Présidentielle américaine : Shirley Chisholm en héritage

Qui se souvient de Shirley Chisholm ? Elle fut pourtant une pionnière pour les femmes en politique et pour la communauté africaine américaine. Cette ancienne directrice d'école a été la première femme noire candidate à l'investiture pour l'élection présidentielle. C'était en 1972.

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Shirley Chisholm

Shirley Chisholm, 1ère femme noire sénatrice, 1ère femme candidate noire à la course à l'investiture pour la présidentielle américaine, née en 1924, morte en 2005.

© AP Photo/James Palmer
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Shirley Chisholm : voilà une personnalité qui résonne avec l'actualité américaine de cet automne 2024. La candidate démocrate Kamala Harris a, il y a quelques années, proposé que cette femme politique américaine ait sa propre statue au Capitole à Washington, sans y parvenir, du moins pas encore...  

Je ne suis pas la candidate de l’Amérique noire, même si je suis noire et fière de l’être. Je ne suis pas la candidate du mouvement des femmes, même si je suis une femme et fière de l’être. Shirley Chisholm

Lunettes d'institutrice sur le nez, allure stricte, et silhouette frêle... Son image contraste avec la puissance qu'elle incarne ce jour de janvier 1972, le 25 précisément, alors qu'elle prononce dans l'église Concord de Brooklyn, à New York, un discours politique qui a peu à envier à celui de Martin Luther King. "Je ne suis pas la candidate de l’Amérique noire, même si je suis noire et fière de l’être. Je ne suis pas la candidate du mouvement des femmes, même si je suis une femme et fière de l’être", lance-t-elle.

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"Ma présence devant vous symbolise une nouvelle ère dans l’histoire de la politique en Amérique. Je suis convaincue que le peuple américain est prêt à se débarrasser des personnalités politiques du passé. Que tous ceux qui partagent cette vision, de New York à la Californie, du Wisconsin à la Floride se dirigent comme des frères et sœurs vers l’union nationale et vers une Amérique nouvelle !", poursuit-elle. 

Quatre ans après avoir été la première femme noire élue au Congrès, elle vise le poste suprême, la Maison Blanche, et devient candidate à l'investiture du parti démocrate. Elle ira au bout des primaires, mais ne sera pas choisie. Même si elle obtient 152 voix, ce qui est un beau score, son rival, George McGovern, arrive largement en tête. Au final, ce sera le président Nixon, républicain, qui sera réélu président. 

Un parcours exemplaire de pionnière

Shirley Chisholm est née le 30 novembre 1924 à Brooklyn, à New York, d’un père guyanais installé à la Barbade, aide-boulanger et syndicaliste, et d’une mère barbadienne, couturière. Tous deux font partie des 300 000 Barbadiens qui ont quitté les îles pour travailler à la construction du canal du Panama. Dans les années 1920, ils vont migrer aux États Unis. Shirley est l'aînée de leur quatre filles ; la famille vit à Brownsville, un quartier pauvre et multi-ethnique où s'est implanté le premier centre du planning familial. 

Excellente élève, elle intègre la prestigieuse Girls' High School pour suivre ses études secondaires. On la dit particulièrement douée en français. Elle sera ensuite admise au Brooklyn College, elle fait partie des soixante étudiantes afro-américaines, pour un total de 10 000 étudiants. Elle participe à la fondation de la première sororité d'étudiantes afro-américaines IPOTHIA, qui est un acronyme pour In Pursuit Of The Highest In All ("à la poursuite de l'excellence en tout").

Shirley Chisholm et black caucus

Les membres du Black Caucus s'entretiennent avec l'auteur de Roots, Alex Haley, deuxième à partir de la droite, lors d'une réunion à Washington, D.C. le 2 juin 1977. De gauche à droite : le représentant Louis Stokes, Ralph Metcalfe et Shirley Chisholm.

© AP Photo/Charles Bennett

Avant de se lancer en politique, elle s'engage dans l'enseignement et devient directrice d'école. 

Lorsqu'elle prend ses fonctions au Sénat, elle n'hésite pas à faire part de son mécontentement lorsqu'elle se retrouve chargée du dossier agricole, un comble pour une New-Yorkaise qui n'a jamais foulé la campagne américaine. Finalement nommée au comité des anciens combattants, puis à celui sur le travail et l’éducation, elle siègera quatorze ans à la Chambre des représentants. Elle présentera une cinquantaine de textes en faveur des défavorisés, des vétérans et de l'éducation. 

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Face au sexisme

Connue pour son franc-parler et son éloquence, elle mène campagne avec le slogan est Unbought and Unbossed : indépendante et autonome. Opposée à la guerre du Vietnam, elle milite pour l'égalité, aussi bien raciale qu'entre les genres. Elle prend la défense des plus pauvres, réclamant un meilleur accès à la garde d’enfants pour les mères qui travaillent et plus de diversité dans les écoles. 

Une de journal Shirley Chisholm
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"C'est un grand honneur d'avoir été choisie comme première femme noire à siéger à la Chambre des représentants des États-Unis à Washington. J'ai l'intention de représenter l'ensemble du peuple, Blancs, Noirs, les hommes comme les femmes, et plus particulièrement les jeunes. Il y a de nouvelles idées qui germent, je parlerai pour elles et ma voix sera entendue !", déclare-t-elle le jour de son élection au Congrès, après une campagne marquée par le machisme de son adversaire, le leader afro-américain et défenseur des droits civiques James Farmer. Ce dernier n'hésite pas à mettre en avant "sa force masculine" contre Shirley Chisholm, qu'il représente toujours comme une frêle femme, et l'appelle "la petite maitresse d'école". 

Extrait journal Shirley Chisholm
Archives

Un sexisme auquel elle devra à nouveau faire face lors de la présidentielle. Mise à l'écart par les siens, elle aura bien du mal à financer sa campagne ainsi qu'à se faire accepter dans les débats télévisés. Avec l'aide de son jeune avocat, elle dépose plainte contre les médias et finit par avoir gain de cause en obtenant le temps qu'il lui est imparti, selon les règles de temps de parole accordé aux représentants politiques. Après plusieurs rencontres, elle finit par gagner le soutien du mouvement des Black Panthers. 

Dans ce court extrait d’une conférence de presse en Floride en 1972, Shirley Chisholm explique pourquoi elle ne va pas "reculer" parce qu’elle est une femme noire candidate à la présidence des États-Unis.

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Un héritage pour Kamala Harris

En 2020, lorsque Kamala Harris devient la première femme noire vice-présidente des États-Unis, celle-ci ne manque pas de saluer sur X le "génie" et l'audace de celle qui "nous a ouvert la voie”.

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"Je suis la candidate du peuple américain !", clamait Shirley Chisholm lors de son célèbre discours en janvier 1972. Des mots repris aujourd'hui par celle qui affrontera Donald Trump le 5 novembre prochain. Et elle n'est pas la seule à revendiquer son héritage. Encore aujourd'hui, le parcours de Shirley Chisholm fascine. Et des hommages lui sont régulièrement rendus. 

Portrait Shirley

Nancy Pelosi, à droite, la présidente du Black Caucus, Barbara Lee, à gauche, et Dorothy Height, lors du dévoilement du portrait de feue Shirley Chisholm, lors du 40e anniversaire de sa prestation de serment à Chambre des représentants, le 3 mars 2009, à Capitol Hill, à Washington. 

© Photo AP/Manuel Balce Ceneta

Au nom des femmes

Convaincue que seule une alliance entre les organisations défendant les droits des femmes blanches et celles défendant les droits des femmes de couleur est susceptible de peser de façon puissante sur la vie politique et les changements sociaux, Shirley Chisholm se voulait la porte-parole des femmes quelle que soit leur couleur de peau ou leur statut social. Elle est est l'une des fondatrices du Congressional Black Caucus, du National Women's Political Caucus et du National Congress of Black Women

Shirley et les féministes

Les membres du National Women's Political Caucus lors d'une conférence de presse à Washington, le 12 juillet 1971. Leur objectif était la parité femmes/hommes lors des conventions présidentielles de 1972. De gauche à droite : Gloria Steinem, du Conseil politique national démocrate ; Shirley Chisholm ; Betty Friedan, défenseure des droits des femmes. Bella Abzug est debout. 

© Photo AP/Charles Gorry

Elle prend position en faveur de la légalisation du droit à l'avortement, et cela malgré l'opposition de la majorité des Afro-Américains. Au Congrès, Shirley Chisholm travaille étroitement avec les élues féministes, plus particulièrement avec Bella Abzug, représentante de New York.

Les stéréotypes émotionnels, sexuels et psychologiques sur les femmes commencent lorsque le médecin dit : 'C'est une fille'. Shirley Chisholm

"Les stéréotypes émotionnels, sexuels et psychologiques sur les femmes commencent lorsque le médecin dit : C'est une fille", aimait-elle à dire. Son plus grand handicap ne fut pas "d'être noire, mais d'être une femme", comme elle le disait elle-même, citation postée sur X par l'artiste et militante féministe égyptienne vivant aux Etats-Unis Mona Eltahawy sous forme d'hommage. 

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"Shirley", le film

Deux documentaires ont sorti ce parcours hors norme de l'oubli : Women – for America, for the World, récompensé par un Oscar en 1987, et Chisholm '72: Unbought and Unbossed, en 2005. Plus récemment, sur la plate-forme Netflix, un film raconte sa campagne présidentielle de 1972. Elle y est incarnée par l'actrice Regina King. 

Son héritage reste très vivant aujourd'hui, et nous sommes très nombreux à avoir senti que nous pourrions reprendre son flambeau. Barbara Lee, sénatrice

Barbara Lee, qui fut l'une de ses collaboratrices, aujourd'hui représentante du Congrès en Californie, témoigne dans ce biopic : "Ce qu'elle nous a appris, c'est que nous devons combattre non seulement pour aider notre prochain maintenant, mais aussi pour faire concrètement changer les choses. Son héritage reste très vivant aujourd'hui, et nous sommes très nombreux à avoir senti que nous pourrions reprendre son flambeau et continuer la course".

Le film s'achève sur ces quelques mots de Shirley Chilshom, aux accents d'oracle : "Continuez ! Si moi je n'ai pas réussi aujourd'hui, vous devez croire que vous pourrez réussir demain. Si ma plus grande contribution a été de rappeler aux gens ce qui est possible, alors je suis reconnaissante." 

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Un combat à poursuivre

Shirley Chisholm quitte la vie politique dans les années 1980 pour reprendre sa casquette d'enseignante en devenant professeure de sociologie et de science politique au Mount Holyoke College. "Je n'ai pas l'intention de rester chez moi à faire du tricot", martèle-t-elle.  

J'aimerais être connue comme ferment du changement, une femme déterminée, une femme constante dans son combat, à la fois pour les femmes et pour les Noirs, parce que je suis à la fois une femme et une Noire. Shirley Chisholm

Une fois à la retraite, refusant le statut d'icône, elle écrit : "Je ne veux pas qu'on se souvienne de moi comme la première femme noire à être élue au Congrès des États-Unis, même si je le suis. Je ne veux pas qu'on se souvienne de moi comme la première femme qui a montré qu'un Noir peut espérer être un candidat sérieux à la présidence. J'aimerais être connue comme un ferment du changement, une femme déterminée, une femme constante dans son combat, à la fois pour les femmes et pour les Noirs, parce que je suis à la fois une femme et une Noire"

Après plusieurs accidents vasculaires, Shirley Chisholm meurt le 1er janvier 2005 chez elle en Floride à l’âge de 80 ans. En 2015, le président Obama lui décerne à titre posthume la médaille présidentielle de la liberté. Un parc porte son nom à New York. "S’ils ne vous donnent pas de siège à table, apportez une chaise pliante", avait-elle l'habitude de dire, avec humour certes, mais surtout une inébranlable détermination...

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