Fil d'Ariane
A moins de deux mois du vote, les deux candidats à la Présidentielle américaine se retrouvent en duel à la télévision ce 10 septembre. Qui de Kamala Harris ou de Donald Trump aura les faveurs de l'électorat féminin ? Dans quelle mesure les électrices peuvent-elles impacter le résultat final ? Une chose est acquise : jamais la question de l'avortement n'aura autant pesé dans une course à la Maison Blanche.
Angie Gialloreto, 95 ans, de Pittsburgh, à droite, qui assiste à sa 13e convention depuis le président Jimmy Carter, et d'autres délégués applaudissent au cours de la première journée de la Convention nationale du Parti démocrate, le 19 août 2024, à Chicago.
Le prochain locataire du bureau ovale pourrait bien être une locataire, une première dans l'Histoire des Etats-Unis. Le fait qu'une femme soit candidate peut-il influencer le vote des Américaines ? Pas si sur ... La cartographie du vote américain peut se traduire selon l’âge, l’origine ethnique, la catégorie socio-professionnelle, etc, mais le genre, lui aussi, peut-il être déterminant ?
Kelly Jacobs, déléguée du Mississippi, porte un chapeau lors de la convention nationale du parti démocrate, le 19 août 2024, à Chicago.
Pour Ludivine Gilli, spécialiste des États-Unis et directrice de l’observatoire Amérique du Nord de la Fondation Jean-Jaurès, il y a deux éléments importants dans le vote des femmes. D’un côté, “elles votent davantage démocrate que les hommes” et de l’autre, “elles votent plus que les hommes.”
Par exemple, les femmes blanches, par rapport aux femmes noires, c'est un vote qui est très différent.
Ludivine Gilli, directrice de l'observatoire Amérique du Nord de la Fondation Jean-Jaurès
“Ces dernières années, les femmes ont en général deux à trois points de participation de plus que les hommes”, note l'experte. Toutefois, elle invite à prendre des précautions sur ces données, car elles sont uniquement déclaratives. Cette première divergence “se cumule avec des différences qu'on va trouver dans d'autres catégories de l'électorat”, poursuit-elle.
L’origine ethnique est aussi un facteur déterminant du vote. “ Par exemple, les femmes blanches, par rapport aux femmes noires, c'est un vote qui est très différent.” D’après les chiffres du Center for American Women and Politics (CAWP), 44% des femmes blanches ont voté pour Joe Biden en 2020, contre 90% des femmes noires.
Autre point d'influence sur le vote : le niveau d’éducation. “Plus une personne est diplômée, plus elle aura tendance à voter démocrate”, explique Ludivine Gilli.
Un facteur déterminant selon Elisabeth Vallet, directrice de l’observatoire en géopolitique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui note une différence du niveau d’éducation entre les femmes et les hommes. “Il y a un très fort déclin de l'inscription des hommes dans les collèges et les universités”, rapporte-t-elle. Ce qui peut expliquer, selon elle, pourquoi les femmes se rendent plus aux urnes que les hommes.
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Elle relève également une certaine “déconnexion” entre les hommes et les femmes, dans la mesure où il y a “moins de points de rencontres” sur leurs préoccupations. “Cette déconnexion semble se traduire dans la votation, où les femmes vont plus voter, vont être plus impliquées, parce que les enjeux de société qui sont promus, comme les questions d'avortement, de santé reproductive, etc., les touchent plus directement”, analyse Elisabeth Vallet.
Des manifestantes pro-avortement rassemblées à Chicago pour défendre l'arrêt Roe vs Wade après la décision de la Cour suprême des Etats-Unis de l'annuler, le 24 juin 2022.
Le droit à l’avortement, au coeur du débat ?
Depuis que l’arrêt Roe vs Wade, garantissant le droit à l’avortement aux États-Unis, a été renversé par la Cour suprême, une cinquantaine d'États ont prohibé ou criminalisé l’accès aux cliniques d’avortement mais aussi aux avortement médicamenteux.
Dans ces États, Elisabeth Vallet estime que cette nouvelle donne peut orienter le vote des femmes.
Par ailleurs, dans certains États, la question du droit à l’avortement sera soumise au référendum, en plus des courses électorales habituelles.
“Ça va amener les femmes au bureau de vote en quelque sorte”, estime Elisabeth Vallet.
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“C’est le taux de participation qui va faire l’élection”, estime Elisabeth Vallet. Dans plusieurs États, les résultats peuvent être extrêmement serrés.
En fait, si toutes les femmes inscrites votaient d'un bloc, elles feraient l'élection.Elisabeth Vallet, directrice de l’observatoire en géopolitique à l'UQAM
Pour la chercheuse, comme les femmes sont plus nombreuses, se mobilisent plus et ont plus d’intérêts à se mobiliser, elles peuvent faire pencher la balance. “En fait, si toutes les femmes inscrites votaient d'un bloc, elles feraient l'élection”, considère-t-elle.
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Cependant, en raison du système électoral américain, “il y a une espèce de disproportion ou de déformation du vote populaire qui s’exerce”, explique Elisabeth Vallet. Pour rappel : les électeurs américains ne votent pas directement pour le ou la candidate qu’ils souhaitent élire, mais pour les grands électeurs. Un candidat doit recueillir le vote de 270 grands électeurs sur 538 pour être élu. Le nombre de grands électeurs est proportionnel au nombre d’habitants par États, mais la règle du winner-takes-all fait que dans 48 États, le candidat qui obtient le plus de suffrages populaire remporte l’ensemble des grands électeurs.
Ainsi, en 2016, Donald Trump a été élu alors qu’Hillary Clinton avait trois millions de voix populaires de plus. “Il se peut tout à fait que, comme en 2016, l'élection se joue à 80 000 voix près réparties sur trois États”, note la chercheuse.
Hillary vs Donald : premier duel féminin/masculin
Selon l’institut de sondage Edison Research, seulement 4 Américaines sur 10 déclarent avoir voté pour Donald Trump en 2016. Après son élection, Donald Trump a plusieurs fois cité le chiffre de 52% lors de différents meetings, oubliant de préciser que ce chiffre correspond en fait au seul vote des femmes blanches. Chez les Afro-américaines, il n’a obtenu que 4% des voix.
54 % des femmes ont voté pour Hillary Clinton (un point de moins que pour Barack Obama en 2012).
A l'époque, les résultats avaient montré que les femmes avaient voté en fonction de leur classe et de leur appartenance ethnique plutôt que de leur genre, dans l’un et l’autre camp.
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Or, la désignation de Kamala Harris comme candidate du parti démocrate, après le renoncement du président sortant Joe Biden, peut pousser les femmes à se rendre aux urnes. “Beaucoup de femmes, surtout les plus jeunes, étaient désabusées et envisageaient de ne pas aller voter, surtout du côté démocrate”, souligne Elisabeth Vallet. Elle précise que pour certaines, c’est le positionnement de Joe Biden sur Gaza qui posait problème. Ce n'est plus le cas depuis l’arrivée de Kamala Harris dans la course. La vice-présidente a récemment appelé le peuple palestinien à "réaliser son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à l'autodétermination" tout en réitérant son soutien à un cessez-le-feu et à un accord d'otages entre Israël et le Hamas.
Politique internationale, mais surtout droits sociaux, sécurité, lutte contre la pauvreté et bien sûr droit à l'avortement : les deux candidats s'affrontent en direct le 10 septembre devant des millions de téléspectateur- trice-s, deux mois avant le verdict des urnes. Le 8 novembre 2016, première femme à briguer le bureau ovale, la candidate Clinton (et ancienne première dame) avait manqué son rendez-vous avec l'histoire. "Trop blanche", "trop membre de l'élite" et pas assez populaire, elle n'avait pas réussi à faire le plein chez les électrices. Huit ans plus tard, c'est au tour de Kamala Harris de relever le défi.
La candidate démocrate Kamala Harris pose pour des selfies avec ses supportrices lors d'un meeting, le 2 septembre 2024 à Pittsburgh.
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