nécessaire dans les écoles.

Sur Instagram, Girl Up, qui espérait l'adoption de la loi 4968/2019 après son approbation au Sénat, réagissait au veto du président Bolsonaro et appelait à la mobilisation pour l'annulation du veto : "Les élèves du secteur public, les femmes en situation de vulnérabilité ou dans le système carcéral, ainsi que les jeunes  les mesures socio-éducatives, continuent de voir leur droit à la dignité menstruelle bafoué ! Alors faisons beaucoup de bruit pour que le Congrès arrête le veto. Pour que tout le monde soit #LivreParaMenstruar (libre d'avoir ses règles) !

Un paquet pour deux

Vanessa Moraes reçoit parfois des serviettes hygiéniques de la part de l'ONG "One by One", qui vient en aide aux familles ayant des enfants handicapés et fournit à ses bénéficiaires des fauteuils roulants ou des paniers repas.

Parfois, on a un paquet pour deux, voire pas de paquet du tout. Dans ce cas, je ne vais même pas à l'école.
Karla Cristina de Almeida, 15 ans

L'une d'elles est Karla Cristina de Almeida, adolescente noire de 15 ans, qui vit à Maré, une autre grande favela du nord de Rio. Elle doit souvent partager le paquet qu'elle reçoit avec sa soeur. "Parfois, on a un paquet pour deux, voire pas de paquet du tout. Dans ce cas, je ne vais même pas à l'école, j'ai déjà raté des cours à cause de ça", admet-elle.

Autre bénéficiaire, Miriam Firmino, 51 ans, a été contrainte d'utiliser des bouts de tissus à maintes reprises lors de ses règles depuis son adolescence, mais compte aujourd'hui sur des dons pour éviter que ses trois filles aient le même problème. "Pour pouvoir acheter des serviettes hygiéniques, ils faut qu'elles soient en promo. Quand on n'a pas les moyens d'en acheter tous les mois, on fait comme on peut avec ce qu'on a", dit-elle.

Brésil Femmes précaritéDes femmes font la queue pour obtenir de la nourriture donnée par l'organisation Covid Without Hunger dans le bidonville de Jardim Gramacho à Rio de Janeiro, au Brésil, samedi 22 mai 2021. La chute des revenus s'accompagne d'une fla
Distribution de produits alimentaires par l'organisation Covid Without Hunger dans le bidonville de Jardim Gramacho à Rio de Janeiro, au Brésil, le 22 mai 2021. 
©AP Photo/Silvia Izquierdo

Enjeu de santé publique

Avec la pandémie de coronavirus, la précarité des familles n'a fait qu'augmenter. "À cause de la crise économique, beaucoup de femmes nous ont dit qu'elles avaient recommencé à utiliser des chutes de tissu, du coton, de la mie de pain, du papier ou autres quand elles avaient leurs règles", déplore Teresa Stengel, présidente de l'association One by One. "Nous avons vu des cas d'infections. La précarité menstruelle est un problème de santé publique", alerte-t-elle.

Véto présidentiel et tollé

Un projet de loi prévoyait justement la distribution gratuite de produits d'hygiène intime à plus de 5 millions de femmes - sur les 60 millions de Brésiliennes en âge d'avoir leurs règles - notamment des élèves issues de quartiers populaires et des détenues. Mais le président Bolsonaro a opposé son veto : selon lui, le texte ne précisait pas de source de financement et le contraindrait à "retirer des fonds du budget de la Santé ou de l'Education".

Bolsonaro a montré toute sa misogynie avec ce veto.
Marilia Arraes, députée Parti des travailleurs

Cette décision a déclenché une levée de boucliers, avec des réactions de nombreuses célébrités comme Preta Gil, fille du chanteur Gilberto Gil. "Dans quel siècle vivons-nous? Pourquoi nous devons nous battre pour des choses évidentes ? On nous manque encore de respect. La précarité menstruelle est une réalité depuis des années dans notre pays", écrit-elle sur Instagram. Marilia Arraes, elle, députée de gauche et à l'origine du projet de loi espère pouvoir faire annuler le veto présidentiel au Parlement : "Bolsonaro a montré toute sa misogynie avec ce veto. On ne peut pas se taire, on parle de la dignité de milliers de femmes", a-t-elle réagi.

Des distributions de protections périodiques gratuites aux sans-abri et aux personnes vulnérables ont eu lieu un peu partout dans le pays. Ainsi Collectifs féministes, groupes politiques ou organisations religieuses caritatives ont-ils répondu au veto du président Jair Bolsonaro. Des municipalités ont décidé de mettre en place des mesures similaires localement. C'est le cas à Rio, avec un programme de distribution de 8 millions de serviettes hygiéniques par an à plus de 100 000 élèves d'écoles municipales.