Premières au Proche Orient, les Libanaises s'emparent du ballon rond

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Premières au Proche Orient, les Libanaises s'emparent du ballon rond
Sur le terrain de sport du club de Najmeh à Raouché, Beyrouth, les unes sont voilées, les autres pas... Cliquer sur les images pour les agrandir
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Elles étaient 20 inscrites dès l'ouverture en 2011, à Beyrouth. Elles ont plus que doublé leurs effectifs aujourd’hui. La Girls Football Academy (GFA – l’académie féminine de football) destinée à pallier le manque de moyens mis dans l'entraînement féminin des clubs de football mixtes, à offrir aux passionnées de tout âge et de tout niveau un endroit où s'améliorer, mais surtout s'amuser, compte désormais 50 "encartées". Et la GFA se s'affiche aujourd'hui en tête de classement des compétitions nationales, s'imposant ainsi comme figure incontournable du football local.
« Là, on est prêtes pour de nouvelles compétitions ! », s'exclame Walid Arakji, l'enthousiaste co-fondateur de la Girls Football Academy (GFA), avant de se rattraper : « Je ne sais pas pourquoi je féminise tout comme ça, l'habitude sans doute ». A force d'entraîner des jeunes femmes au football, il y a de quoi se perdre dans le genre utilisé, ce qui ne dérange absolument pas ce trentenaire qui répartit son temps entre les entraînements de football et son entreprise personnelle. Après 26 ans à jouer en France dans le club de Juvisy (au Sud de Paris), il s'installe au Liban en 2006 et commence très vite à intégrer des clubs en tant qu’entraineur. « J'étais habitué à voir des filles jouer à un très haut niveau. A mes débuts libanais, j'ai vite été déçu de voir le peu de moyens alloué aux équipes féminines, et surtout frustré car je ne pouvais pas travailler dans de bonnes conditions quand je ne m'occupais pas des garçons », explique-t-il.

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Nadia Assaf et Walid Arakji, à l'entrainement
Sa rencontre avec Nadia Assaf devant un café va changer la donne. La jeune femme de 26 ans joue dans l'équipe nationale après avoir fréquenté auparavant les clubs Al-Ansar et Atletico, voilà déjà huit ans. La tête et les jambes : cette surdouée est dotée d'une licence de l'Université Américaine de Beyrouth (AUB), et d'un master en développement des sports et éducations sportive de l'Université de Bath en Angleterre.

Pionnières

Ayant toujours vécu au Liban, la footballeuse est énervée par le manque de considération accordé aux femmes dans l'univers du football : « Nous sommes en général mises de côté, nous n'avons accès ni à l'équipement ni au temps nécessaire sur le terrain pour progresser, comme si nous étions des choses à côté », regrette Nadia. Cette constatation commune les a poussés à fonder une académie de football exclusivement pour les filles, première du genre dans la région.

Pour la sportive, la GFA est un moyen de « se débarrasser du sexisme sur le terrain ». Un sexisme qui n'est pas typiquement libanais, comme tient à le rappeler Walid : « Une femme qui joue au football va rencontrer, sauf aux États-Unis et en Norvège où culturellement c'est un sport de filles, des difficultés partout, et particulièrement dans les pays latins. Le Liban est à la traîne mais à la GFA on a de tout, de la fille qui se cache de ses parents pour jouer, au père super enthousiaste qui vient l'encourager ». De son côté, Nadia estime que « sur le terrain, les femmes sont respectées par les footballeurs, mais dès qu'elles en sortent c'est plus dur ». « Si la Fédération s'y intéressait et mettait de l'argent dans le football féminin, cela attirerait les sponsors, l'argent, l'intérêt du public », s'insurge-t-elle. « Au final, les problèmes du Liban viennent du manque d'éducation et du complexe d'infériorité de genre. »

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Khadije, gardienne de buts de l'équipe senior
Le chemin du succès

Il a fallu beaucoup de travail à Nadia et Walid pour arriver à lancer la GFA au Liban. Après cinq mois sur un terrain excentré de Beyrouth, ils ont réussi à louer les terrains du club Nejmeh, situé au bord de la mer à l'Ouest de la capitale. « Les terrains sont chers, donc nous demandons des participations mensuelles aux filles », détaille Walid. Avec 120 dollars par mois pour les moins de 18 ans et 35 dollars pour les autres, le football féminin n'est pas accessible à toutes les bourses. Pour compenser, ils font appel à des sponsors qui financent l'équipement et les frais de fonctionnement, et les quatre entraîneurs sont bénévoles. Des hommes pour l'instant car « toutes les joueuses capables d'entraîner participent déjà aux compétitions ». La priorité est pour l'instant mise sur le jeu, mais quelques jeunes se préparent à passer le diplôme d'entraineur.

“Casser les barrières entre les hommes et les femmes“

30.01.2014propos recueillis via skype par Sylvie Braibant
Pour l'entraineur Walid Arakji, le succès a pointé son nez lorsque le père de l'une des joueuses, réticent à approuver sa fille, s'est mis à recruter des coéquipières à tour de bras.
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La GFA compte deux équipes : une senior, et une junior qui n'est pas très homogène au vu de la diversité des âges et des niveaux (10 ont moins de 13 ans et une quinzaine moins de 16), mais les catégories sont flexibles selon les compétitions. « Nous avons une cinquantaine de filles entre 8 et 35 ans », explique l’entraineur. « Nous essayons d'amener les jeunes à l'étranger, comme en Espagne ou en Norvège, pour qu'elles se mesurent à des niveaux différents, mais nous travaillons beaucoup avec elles afin de pouvoir constituer une équipe senior d’un très bon niveau d'ici quelques années. » Les seniors ont réussi en seulement deux ans à s'imposer comme une source importante de talents en équipe nationale, après avoir remporté la seconde place en première division deux saisons d'affilée. En juin dernier, la Fédération de football libanaise a choisi 11 joueuses de la GFA pour participer aux qualifications de la coupe d'Asie. Nadia rêve d'ailleurs qu' « à terme, l'équipe nationale féminine soit constituée en majorité de joueuses du club, ce qui nous rapprocherait du niveau international ». Un rêve qui leur permettrait d'aller plus loin que l'équipe masculine, peu présente dans les compétitions internationales.

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La GFA, une famille basée sur le respect

Pour arriver à ces résultats, il a fallu un règlement solide. « Ici, il y a un sérieux problème d'éducation », rapporte Walid. « Notre première mission est que les filles s'amusent, mais elles peuvent le faire tout en respectant leurs entraîneurs et coéquipières ! Nous les encadrons donc au maximum, tout en partageant de grands moments de rire ! » Sur le terrain, les filles semblent en effet concentrées mais n'hésitent pas à se taquiner pour une balle manquée, ou à gentiment rabrouer Walid, venu les déconcentrer lors de leur entraînement avec un autre.

Ici, pas question de parler politique ou religion, ce qui les démarque de l'ambiance libanaise habituelle. « On est tous là pour jouer au foot », souligne-t-il. Il n'existe pas de discrimination liée à l'origine, à la pratique religieuse ou au niveau. « Tant qu'une fille est capable de courir après un ballon, notre porte est ouverte ! »

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Serena Sleiman, 14 ans, qualifie la GFA de « grande famille ». « C'est ma troisième année avec eux, avant je jouais avec les garçons mais ici je m'améliore vraiment », raconte-t-elle. « Les gens sont surpris de savoir que je joue au football, mais quand ils voient que je joue bien, ils m'encouragent. » Une expérience partagée par Khadije, dite DJ par son équipe : « J'ai toujours aime ce sport, et quand j'ai appris qu'il existait un club spécialement pour les filles, je n'osais pas y croire. Enfin des gens comme moi ! La GFA est vraiment une grande famille, l'équipe est très amicale et accueillante, tout le monde est traité équitablement... C'est une mentalité agréable, même pour les gens de l'extérieur ».

La gardienne de buts de l'équipe senior estime que l'esprit des joueuses sur le terrain, en plus de leurs succès lors des compétitions, aide à changer les mentalités. « J'ai la chance d'être soutenue par ma famille, d'autres sont venues dans le dos de leurs parents... Il y a une domination de la culture des hommes au Liban, mais de plus en plus de garçons viennent nous applaudir, donc il y a de l'espoir », s'enthousiasme-t-elle. « Je pense qu'avec le temps nous aiderons à changer les mentalités, il faut bien commencer quelque part. »

Ce pragmatisme a conquis Walid : « Plus la GFA est médiatisée, plus les gens s'habituent à voir des filles jouer, car ils réalisent que c'est normal ». Au-delà des compétitions, la GFA espère inscrire son club dans une lignée internationale de lutte contre le sexisme, au travers d'un séminaire de tournois et d'ateliers basés sur les droits des femmes, qui devrait avoir lieu courant 2014 si le club reçoit le budget nécessaire.

Nulle doute que l'expérience fera des émules au Moyen Orient. Déjà la Jordanie voisine, prenant modèle sur l'expérience libanaise, a fondé à son tour son académie de foot pour les filles...
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Le foot féminin plus télégénique ?

D’après certains spécialistes, en l'absence de gros enjeux pécuniaires, le foot féminin a des qualités que le foot masculin n’a plus : la passion du jeu, l’envie de s’amuser, comme en témoigne la dernière coupe du Monde, emportée par les Japonaises en 2011. Ne pas juste se contenter de retenir la balle pour éviter d'encaisser un but. "Tout cela rend le football féminin attractif et télégénique. Les diffuseurs commencent à s’en apercevoir," affirme la réalisatrice.

Le football un sport d'homme ?

Le football s’est construit comme un sport d’homme. Sur le foot se sont greffées toutes les identités de genre masculin : l'endurance physique, les muscles saillants, le spectacle devant un public, dans un stade ouvert avec des joueurs érigés au rang de quasi demi-dieu... Toute cette rhétorique masculiniste fait que les femmes n'ont pas leur place sur le terrain.
Exception à la règle, les États-Unis. Dans ce pays, le "soccer", tel qu'ils l'appellent, est considéré comme un sport de femme. Les vrais "mecs", eux, jouent au football… américain.
Le football un sport d'homme ?
La gardienne de l'équipe de football féminin des Etats-Unis, Hope Solo © AFP