Fil d'Ariane
Malgré une campagne de dédiabolisation réussie, Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national échoue une fois de plus à entrer à l’Élysée, avec 41,8 % des voix. Retour sur le parcours d'une "fille de" qui semble condamnée à échouer aux portes du pouvoir.
Nouvel échec pour Marine Le Pen. La candidate du Rassemblement National (RN) vient de perdre l’élection présidentielle. Pour son deuxième face à face avec Emmanuel Macron, elle n’a recueilli que 41,8% des voix. Un chiffre en progression par rapport à 2017, où elle avait obtenu 33,90% des suffrages, mais toujours trop faible pour lui ouvrir les portes de l’Elysée.
Après une campagne marquée par de multiples rebondissements, et surtout par les défections et trahisons de ses plus anciens lieutenants, Marine Le Pen s’était tout de même offert une qualification pour le deuxième tour.
Celle qui rêve d'Elysée a dû compter avec un adversaire de taille en la personne de l'ancien journaliste Eric Zemmour, venu rebattre les cartes sur l'échiquier de l'extrême-droite. Une personnalité clivante, comme elle, et un programme dans les grandes lignes similaire. Finalement Éric Zemmour, arrivé en 4è position le 11 avril (7%), appelle ses électeurs-trices à voter pour Marine Le Pen face à Emmanuel Macron au second tour.
#Présidentielle2022, 1erTour@MarionMarechal est "convaincue" qu'Éric #Zemmour (@ZemmourEric) a "amorcé une recomposition" et affirme qu'au nom de @Reconquete2022, il appellera à voter #MarineLePen
— TF1Info (@TF1Info) April 10, 2022
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Mais malgré ce cri de ralliement et une adhésion toujours plus forte à son programme, la candidate de l’extrême-droite reste l’éternelle déçue de la présidentielle. En 2012, arrivée en 3ème position avec 17,9% des voix, elle est éliminée dès le 1er tour. En 2017, elle se qualifie pour le second tour mais échoue face à Emmanuel Macron, après notamment un duel télévisé qualifié par tous de catastrophique.
(Re)voir : présidentielle 2022 : débat du second tour, petits arrangements avec la vérité ?
Un débat raté qui lui colle à la peau. Celle qui a eu 5 ans pour se préparer à un nouveau match a encore déçu cette année face à Emmanuel Macron. Plusieurs affaires sont aussi venues semer quelques embûches sur le parcours de la candidate, notamment l'affaire des emplois fictifs au Parlement européen. Le RN est accusé d'avoir puisé sur les fonds parlementaires pour payer des collaborateurs dissimulés sous le statut "d'assistants".
Autre épine dans le pied de Marine Le Pen, familiale cette fois : le ralliement inattendu de sa nièce, Marion Maréchal, au nouvel "ennemi", Eric Zemmour. Cette "trahison familiale" a eu pour effet de provoquer la colère de Marine Le Pen, cachant à peine son émotion sur un plateau de télévision : "J’ai avec Marion une histoire particulière parce que je l’ai élevée avec ma sœur pendant les premières années de sa vie, donc évidemment c’est brutal, c’est violent, c’est difficile pour moi". Une campagne mouvementée, qui se solde donc par un échec pour la candidate du Rassemblement National.
Mais tout n'est pas perdu : l'extrême-droite réalise tout de même un score historique. Laurent Jacobelli, un des porte-parole de Marine Le Pen pense qu'avec environ 42% des voix (soit 12 millions d'électeurs), "on ne peut plus parler" d'un plafond de verre, parce qu'elle a "progressé dans beaucoup de catégories".
"Les idées que nous représentons arrivent à des sommets" et "le résultat de ce soir représente en lui-même une éclatante victoire", a estimé Marine Le Pen depuis le pavillon d'Armenonville, dans le 16e arrondissement de Paris, où était organisée sa soirée électorale.
Allocution de Marine Le Pen https://t.co/K6zT7FFfiw
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) April 24, 2022
Elle a assuré qu'elle poursuivrait son engagement politique et appelé à la "bataille" des législatives en juin "avec tous ceux qui ont eu le courage de s'opposer à Emmanuel Macron au second tour" et "qui ont la France chevillée au corps".
En mars 1985, elle confie à un journaliste du Monde : "Demain, il y aura la queue devant le Front national pour les adhésions ; c'est devenu un des plus grands partis de France, parce que le PC..." Et si le journaliste évoque les soupçons de torture qui pèsent sur son père, elle rétorque : "C'est horrible. Je sais que ce n'est pas vrai. Bien sûr que je réagis quand j'entends des choses comme ça. Mais on s'y attendait. Ils ont tout essayé. Ils ont essayé Pordea. [M. Gustave Pordea, député au Parlement européen, accusé par le Matin de Paris d'être un agent de la Roumanie ndlr ], puis, évidemment, comme papa a fait l'Indochine et l'Algérie, on l'a traité de nazi, de tortionnaire. Cela devient ridicule. Ils devraient s'arrêter !" .
Pas touche au papa ! Marine Le Pen ne supporte pas qu'on puisse mettre en cause son père. Un jour d'avril 2004, elle s'exclame sur le plateau de TF1 : "On naît la fille de Le Pen, on meurt la fille de Le Pen. C'est l'homme de ma vie. Il a construit la femme que je suis !"
L'Indochine ! L'Algérie ! Qu'en a-t-elle entendu parler au cours de son enfance ! Jusque pendant les vacances. C'était l'époque heureuse où toute la famille embarquait sur le Général Cambronne, le bateau paternel, un langoustier de 17 mètres reconverti pour les plaisirs nautiques. Le navire comptait parmi ses hommes d'équipage un certain Olivier de Kersauzon, alors adolescent. C'était, on peut l'imaginer, l'occasion de refaire le monde et l'occasion d'évoquer l'époque guerrière où, forcément, les souvenirs abondent.
Marine le Pen sait que son père compte de fidèles soutiens. Elle apprend également à ses dépends que ses ennemis n'hésitent pas à employer les grands moyens pour exprimer leur haine envers lui. Ainsi, lors de la nuit de la Toussaint, le 1er novembre 1976, dans leur immeuble du 9 avenue Poirier (Paris, 15ème arrondissement), une charge de 20 kg d'explosifs souffle le bâtiment où elle se trouve en famille.
Miraculeusement, cet attentat — jamais revendiqué — ne fera que des blessés légers. Douze appartements ont été détruits. Le Parisien titrera : "Le miracle de la Toussaint". Dans son autobiographie, "A contre flots", Marine le Pen écrit le véritable impact de cet attentat : "Il a fallu cette nuit d'horreur pour que je découvre que mon père faisait de la politique. Et c'est là, à l'âge des poupées, que je prends conscience de cette chose terrible et incompréhensible pour moi : mon père n'est pas traité à l'égal des autres, nous ne sommes pas traités à l'égal des autres".
Une enquête menée par France 2 rencontre le détective privé, Antoine Méléro, alors engagé par l'avocat de Jean-Marie Le Pen afin de connaître la vérité sur le ou les commanditaires de cet attentat. Le détective, qui retrouvera l'artificier poseur de bombe, est formel : "C'était à 100 % une affaire de vengeance, suite à un récent héritage".
L'héritage en question est celui de Hubert Lambert.
Le 27 septembre 1976, à l'âge de 42 ans, meurt d'une cirrhose Hubert Lambert, militant d'extrême-droite ... et millionnaire. Il a légué sa fortune à Jean-Marie le Pen qui l'avait nommé membre du comité central du Front national. Dans son ouvrage, A contre flots, Marine le Pen indique que cet homme jeune, alcoolique, ne s'est jamais remis du décès de sa mère survenu quelques mois plus tôt.
Elle précise : "Vivant dans une totale fusion avec sa mère, Hubert Lambert n'a en effet pu supporter le chagrin causé par ce décès. Il se laisse littéralement mourir dans la maison de Montretout où ils vivaient tous les deux. Il refusera même de se faire hospitaliser".
Le testament sera contesté par un cousin, Philippe Lambert, mais un accord sera finalement trouvé. La famille Le Pen conservera la maison de Montretout à Saint-Cloud et les deux tiers de la fortune d’Hubert Lambert, estimée à environ 100 millions de francs. Le dernier tiers sera pour le cousin du défunt. Avec cet argent, l'avenir prend quelques couleurs encourageantes. Celle qui se veut la représentante des petites gens, des sans voix, des floués et des opprimés ne connaîtra jamais des fins de mois difficiles.
Ce jour-là, sa mère quitte sans prévenir le domaine de Montretout avec Jean Marcilly, chargé d'écrire une biographie sur... Jean-Marie Le Pen.
Abandon de domicile conjugal.
En guise de bagages, son sac à main et quelques affaires.
Le choc est terrible pour les filles Le Pen. Comme le père refuse tout espèce d'arrangement, notamment financier, Pierrette Le Pen se répand auprès des journalistes. Elle menace de faire des révélations scandaleuses sur la fortune de son mari. Le linge sale promet d'être lavé en public. Son avocat est le très médiatique Gilbert Collard, qui sera en 2012 le Président du comité de soutien de Marine Le Pen, candidate à l'élection présidentielle de 2012 (celui-là même qui décide de rejoindre le candidat Zemmour en 2022, ndlr).
Mais le clan Le Pen réagit.
Le 6 janvier 1986, les trois filles Le Pen (Marie-Caroline, 25 ans, Yann, 22 ans, et Marine, 17 ans) signent un communiqué solidaire avec le chef de famille : "Nous témoignons que les allégations de notre mère sont un tissu d'affabulations calomnieuses. (...) Face à ces attaques, notre père a conservé une attitude stoïque et digne, au risque de laisser beau jeu à ses ennemis. Nous lui exprimons publiquement notre admiration et notre amour."
En avril 1987, Le Pen accorde une interview au magazine Playboy. Dans ce magazine érotique, le patron du FN indique qu'il n'y a rien d'infamant à faire des ménages quand on a besoin d'argent. Pierrette le prend au mot. En guise de droit de réponse, elle pose au trois quart nue, vêtue d'un simple tablier de soubrette. A l'Assemblée nationale, où Le Pen a été élu en 1986, les députés se gondolent, et avec eux, la France entière. Pour Marine, le choc est rude. Elle mettra une quinzaine d'années avant de reprendre contact avec sa mère.
Image rare de la tante et sa nièce, côte à côte, lors d'une cérémonie d'hommage aux victimes de l'attaque terroriste de Nice, le 14 juillet 2016.