Présence des femmes dans l'audiovisuel français : des progrès mais peut mieux faire

Si les expertes et les présentatrices sont plus nombreuses à l'écran, les femmes restent trop rares au micro et à l'écran dès qu'il s'agit de sport ou de politique. Davantage présentes dans le paysage audiovisuel français en 2022, elles disposent pourtant d'un temps de parole bien moindre. Voici quelques conclusions du rapport 2022 sur la place des femmes dans les médias. Laurence Pécaut-Rivolier, juriste et spécialiste de la diversité, commente ces résultats pour Terriennes. 

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Arcom illustration rapport parité médais
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parole antenne femmes
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Le travail sur l'égalité entre les femmes et les hommes passe aussi par la représentation que les médias en font. S'assurer que "ce qui est reflété par les radios et les télévisions soit en lien avec la représentation de la société française, que les médias donne une image réaliste et réelle de la société française, explique Laurence Pécaut-Rivolier, c'est l'une des missions essentielles de l'Arcom." 

"Il est tout simplement inacceptable que les femmes qui représentent plus de 52% de la population française ne soit pas représentées de manière paritaire", renchérit Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, lors de la présentation de son rapport 2022 sur la représentation des femmes dans les médias, en présence de la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, Isabelle Lonvis-Rome, et la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak.

arcom ministres
De gauche à droite face au public lors de la présentation du rapport de l'Arcom, le 6 mars 2022 à Paris : Isabelle Pécaut-Rivolier, Rima Abdul Malak, ministre de la Culture ; Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom ; Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, Isabelle Lonvis-Rome.
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​Huit ans de progression constante

La proportion de femmes visibles ou audibles sur les chaînes de télévisions et radios a progressé en 2022 par rapport à l'année précédente : elle est désormais de 44% en moyenne – 46% à la télévision, 42% à la radio, toutes catégories confondues.

"Depuis la première édition de ce rapport, c'est-à-dire huit ans maintenant, les chiffres augmentent chaque année. C'est-à-dire que nous sommes vraiment dans un système de progression constante," se félicite Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom et présidente du Groupe de travail sur la diversité et la protection des publics dans les médiasIl y a toujours un moment où on peut craindre d'arriver à un plateau. On était à 43 % de présence des femmes en 2011 ; on est maintenant à 44 %. Le but serait 51 % pour être à l'égal des chiffres démographiques. Mais nous n'en sommes plus si loin..."

L'Arcom n'espérait pas bouleverser l'ordre des choses du jour au lendemain. Laurence Pécaut-Rivolier explique que cela n'aurait même pas été souhaitable pour assurer la perennité du système : "Il faut mettre en place des mécanismes, modifier les formations, les recrutements, la mise à l'écran..."

Mieux représentées, mais pas mieux entendues

Toujours plus présentes à l'antenne ou au micro, les femmes ne sont, en revanche, pas plus entendues : leur temps de parole, mesuré automatiquement par l’INA, stagne à 36 %, selon le rapport de l'Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l'Arcom, réalisé avec la participation de l'Institut national de l'audiovisuel, l'INA. "Nous avons travaillé avec l'INA qui a développé un outil algorithmique permettant de mesurer le temps de parole. C'est une donnée que nous n'avions pas les années précédentes, explique Laurence Pécaut-Rivolier. Nous avons donc essayé, au-delà des premiers chiffres, de faire un vrai travail sur une représentation des femmes qui soit conforme à ce qu'on attendrait d'une société égalitaire véhiculant nos valeurs."

Ce n'est pas pareil d'être présente statiquement devant un écran sans parler, que d'avoir un rôle d'experte, de sachante.
Laurence Pécaut-Rivolier

La présidente du Groupe de travail sur la diversité explique pourquoi il est important de ne pas en rester au pourcentage de présence des femmes au micro ou à l'antenne, et d'aller vérifier, derrière, le taux réel de prise de parole concrète des femmes dans les médias audiovisuels : "C'est dans les gènes de l'Arcom d'imaginer le plus d'indicateurs efficients pour pouvoir faire progresser les choses. Le temps de parole effectif est essentiel, car sinon, les leviers d'action que nous avons sur les médias consistent essentiellement à exploiter les données quantitatives et qualitatives sur la présence des femmes dans les émissions qu'ils nous fournissent. Puis à revenir vers eux pour travailler ensemble sur l'amélioration de la situation quand il y a lieu."

Laurence Pécaut-Rivolier arcom
Laurence Pécaut-Rivolier préside le groupe de travail "Protection des publics et diversité de la société française" de l'Arcom.
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Les limites de l'exercice

La présidente du Groupe de travail sur la diversité fait de ce constat sur le temps de parole des femmes l'un de ses chevaux de bataille et se promet d'interpeller les chaînes en ces termes : "Vous avez bien fait progresser le taux de présence, mais là il y a un décrochage au détriment des femmes, qui semble montrer que sur le plateau, pour une raison ou pour une autre, elles s'expriment moins. C'est là-dessus qu'il faut travailler maintenant".

La limite de l'intervention de l'Arcom, c'est qu'il ne peut pas être impliqué dans la manière dont les chaînes conçoivent leurs émissions, qui reste leur entière liberté. "Nous pouvons leur donner des objectifs, en convenir avec elles, attirer leur attention sur le fait qu'il y a certains soucis qui requièrent une attention particulière, explique Laurence Pécaut-Rivolier. Sachant que le temps parole n’est pas si facile à formuler en termes d'objectifs, on peut juste le poser sur la table et souligner qu’il faut que l'année prochaine, il se soit amélioré. Pour l’instant, à chaque fois que nous avons posé les problèmes sur la table avec les médias, on a réussi à faire émerger des solutions ensemble," précise-t-elle.

De fait, les médias audiovisuels, désormais très sensibilisés à la question de la parité à l'antenne et au micro, attendent les rapport de l'Arcom : "Ils leur donnent des indicateurs qui leur permettent d'évoluer et de faire évoluer leurs équipes, explique a présidente du Groupe de travail sur la diversité. Les chaînes sont motivées. Elles ont envie de progresser. De plus en plus d'événements sont en lien avec une évolution positive sur cette question des femmes et des hommes."

Médias publics, plus féminins ? 

En représentation, tout comme en temps de parole des femmes, les femmes sont mieux loties dans l'audiovisuel public que dans le privé – elles sont 47% contre 45% – et leur temps de parole y est nettement plus élevé – 42% contre 32%. "De toute évidence, le service public, que ce soit télévisuel ou radiophonique, a de l'avance et a pris des engagements plus forts d'emblée. Il a effectivement largement dépassé les 51 % dans certains domaines, notamment sur le taux d'expertes," confirme Laurence Pécaut-Rivolier.

Pourtant, certaines grandes chaînes privées, comme TF1, M6 ou Canal+, ont elles aussi pris des engagements très forts, de sorte que "sur les chaînes généralistes, le décalage entre chaînes privées et chaines publiques n'est pas si flagrant que ça, constate-t-elle. Mais sur les chaînes thématiques, il y a encore un gros travail à faire à partir du modèle économique et des profils des personnes qui payent pour accéder aux services."

femmes par chaînes

Expertes, spécialistes, sachantes

La présence des expertes en plateau et au micro augmente, elle, pour la septième année consécutive : en 2022, elles représentent 45% des spécialistes consultés à la radio et à la télévision. Avec une part d’expertes de 43 %, les radios ont réalisé des progrès notables en 2022. "C'était pour nous quelque chose d'essentiel d’évaluer le rôle que les femmes jouent à l'écran. Ce n'est pas pareil d'être présente statiquement devant un écran sans parler, que d'avoir un rôle d'experte", explique la présidente du Groupe de travail sur la diversité.

Les femmes sont désormais valorisées dans leur savoir et pas seulement dans leur présence.
Laurence Pécaut-Rivolier

Pour Laurence Pécaut-Rivolier, ces augmentations sont un élément fondamental  : "Non seulement les femmes sont maintenant présentes à l'écran de manière quasi paritaire, mais en plus, elles occupent une vraie place de connaisseuses, de sachantes. Elles sont désormais valorisées dans leur savoir et pas seulement dans leur présence.

En 2022, les expertes restent néanmoins minoritaires dans les trois domaines qui représentent plus de la moitié des sujets traités : international, société et culture/loisirs. Néanmoins, contrairement à 2021 où seule la thématique "justice" réunissait une majorité d’expertes, elles sont également majoritairement consultées en 2022 en matière d'éducation et de faits divers – thématiques qui ne représentent respectivement que 2 % et 0,3 % de l’ensemble des domaines déclarés.

Présentateurs et présentatrices à parité

De manière générale, la part des présentatrices a augmenté et la parité est désormais atteinte avec 50% de femmes à la présentation. En revanche, la proportion de femmes journalistes ou chroniqueuses a un peu reculé en un an à 42%. Elles sont davantage représentées à la radio qu’à la télévision. La parité en plateau est atteinte dans les magazines, télévisions et radios confondues.

Reste que les femmes sont moins présentes aux heures de forte audience à la télévision, entre 18 heures et 23 heures, alors qu’elles le sont plus à la radio, entre 6 heures et 9 heures par rapport au reste de la programmation.

horaire expo femme médias

Politique : la parole aux hommes

Contrairement aux autres catégories, les invitées politiques sont les seules à ne pas avoir décollé à l'antenne : les femmes représentent 32% des invitées politiques en 2022, comme en 2016. En cette année d'élections présidentielle et législatives, le temps de parole politique des femmes n'a pas progressé. Il a même été largement inférieur à celui des hommes, s'élevant à 29% en moyenne sur l'année, selon l'Arcom. 

Durant l’élection présidentielle, alors que le temps de parole des candidates correspondait à la proportion de candidatures féminines, soit un tiers, le temps de parole des soutiens était très majoritairement occupé par des hommes. Pendant le premier tour des élections législatives, la part de temps de parole des femmes se situait entre 24 % et 32 % selon le type de média. Les deux semaines précédant le premier tour de la présidentielle, les femmes n'ont représenté que 20% du temps de parole des soutiens aux candidats à l'Elysée, puis 18% durant l'entre-deux tours. 

Le temps de parole des femmes au sein du gouvernement, du 16 mai au 31 décembre 2022, était en moyenne de 36,7%
Arcom

"Malgré la nomination d'Elisabeth Borne au poste de Première ministre et la parité stricte mise en place au sein du nouveau gouvernement, le temps de parole des femmes au sein du gouvernement, du 16 mai au 31 décembre 2022, était en moyenne de 36,7%", relève l'Arcom. Enfin, au second semestre 2022, les femmes ne représentaient que 5 des
20 personnalités politiques les plus présentes dans les médias audiovisuels, hors Président de la République et Première ministre. En moyenne, les hommes figurant dans ce classement ont eu 20 % de temps de parole en plus que les femmes. Des progrès sont tout de même à constater puisque ce chiffre a évolué favorablement depuis 2017, lorsque les femmes ne représentaient que 3 des 20 personnalités politiques les plus présentes sur les antennes...
femmes dans les médias en politique
Laurence Pécaut-Rivolier durant la présentation du rapport de l'Arcom, à Paris, le 6 mars 2022. 
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Laurence Pécaut-Rivolier souligne que la responsabilité de ce déficit est partagée : "Il faut voir quel est le pourcentage de personnes politiques pouvant venir en plateau, en plus du pourcentage de femmes qui sont invitées." La représentation des femmes politiques dans les médias est, pour l'Arcom, un travail  sensible, car "en la matière, notre mission de diversité s'ajoute à notre mission de pluralisme. Il faut donc que tous les acteurs se mettent devant la table pour faire progresser les choses," précise la présidente du Groupe de travail sur la diversité.

Préjugés sexistes et violences faites aux femmes

48  %  des  sujets  déclarés  par  les  chaînes  d’information portaient sur les violences faites aux femmes. Plus  d’un  tiers  des  sujets  déclarés par les chaînes d’informations et plus de  la  moitié par  les radios présentaient des exemples de solutions aux discriminations faites aux femmes, ou des modèles de femmes brisant les stéréotypes sexistes. Selon  les  déclarations  des  chaînes, 42 % des  fictions diffusées  en  2022  pouvaient  se  prévaloir  d’un  caractère non stéréotypé, en progression depuis 2021.

Sport : où sont les femmes ?

Les programmes sportifs demeurent les plus fermés aux femmes : 21% de présence en plateau en moyenne dans les émissions dédiées au sport et 11% du temps de parole ; seulement 9% de présentatrices, journalistes et chroniqueuses sportives à la radio, et 13 % d’exposition visuelle à la télévision. "On est largement en deça du chiffre de 45 % et de 36 % qui sont les moyennes sur l'ensemble des émissions. Le sport fait partie des sujets qui sont largement à la traîne sur la présence des femmes," admet Laurence Pécaut-Rivolier

Si les hommes sont nombreux à commenter le sport féminin professionnel, amateur ou de loisir – 35 % contre 65 % de femmes – rares sont les femmes qui s’expriment au sujet du sport masculin 9 % contre 91 % d’hommes. Par ailleurs, la proportion d’athlètes professionnels est plus importante chez les intervenants masculins (41 %) que parmi les intervenantes féminines (32%).

Dans le domaine du sport, il y a vraiment tout un écosystème à faire bouger.
Laurence Pécaut-Rivolier

Quant au taux de retransmission des événements sportifs purement féminins, il reste terriblement bas, puisque qu'il est de moins de 5 % – pour un taux de retransmission des émissions sportives dédiées au sport masculin qui est de 64 %, le reste étant mixte.

"Il y a un véritable travail à faire. Un travail très lourd, puisque il n'y va pas que de la responsabilité des médias, mais aussi des écoles de formation. Il y a vraiment tout un écosystème à faire bouger. C'est notre chantier prioritaire. Et il l'est d'autant plus qu'il y a un événement majeur en 2024. Et nous voudrions que les médias soient prêts à accueillir cet événement majeur en respectant les principes d'égalité," insiste Laurence Pécaut-Rivolier, alors qu'approchent les Jeux olympiques de Paris. 

Ce travail, TV5MONDE en a fait une partie, puisque Karine Henry et Lise-Laure Etia y sont des commentatrices sportives de longue date :

Publicité : moins potiches, mais toujours des clichés

En six ans, la publicité a fait elle des progrès ? Selon l'Arcom, les femmes y sont devenues majoritaires en 2022, tous rôles confondus, à 51% contre 46% en 2017, s'approchant ainsi de la réalité sociale.

Elles y font aussi moins office de plantes vertes : elles ont tenu des rôles esthétiques ou inactifs dans 18% des publicités diffusées en 2022 contre 50% en 2017. Elles représentent désormais environ un tiers des "expert(e)s" – 34% contre 18% il y a six ans.

La pub s'amuse aussi à tordre les clichés en représentant plus les femmes que les hommes dans des activités scientifiques ou au volant de véhicules. A l'inverse, les hommes sont majoritaires quand il s'agit de montrer des personnes faisant le ménage ou s'occupant seules des enfants.

Malgré ces progrès, les stéréotypes de genre continuent d'être véhiculés avec la surreprésentation des femmes dans certaines catégories de publicité, comme le luxe, l'habillement ou la cosmétique. Les femmes y restent aussi beaucoup plus sexualisées et dénudées que les hommes.
(AFP)

pub : rose que pour les filles

Cap 2024

Si l'essentiel, désormais, semble avoir été fait, si les choses évoluent positivement en matière de parité dans l'audiovisuel français, la vigilance, toujours, reste de mise : "Il faut tenir le cap pour ne pas que ça régresse. L'étude de l'Arcom sur les femmes dans l'audiovisuel est essentielle pour que, chaque année, la sensibilisation persiste, que la progression continue et que l'on continue à avoir envie d'aller de l'avant," insiste Laurence Pécaut-Rivolier.

Sur la base du rapport qui vient d'être publié, "nous allons discuter avec chacun des acteurs, c'est-à-dire toutes les chaînes et toutes les radios. Nous ne pouvons pas fixer un objectif commun, car toutes les chaînes ne sont pas au même niveau, précise-t-elle. En revanche, nous pouvons formuler des objectifs qui soient à la fois raisonnables et tenables, pour qu'en 2024  les chiffres soient meilleurs. Chez l’un, ça va être un taux de présence, chez l'autre le temps de parole, ailleurs encore le temps d'expertes…" 

Du cas par cas, donc, avec une grande idée directrice, comme ces huit dernières années : que 2024 soit meilleur que 2023.