Fil d'Ariane
En refusant de serrer la main d'un de ses rivaux lors du dernier débat télévisé avant les primaires, Elizabeth Warren s’est retrouvée au coeur d’une séquence rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux. Elle est l'une des deux seules femmes dans cette course à la Maison Blanche, et les intentions de vote la placent dans le trio de tête du parti démocrate, derrière les deux cadors, l’ancien vice-président Joe Biden et Bernie Sanders. Mais qui est Elizabeth Warren ?
Celle qui avait déjà subi l’agressivité de Donald Trump, qui pour se moquer de ses supposées origines amérindiennes l’avait appelée “Pocahontas”, a finement mené sa campagne, ralliant de plus en plus de supporters à sa cause.
Today Elizabeth Warren, sometimes referred to by me as Pocahontas, joined the race for President. Will she run as our first Native American presidential candidate, or has she decided that after 32 years, this is not playing so well anymore? See you on the campaign TRAIL, Liz!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) February 9, 2019
Mardi 14 janvier, le dernier débat des démocrates avant les primaires a été marqué par des accusations de sexisme envers le candidat de la gauche démocrate, Bernie Sanders. Une fois l’émission terminée, Elizabeth Warren a refusé de lui serrer la main, car selon elle, il lui aurait un jour dit qu'une femme ne pouvait pas être élue présidente face à Donald Trump.
No hand shake from #ElizabethWarren after last night’s #DemDebate . #GMW pic.twitter.com/21pVpcKBdC
— Melanie Hastings (@ABC7Melanie) January 15, 2020
Née en Oklahoma, en 1949, Elizabeth Warren y passe toute sa jeunesse. Elle, qui aspire à être professeure, arrête néanmoins ses études lorsqu’elle se marie. Elle suit son époux au Texas, où elle reprend ses études en sciences, puis devient enseignante. Les Warren déménagent ensuite sur la côte Est, dans le New Jersey. Elizabeth Warren redevient mère au foyer mais reprend ses études quelques années plus tard. En 1976, elle obtient un doctorat en droit. Remariée deux ans après son divorce, elle garde cependant comme nom d’usage celui de son premier mari.
Elle devient conférencière, puis professeur titulaire de droit au Texas. Elizabeth Warren s'intéresse très tôt aux lois bancaires et à leurs répercussions auprès des consommateurs. Elle devient ainsi une experte du droit de la faillite, et obtient un poste à la prestigieuse université d’Harvard. En 1995, elle participe à la rédaction du rapport de la commission nationale sur la faillite et défend les droit des consommateurs dans ce domaine. Puis, elle devient membre du comité de conseil sur l'inclusion économique de la Federal Deposit Insurance Corporation.
Après son élection, Barack Obama crée le Bureau américain de protection des consommateurs, en 2011. Il nomme Elizabeth Warren conseillère spéciale au secrétaire du Trésor des Etats-Unis. 2011 marque aussi le début des velléités politiques de Warren. Elle annonce alors son intention de se présenter aux élections sénatoriales. En 2012, elle devient la première femme élue sénatrice du Massachusetts, et continue son combat contre les malversations financières des grands groupes bancaires. En début d’année 2019, elle annonce sa candidature aux primaires Démocrates, en vue de l’élection présidentielle de 2020. Elle apparaît de plus en plus comme une potentielle opposante valable à Donald Trump.
Son coeur de cible, c’est la classe moyenne américaine. Elizabeth Warren ne cesse de s’en prendre à la corruption des élites politiques et économiques, qui “détruisent la démocratie et la planète”, comme elle le répète dans ses meetings. Elle veut réparer le “système cassé” qui rendent la vie impossible aux travailleurs américains. Pour chaque problème qu’elle soulève, Elizabeth Warren a la solution. “I have a plan for that”, lance-t-elle à la foule, comme le refrain d’un tube. Parmi ses plans, un impôt sur la grande fortune, pour permettre le financement de la gratuité d’une partie des études supérieures, voire effacer la dette des étudiants, ainsi que la création d’un service public de la petite enfance, mais aussi une répression plus forte de l’exil fiscal.
Pour l’historienne et politologue Nicole Bacharan, au delà de son programme, “qui aura du mal à faire l’unanimité”, selon elle, c’est la préparation d’Elizabeth Warren qui fait sa force. “Elle est déterminée et est très bien préparée.Il est vrai que c'est quelqu'un qui travaille beaucoup, qui va au fond des sujets. Elle n'est surprise par aucune question et apparaît extrêmement crédible. Elle a des positions franchement à la gauche du parti Démocrate, qui peuvent être considérées comme radicales par certains, mais elle semble plus rassurante que Bernie Sanders, par exemple. Même si elle s'exprime avec véhémence, elle apparaît beaucoup plus rationnelle que Sanders, qui se laisse parfois emporter par l’exaltation”, explique l’historienne. Lors du troisième débat de ces primaires, qui réunissait le 12 septembre dernier les 10 candidats encore en lice, Elizabeth Warren s’est illustrée par une attitude stratégique presque pacifiste : “Elle s'en est très bien sortie. Bien que ce ne soit pas quelque chose de durable, à mon sens, surtout quand on connaît le parcours des primaires, elle a trouvé un point d’équilibre. Elle a réussi à vraiment défendre ses convictions, sans tenter de démolir les autres candidats, et notamment Joe Biden. Alors que justement, la tendance générale pendant ce débat était ‘Tous contre Biden’, qui semble être le candidat le mieux placé. Or, pour moi, c’est une machine à perdre que se démolir entre eux. Le ou la candidat(e) final(e) arrivera tout abimé et câbossé pour la campagne présidentielle. Elizabeth Warren s’est très bien positionnée, à la fois très vigoureuse, et très énergique sur ses convictions et pas agressive envers les autres. ça a aussi contribué à cette image de solidité” analyse l’historienne Nicole Bacharant.
Elizabeth Warren pourrait également rallier un vote féminin, voire féministe, chose qu’Hillary Clinton n’avait pas réussi à réaliser. En 2017, déjà, elle devenait un symbole politique et féministe, quand, lors d’un débat au Sénat pour la nomination de Jeff Sessions au poste de Ministre de la Justice, Elizabeth Warren opposée à cette nomination avait lu une lettre de Coretta Scott King, veuve du Dr Martin Luther King. Cette lettre, datant de plus de 30 ans, dénonçait le comportement raciste de Jeff Sessions lorsqu'il était juge fédéral. Le sénateur républicain du Kentucky, Mitch McConnell, a alors exigé de la sénatrice qu’elle cesse et a mis fin à son discours en se justifiant ainsi : "Elle a été avertie. On lui a donné une explication. Malgré tout, elle a persisté". Le hashtag #NeverthelessShePersisted est lancé sur les réseaux sociaux pour la soutenir. De nombreuses femmes y participent, comme Hillary Clinton ou encore Kamala Harris.
By silencing Elizabeth Warren, the GOP gave women around the world a rallying cry. #ShePersisted #LetLizSpeak pic.twitter.com/uH6WIngHaL
— Kamala Harris (@KamalaHarris) February 8, 2017
Pour Nicole Bacharan, c’est un avantage, certes mais fragile : “Elle a indéniablement des atouts pour terminer ce que Hillary clinton avait commencé. D'abord, parce que il y a un certain nombre de démocrates, hommes et femmes, qui ont eu un sentiment de frustration de voir que l’étape d'une femme président n'avait pas été franchie. Il y a un pas historique à franchir. L’autre avantage par rapport à Hillary Clinton, c'est que pour les plus jeunes femmes, elle représentait un peu, le féminisme de maman. Même si Elizabeth Warren est à peine plus jeune que Clinton, et parce qu’elle est plus à gauche, elle pourrait être perçue comme une avancée féministe, et ce par les plus jeunes. Le dernier point, c’est qu’elle n’est pas issue d’une dynastie politique, comme Hillary Clinton, et ça les gens avaient du mal à l’avaler”. Mais pour la politologue, il existe encore de grandes réticences à l’idée d’une femme présidente : “Il n’y a pas très longtemps, un sondage indiquait parmi les femmes affirmant voter démocrates, certaines affirmaient qu'elles ne feraient pas confiance à une femme, pour le poste de président. Est-ce qu'une majorité d'Américains sont prêts à élire une femme au poste de Président des Etats-Unis, ce n'est pas certain !”
Lors du dernier débat du 14 janvier, Elizabeth Warren a pris à parti, son concurrent, Bernie Sanders, à propos de sa remarque sur les capacités d'une femme à être élue présidente : "Une femme peut-elle battre Donald Trump? Regardez les hommes sur ce plateau. A eux tous, ils ont perdu dix élections. Les seules personnes ici qui aient gagné toutes les élections auxquelles elles se sont présentées sont les femmes, Amy (Klobuchar, ndlr) et moi", a-t-elle déclaré,provoquant des applaudissement du public.
Donald Trump’s tweets are ugly and racist. They’re purposefully designed to turn us against one another. We cannot let that happen. Instead, we must follow my friend Elijah Cummings’ example and keep doing the work for the American people. https://t.co/t7heu6k3wq
— Elizabeth Warren (@ewarren) July 27, 2019
Les élections de mi-mandat du Congrès l’an dernier ont vu arriver de nouveaux profils, notamment chez les démocrates. De nombreuses jeunes femmes, très à gauche, issues des différentes communautés ont été élues, comme Alexandria Ocasio-Cortez, ou Ilhan Omar, grâce notamment au vote dit “ethnique”. Bien qu’ayant un programme très proche de celui de Bernie Sanders, Elizabeth Warren ne semble pas bénéficier d’intentions de vote des minorités. “Elle n'est pas très bien placée sur ce sujet. Elle a passé de nombreuses années de sa vie au Texas, mais elle est malgré tout une femme blanche d'âge mûr de la côte Est. Elle a enseigné à Harvard, est sénatrice au Massachusetts. ça n'évoque pas grand chose dans les différentes communautés. Ce n’est pas assez pour espérer leur vote. C’est pareil pour la classe ouvrière. Elle a ce côté intello qui peut plaire aux jeunes diplômés,en grande majorité démocrate. Mais elle est quand même très loin de la classe ouvrière, malgré ses origines modestes. Joe Biden, lui, a tissé des liens avec ce qu'on peut appeler la classe ouvrière blanche depuis 50 ans”, explique Nicole Bacharan. Elle continue : “Si jamais elle gagne la primaire démocrate, elle aura bien entendu besoin du soutien de jeunes femmes comme AOC, le choix du co-listier sera alors primordial.”
Les sondages la positionnent gagnante face à Donald Trump, avec cependant moins de point d’avances que ses rivaux directs. Pour Nicole Bacharan qui consacre un chapitre sur Trump et les femmes dans son dernier ouvrage, Le monde selon Trump (aux éditions Tallandier), Elizabeth Warren a nettement toutes ses chances face au président sortant : “Je crois qu'elle bénéficierait du fait qu’elle serait la deuxième femme à se retrouver dans cette position c'est à dire une femme démocrate, challenger de Donald Trump. Hillary Clinton a essuyé les plâtres. Elle avait beau être ultra-préparée, on a quand même le sentiment qu'elle n'était pas prête à l'outrance et l'agressivité qu'elle allait rencontrer dans les débats avec Donald Trump. Les trois débats en face à face ont été un véritable choc pour Clinton. Elizabeth warren, qui ne laisse rien au hasard, aura fait son profit de cette expérience.” Elle continue : “Trump a déjà été absolument odieux avec elle, sur ses origines supposées amérindiennes. On ne peut pas dire qu'elle ait été très adroite (ndlr : elle affirmait avoir des ces origines amérindiennes et est allée jusqu'à faire un test ADN, qui n'a retrouvé qu'une vague trace d'ancêtre Cherokee datant d'il y a plus de 10 générations). Mais si elle se retrouve face à Donald Trump et qu’il l’insulte, tente de l'humilier, lui colle des étiquettes et des slogans extrêmement provocateurs et insultants, ça sera dur pour elle, mais ça ne sera pas nouveau. Hillary Clinton l'a déjà subi. J'imagine que Elizabeth Warren aura développé une stratégie de réactions et de défense si elle se trouve dans cette position.”